Lettre 7
Corbeau,
Voilà quelques mois que mes babines sont restées cousu. Notre correspondance est devenue silencieuse. Souvent, j'ai regardé vers le ciel, et pensé à toi. Sur le rebord de la fenêtre, j'ai observé les saisons. Le soleil m'a laissé fuir à l'ombre, ratatinant mon corps et mon esprit. Comme je n'aime pas la chaleur. C'est un supplice, mais crois le ou non, j'adore lorsque les rayons dorés d'une journée hivernale caressent mon pelage noir.
Tout se gèle, sauf ici, dans le sud.
Qui sait, cette ville où je vis, est peut-être protégée des grands froids, des tempêtes. J'aime à l'imaginer.
Me mettrais-je à parler météo ? Ça me ressemble tellement...
Cher ami, je ne t'écris point pour cela, mais pour t'avouer ma pensée du jour... Celle qui pourrait ce prolonger jusqu'à "toujours".
Il me semble t'avoir un jour parlé de ce livre : L'alchimiste. Mon préféré. Celui qui a offert mon coeur à l'écriture. Cette douce bible qui a guidé mes pas vers tant de souffrances parsemé de petits bonheurs. Il ne suffit, quelques fois, que de terminer un texte pour se sentir comme un roi. Un lion ? Je n'irais pas jusque-là... Un chat reste un chat, et c'est tout aussi bien.
Après l'avoir lu, j'ai pensé plus que tout à ma légende personnelle, celle qui devait me construire, celle qui m'a montré que la route vers un semblant de réussite demeurait complexe. Infiniment, hésitante !
Le doute, la déprime m'ont si souvent percécuté, que j'ai cru, à de nombreuses reprises, que j'étais mauvais. Mais en vérité, n'étais-je pas en train d'apprendre ? À me confronter à moi-même, aux autres, à la dualité du monde et à mon envie de rêver un peu plus longtemps ?
Ce livre, je l'imaginais être ma destinée, celle qui criait : tu es fait pour être écrivain, pour être lu.
Puis, j'ai cru qu'il n'était rien d'autre qu'une déroute, qu'un moment où un chat avait espéré être autre chose.
Toutefois, aujourd'hui, j'ai commencé un autre ouvrage, la cinquième montagne, et je me sens plus serein. Comme si ce second texte répondait à toutes mes angoisses. Touts ces moments où je me suis dit : tu n'en vaux pas la peine. Arrête de persister. Tu ne vois pas qu'il y a mille écrivains meilleurs que toi qui cherchent à gravir le Mont Édition?
Puis mes prunelles fendues se sont posées sur les lignes de ce livre. J'ai entendu une phrase que j'avais lue dans l'alchimiste : "l'univers conspire à te permettre de réaliser ton désir".
Et j'ai vu ce qui coinçait... Tous ces refus. Toute cette déprime. Ce besoin de continuer malgré le désappointement des animaux qui m'entouraient. Ces cycles où j'en venais à voir des nuages noirs obscurcir ma vision. J'avais le sentiment d'écrire ma propre tragédie, de couler sous le poids de mon envie déraisonnable. Mais, en soi, était-ce une punition ou ma route vers l'accomplissement ?
Je ne saurais pas te l'affirmer, car je suis encore au stade de la divagation.
Je ne vois pas encore l'ombre d'une réussite.
Cependant et sans orgueil, je sens que j'ai accomplie un acte favorable à mon évolution.
Je ne suis plus le jeune auteur. Le chat dépérissant à chaque refus.
Oh ! Cela se serait mentir que de te dire : j'accepte facilement le rejet.
Non ! Ça fait toujours aussi mal. Mais je me remets plus vite au travail et tente d'améliorer ma plume.
Toutefois, je garde une peur au fond de moi. J'ai peur du temps ! Peur qu'il file avant que je puisse dire, et bien c'était laborieux, mais ça reste une magnifique expérience... Pourvu qu'on me laisse le droit de le dire, alors que mon poil est encore noir.
J'ai compris que tous ces doutes et ces embûches étaient là, non pour me décourager, mais pour me faire avancer vers cette légende... La mienne.
Il est peut-être trop tôt pour t'avouer tout ça.
Et si je me trompais ?
Tu vois ! Le doute est une seconde peau chez moi...
Au plaisir de retrouver une lettre de ta part, accrochée à notre arbre de correspondance.
NocMyst.
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