- Chapitre 25 -

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Lundi 21 septembre 2020, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Avec un petit soupir, Michael s’installa au bureau des adolescents en touillant le café qu’il s’était acheté à un distributeur automatique quelques minutes plus tôt. On ne pouvait pas dire qu’il avait beaucoup mieux dormi pendant la semaine qui s’était écoulée. Même la caféine en forte dose dans son sang ne chassait pas les plis soucieux et les cernes de son visage habituellement espiègle.

— Un petit gâteau ?

C’était Ryu qui lui tendait, tout sourire, leur panière à biscuits, barres de céréales et briques de jus de fruits. Avec un sourire en coin, Mike en récupéra un au beurre de cacahuète puis déchira distraitement l’emballage. Il malmenait la touillette de son café avec ses dents.

— Alors ? ronchonna Jim dans son dos, installé au bord de son lit. C’est quoi, les nouvelles ?

— Pas grand-chose, avoua Michael en croquant dans son biscuit. Jeremy, tu es sûr de ce que tu affirmes à propos de la femme armée qui t’a poursuivie ? Elle n’a mentionné aucune organisation, elle ne portait pas un insigne ou quelque chose comme ça ?

— Non, soupira l’adolescent d’un air abattu. Elle portait des vêtements normaux. Elle m’a rien dit à part « Reviens, reviens, je veux pas te faire de mal » blabla…

— Mmh. Et Thalia et Maria… Tu es certain qu’elles n’ont pas quitté l’appartement ? Peut-être qu’elles n’ont pas enlevées chez toi ?

— Mike, l’appart était complètement saccagé… Et pour les caméras, du coup ?

— Il y en a pas dans ta rue, expliqua Michael en se retournant. J’ai envoyé des mandats pour les commerces à proximité de chez toi.

Parrain et filleul se fixèrent en silence, aussi déroutés l’un que l’autre. Comme Jim broyait ses mains l’une dans l’autre sous le coup de l’angoisse, l’homme se pencha pour les agripper gentiment. Il adressa un sourire réconfortant à l’expression découragée de l’adolescent.

— On va les retrouver, mon p’tit gars.

— Et si c’est du trafic d’êtres humains ? chuchota Jeremy en pâlissant.

— Aux dernières nouvelles, les trafiquants ne vont pas cueillir leurs victimes chez elles. Ils s’exposeraient trop. (Comme ses propos ne semblaient pas consoler le garçon, Michael lui serra l’épaule puis murmura :) Jem, faut que tu te prépares à recroiser la route de ton père.

— Non, asséna-t-il en levant un regard buté vers son parrain.

Mike esquissa un sourire en coin en serrant plus fort l’épaule de son filleul.

— Au combat du plus obstiné, je te colle aux chausses, Jemmy. (Il posa un doigt sur les lèvres maussades de l’adolescent avant qu’il ait pu répliquer.) Je vais prévenir Ethan, quoi que tu en penses. De toute manière, j’ai du mal à lui cacher les choses ; il a senti que j’étais différent depuis une semaine.

— Mais pourquoi ? siffla Jeremy en se recroquevillant sur le bord de son lit. Mike, ça a aucun intérêt ! Il se fiche de nous, je l’ai pas revu depuis huit ans, on a rien à voir…

— Hep-hep. Il ne se fiche pas de toi. Tu l’as sûrement oublié, mais c’est aussi le père de Thalia. L’ex-compagnon de ta mère. Vous êtes sa famille et je ne dis pas ça à la légère.

— Il en fait pas partie, cracha Jim d’une voix méprisante en secouant la tête. Il y a perdu sa place il y a des années, cette espèce de vieux croulant.

Un gros soupir affaissa la poitrine massive de l’agent. Assis sur son propre lit, Ryusuke lui adressa un petit sourire compatissant. L’entêtement de Jim en avait agacé plus d’un. Ils s’étaient disputés plus d’une fois à cause de l’obstination parfois horripilante de Jeremy.

— Écoute, Jem, c’est très simple : soit tu acceptes que je prépare le terrain des deux côtés et on limite la casse. Soit je préviens simplement ton père de la situation et tu risques de te retrouver avec « cette espèce de vieux croulant » aux basques.

Crispé, Jeremy le lorgna d’un air méfiant sans prendre la peine de répondre. Mike se trompait : même s’il prévenait Ethan, il ne chercherait pas à le retrouver. Son père ne l’avait jamais fait en huit ans ; alors pourquoi le ferait-il aujourd’hui ?

— Je te promets de faire ça en douceur, ajouta Michael après quelques secondes de silence. Tu peux lui parler au téléphone dans un premier temps si tu le souhaites.

— Et puis quoi encore ? Je saurais même pas quoi lui dire.

— Comment tu vas. Que tu t’inquiètes pour ta mère et sa sœur. Que tu lui expliques la situation, ce qui s’est passé il y a deux semaines… À propos d’Alexander, aussi.

À la mention de son recruteur, Jim se renfrogna un peu plus. Pourquoi avait-il écopé du mauvais côté de la pièce ? Ryu avait passé la veille à se balader en ville avec Dimitri, alternant pause au parc, restaurant et cinéma. Alex ne s’était pas manifesté depuis leur dispute d’il y a une semaine. Jeremy n’était pas certain de savoir s’il en était soulagé ou agacé.

— Tu as des nouvelles d’Alex ? finit-il par marmonner du bout des lèvres, le regard planté sur son sac de cours effondré au pied du lit.

— Alexander ? Oui, je l’ai croisé rapidement il y a trois jours, après son opération de terrain. Ça a été un succès, d’ailleurs. Dimitri et lui ont enlevé une sacrée épine du pied de Sludge. Enfin, de votre quartier, du moins.

— Oui, Dimitri m’a dit, intervint Ryu avec un sourire mi-soulagé mi-triste. Il m’a aussi dit que, malheureusement, une autre de ses victimes est morte de ses blessures dans l’une des cachettes.

Complètement perdu, Jim se redressa en agitant les mains.

— Euh… de quoi vous parlez ?

— Alex t’a pas dit ? s’étonna son ami en haussant les sourcils.

Jeremy pinça les lèvres en secouant la tête, le regard sombre.

— Non, il me dit rien. Alors ?

— Dimitri et lui ont mené une opération pour arrêter Kurt Dert, le tueur et violeur en série qui sévissait dans votre quartier.

— Oh.

Un frisson d’effroi remonta la colonne vertébrale de l’adolescent au souvenir de la scène à laquelle il avait assisté. La petite fille qui avait été poignardée et violée sous ses yeux devait avoir l’âge de Thalia. Jeremy sentit une vague d’accablement enfler en lui et il se détourna vers la fenêtre. Il faisait beau. Est-ce qu’il faisait beau là où se trouvaient sa sœur et sa mère ? Est-ce qu’elles allaient bien ?

Étaient-elles au moins vivantes ?


Michael était sorti de la chambre des garçons et s’était perdu dans la contemplation des couloirs. La peinture avait été refaite, les lustres changés, l’ameublement modernisé, mais… ça restait l’internat dans lequel il avait passé son collège et son lycée. Les années qu’il avait partagées avec des amis qu’il fréquentait encore aujourd’hui. Sourire nostalgique aux lèvres, il déambula le long du deuxième étage, jetant des coups d’œil amusés aux élèves qui couraient d’une chambre à l’autre, à ceux qui s’extasiaient devant des jeux vidéo dans les espaces détente, à ceux qui discutaient dans la cuisine commune ou la laverie automatique.

Combien d’années qu’il n’y avait pas remis les pieds… ?

— Agent Lohan ?

Surpris, Mike se retourna et esquissa un signe du menton à Dimitri qui approchait, sa veste sur l’épaule et Alexander sur les talons.

— Vous allez bien ? les salua Michael en s’arrêtant à leur hauteur.

— Ça va, acquiesça Dimitri avec un sourire poli. On venait voir les garçons. Ils sont dans leur chambre ?

— Oui.

Alors que Dimitri prenait la direction de la pièce en question, Alex dévisagea Mike à la dérobée avant de se décider à parler.

— Est-ce que je peux vous poser quelques questions ?

À la fois étonné et amusé de sa réserve embarrassée, Michael esquissa un sourire en coin.

— Eh bien, ça dépend, Alexou. Si c’est pour connaître la recette de mon charisme fulgurant, tu peux toujours courir.

Devant l’air pince-sans-rire de son aîné, Alexander ne sut pas comment réagir immédiatement. Mike finit par s’esclaffer avant de lui adresser un sourire encourageant.

— Je t’écoute.

— C’est à propos de Jeremy… Je… (Alex fronça les sourcils, pinça les lèvres avec frustration puis marmotta :) J’arrive pas à le cerner. J’ai parfois l’impression qu’il se moque éperdument de moi et d’autres fois qu’il me hurle en silence de m’intéresser plus à son cas. Je sais pas sur quel pied danser.

Avec un air malicieux, Mike toisa son cadet de ses yeux argentés avant de soupirer.

— Tu n’as pas à t’en vouloir, Alexander. Je pense que Jeremy lui-même ne sait pas ce qu’il veut. Je crois que le mieux est que tu lui imposes ta vision des choses. Mais, si je peux me permettre de te conseiller, ne sois pas trop sur son dos ni laxiste. C’est un peu ton rôle de recruteur : il est déconseillé de s’attacher émotionnellement à sa Recrue, mais tu dois quand même l’accompagner dans la réussite. Or, un gamin malheureux, ça ne réussit pas franchement.

Même si ça ne lui donnait pas un mode d’emploi pour réussir l’encadrement de sa Recrue, Alex était déjà soulagé. Il avait eu peur que Mike se moque de lui ou l’accuse d’être trop froid avec l’adolescent. En fin de compte, il lui avait simplement prodigué des conseils avisés, tout en lui laissant le champ libre. Reconnaissant, l’agent observa son aîné tandis qu’ils se dirigeaient vers la chambre des garçons. Jusqu’ici, Michael n’avait été qu’un collègue avec qui il entretenait une relation polie et distante. Un aîné qui avait supervisé quelques-unes de ses missions, sans pour autant qu’ils coopèrent réellement. Ils appartenaient à deux sections différentes et ne s’étaient pas tant croisés que ça.

— Et… reprit Alexander d’un ton pressant avant qu’ils n’entrent dans la chambre. Par rapport à l’agent Sybaris… je dis toujours rien ?

— J’essaie de régler ça, justement, soupira Michael en se frottant la nuque. Mais Jem est une vraie bourrique, va falloir que je creuse encore un moment avant d’atteindre sa cervelle rebelle.

Alex retint un sourire face à l’air bougon de l’agent puis souffla :

— Et je me demande aussi… je devrais pas… faire des efforts ? Changer de comportement ?

— Par rapport à quoi ?

— Eh bien… Jeremy… est quand même le fils d’un collègue et d’un supérieur. Je devrais peut-être pas me montrer aussi familier avec lui.

À ces propos, Michael éclata de rire puis asséna une claque puissante entre les omoplates d’Alex, ce qui le fit trébucher.

— Jemmy sera le premier à se foutre de ta tête si tu commences à faire ça. Pour ta santé mentale, je te déconseille.

Avec un dernier clin d’œil moqueur, Mike poussa la porte de la chambre. Dimitri était assis sur le lit de Ryu et discutait à voix basse avec ce dernier. Le garçon affichait un sourire rayonnant qui rassura Mike. Ryusuke, malgré son air affable et son apparente jovialité, était un être que Michael n’avait pas toujours réussi à cerner. Il avait toujours senti une espèce de réserve dans son expression enjouée ou ses paroles chaleureuses. Comme s’il ne croyait pas toujours lui-même à ce qu’il ressentait ou disait. Jeremy était peut-être plus renfermé, mais, quand il témoignait ses sentiments, c’était le plus souvent sincère.

Sans un mot, Alexander ferma la porte derrière lui puis s’assit sur l’une des chaises du bureau. Les roulettes émirent un grincement qui arracha Jim à sa contemplation de la cour de l’École. Il adressa une moue perplexe à son recruteur.

— Salut, souffla Alex avec une grimace en se rappelant qu’il avait laissé le garçon en larmes la dernière fois qu’il l’avait vu.

— Salut.

Maussade, Jeremy retourna immédiatement à son observation du bâtiment en face. Les nuages et les pigeons lui semblaient soudain plus intéressants que le visage fermé d’Alexander.

— Je… (Alex se maudit en silence de son manque d’assurance devant un gamin de treize ans puis reprit d’une voix plus ferme :) Je suis désolé, Jeremy.

— Pour quoi ? s’étonna l’adolescent en lui jetant un regard d’incompréhension.

— Pour la semaine dernière. Lundi dernier, on s’est engueulés et j’ai été assez dur avec toi. Puis je t’ai pas donné de nouvelles de la semaine. Un recruteur n’est pas censé se comporter comme ça. Je… j’essaierai de faire des efforts.

N’en croyant pas ses oreilles, Jim le dévisagea la bouche entrouverte avant de se détourner. Il n’était pas habitué à ce qu’un adulte lui présente des excuses. Un sentiment d’urgence gonfla en lui tandis qu’il se remémorait leur dispute passée… lui non plus n’avait pas été tendre.

— M-Moi aussi, bredouilla-t-il en se tordant les mains. Désolé.

Alexander retint à temps une exclamation moqueuse. Il n’aurait jamais cru que Jim puisse mettre sa fierté de côté pour s’excuser. Peut-être qu’il était un peu moins buté qu’il ne le pensait.

— Bon, glissa Michael en venant s’asseoir près de son filleul sur son lit. Voilà qui est réglé.

Il pinça affectueusement la joue de Jeremy, qui poussa aussitôt un geignement indigné.

— Ça me chagrinait de vous savoir en froid, avec Alexou.

Michael tapa dans ses grandes mains, se redressa puis consulta du regard les quatre personnes dans la pièce. Alexander et Dimitri l’observaient avec attention, comme s’il s’apprêtait à leur donner des consignes pour une mission. Ryusuke conservait les commissures des lèvres légèrement relevées, mais la tête penchée sur le côté. Ça, c’était le signe qu’il était encore un peu ailleurs. Mike espérait lui arracher un vrai sourire d’ici la fin de soirée. Le rire de Ryu était un peu comme celui de Thalia : il vous mettait le baume au cœur.

Jim le bouda quelques secondes avant de daigner lever les yeux vers lui. Entre toutes les prunelles posées sur lui, c’étaient celles dépareillées de l’adolescent qui s’exprimaient le plus. Entre la peur sourde qui vacillait toujours dans l’éclat méfiant de ses iris et son agacement perpétuel luisaient l’admiration et l’affection sincères qu’il avait pour Michael depuis des années.

Avec un petit sourire affectueux, Mike posa l’index sur le bout du nez de son filleul sans le quitter des yeux. L’adolescent recula sur son lit en marmonnant tout bas.

— Des pizzas, ça vous dit ?

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