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Il allait ouvrir la portière quand soudain sa Ford fut violemment secouée ; un crissement métallique le hérissa et une ombre emplit l’intérieur. Charlie leva les yeux au ciel.
Le premier profil qu’elle lui présenta fut celui de ses jambes en contre-plongée, habillées de bas en laine, et de sa petite culotte bleue dissimulée, sauf à lui, sous une jupe aux motifs écossais. Elle s’était plantée sur le toit de la voiture. Charlie en sortit comme il put :
« Hey ! Descendez de là, qu’est-ce vous faites ? ». Il ne la distinguait que dans le contre-jour des enseignes lumineuses derrière elle.
« Je regarde si ça redémarre... Mais on dirait que non, répondit-elle, d’une voix haut perchée.
- Descendez, vous allez rayer mon Eternity !
- Oooh, ça va ! », lança-t-elle en sautant du toit.
Elle tomba dans ses bras en riant et plongea ses yeux bleu clair dans les siens. Le cœur de Charlie martela. Elle devait avoir vingt-cinq ans tout au plus ; son visage, très fin, n’avait pas encore cédé une seule ride à l’impatience du temps. Elle le fixait avec un petit sourire en coin, indifférente aux quelques mèches rubigineuses qui striaient sur sa joue. Malgré l’épaisseur de son manteau gris sombre, Charlie sentit sous ses bras la respiration d’un corps gracile et vigoureux, qui soulevait contre lui des seins émouvants.
« Et maintenant ?, demanda-t-elle d’un ton espiègle, tout à fait consciente de l’effet qu’elle produisait.
- Euuh... Je...
- J’ai un peu froid, tu me fais entrer ?
- Euuh, oui... Oui ! »
Sans qu’il ait eut le temps de l’ordonner, les sièges pivotèrent pour se placer face à la banquette arrière, en configuration « réunion ». Ils entrèrent au chaud. Elle s’empara du Jack Daniel’s, essaya de courtes gorgées puis le tendit à Charlie avec une moue contenue de dignité. Il rendit son honneur à la bouteille, fixa son invitée quelques instants, et mâcha :
« Tu sors d’où ?
- D’ici, s’amusa-t-elle.
- Tu vis à New-York, c’est ça ? Quel secteur ?
- Plutôt Manhattan, mais la plupart du temps dans la rue. »
Il promena son regard sur la beauté de son corps pendant qu’elle quittait son manteau, libérant des formes avenantes, cintrées dans une chemisette d’écolière blanche.
« Tu ressembles pas à une flle qui vit dans la rue, bafouilla-t-il en la pointant du doigt, de haut en bas.
- Ah oui ? Je ressemble à quoi alors ? »
Il soupira :
« À un rêve... »
Elle accueillit le compliment avec un large sourire et les pensées de Charlie s’embrasèrent. Il osa :
« Et... Tu vas où ce soir, je veux dire, à part sur le toit de ma voiture ?
- Pour l’instant nulle part avec ce trafic. Mais je n’avais rien de prévu de toute façon... Passer la nuit dans la rue, à regarder les gens vivre ». Et, posant sa main sur le genou de Charlie, elle murmura : « Mais j’ai l’intuition que c’est en train de changer ! ».
Elle rit aux éclats en s’allongeant brusquement sur la banquette et croisa les jambes. Il rit avec elle, ébloui et captif. Sa playlist diffusait, à propos, un vieux classique de Garey Godson.
I don’t want no virtual love,
Why you gotta treat me like an enemy ?
All you left for me is just some memories,
Looking from a distance got me staring at the galaxies.
Ils proftèrent quelques secondes de l’éloquence de l’instant, elle les yeux tournés vers les galaxies au travers du toit vitré, lui alangui par les constellations roussâtres de son visage. Sortant d’une douce rêverie, elle reprit :
« Et toi ? Tu allais quelque part ?
- Oh, moi... », soupira-t-il avant d’embrasser à nouveau la bouteille.
Son visage se ferma un peu, creusé par des songes douloureux. Puis, prenant une profonde inspiration, il parla. Il raconta Selena, leur amour univoque, son asservissement, les probables amants qu’elle ne taisait qu’à lui, les regards captieux de leurs amis communs, le miroir qu’elle opposait à sa médiocrité, et les angoisses rémanentes que cette condition provoquait, sans parler de tous ces sursauts dans le silence et de cette peur, constante et algide.
Il tremblait un peu quand il eut terminé ; l’ivresse l’avait visiblement mené bien plus loin que ce qu’il était capable d’atteindre seul. Apitoyée, elle se redressa lentement et commenta :
« Bah dis donc, on dirait que tu as bien besoin d’une nouvelle vie, toi. »
Charlie haussa les sourcils, son visage se ralluma dans un léger sourire. Ces élans de naïveté, décidément, lui plaisaient.
« Tu as raison, acquiesça-t-il, et tu sais quoi, c’est exactement ce que j’ai prévu de faire ce soir. Faire exploser le monde en place et reconquérir mon royaume ! »
Elle plissa des yeux, la lippe dubitative, et intima :
« Il y a plusieurs mondes, tu sais.
- Comment ça ?, fronça-t-il.
- Disons que ta vie actuelle est le fruit de tous les choix que tu as faits jusqu’ici, pas vrai ? Tu veux changer les choses ? C’est un choix, et si tu veux mon avis, c’est ce que tu as de mieux à faire ! Mais après ça, quoi, tu veux rebattre les cartes de ce même monde ? C’est le choix que tu veux faire juste après ? Rester dans ce monde ? » Elle se redressa complètement et approcha son visage de celui de Charlie : « Et si tu jetais un œil à tes autres options ? ». Son souffle était délicieux et grisant.
« Mes autres options ?, balbutia-t-il.
- Oui ! Si tu avais un choix à faire là maintenant, à cette seconde... », attisa-t-elle, un peu plus proche encore.
Il la fixa. Elle le fixait. Malicieuse de tout son être, la respiration suspendue. Il comprit.
« On se connaît à peine... Ce serait de la folie, murmura-t-il.
- La folie permet tout. La folie exauce les rêves et ouvre d’autres mondes. »
Elle déposa doucement un baiser sur le coin de sa bouche et recula pour s’adosser à la banquette, sans le quitter du regard. Les néons de la rue la baignait d’une lueur irisée, chatoyante et hypnotique. Le temps marqua le pas. Pour une éternité. Elle ébaucha un sourire et les yeux de Charlie dessillèrent :
« Oui. Soyons fous. » Il sourit à son tour. « Putain, oui, ouvrons ce monde ! » Elle lui prit la main et il ajouta, convaincu : « Je n’abandonnerai pas la voiture, je n’irai pas rejoindre cette garce et toute sa suite d’intrigants, je n’ai jamais voulu le faire ! Je reste ici, avec toi...
- Avec moi ! », valida-t-elle en lui prenant la bouteille des mains. Sa lampée pleine d’enthousiasme lui coûta une quinte de toux bruyante qui les fit rire aux éclats, comme un prélude au bonheur. Il liquida le fond de whisky, ignorant les vertiges.
« Tu sais quoi, on va fêter cela comme il faut. Viens avec moi !, l’enjoignit-il en s’échappant de l’habitacle dans un mouvement.
- Je te suis ! »
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