- Chapitre 49 -

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Jeudi 24 décembre 2020, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Ryu aidait Thalia à mettre la table quand la sonnette envoya quelques notes mélodieuses dans l’appartement de Michael. Comme ce dernier était occupé à couper les pommes de terre, Maria jeta son torchon sur une chaise et se hâta vers la porte.

Derrière le battant, la femme sobrement habillée d’une robe longue sous un épais manteau noir lui adressa un mince sourire. Les plis autour de sa bouche frémirent, de même que les ridules aux coins de ses yeux. Sa joie en était d’autant plus visible qu’elle ne souriait pas souvent.

Lorsqu’elle pénétra dans la chaleur de l’appartement décoré avec soin, Caterina Amati huma sans gêne l’odeur de la viande en train juter dans le four

Mamma, souffla Maria en l’embrassant sur la joue avant de lui prendre son manteau. Il y avait pas trop de circulation ?

— Je suis venue à pied, répondit-elle d’une voix égale en recouvrant son visage placide.

Mio Dio, soupira Maria en retournant vers la cuisine, je comprends pourquoi tu es glacée.

Même si sa mère habitait elle aussi dans le centre, elle avait bien dû marcher une demi-heure.

Mike salua Caterina depuis la cuisine avec politesse. Après lui avoir rendu son salut, la femme ne tarda pas à rejoindre sa petite-fille, qu’elle prit dans ses bras avec force.

Tesoruccia, murmura-t-elle en l’embrassant sur le front. Tu m’as tellement manqué, ma chérie. J’ai eu tellement peur pour toi.

— Tu m’as manqué aussi, nonna, bredouilla la fillette d’une voix tremblante.

Le visage de sa grand-mère se creusa plus profondément face à sa fébrilité. Elle avait appris assez tard, pour la disparition de sa fille et de sa petite-fille. Maria et elle ne se contactaient pas très souvent, si bien que Caterina n’avait su pour leur enlèvement qu’un mois après les faits, par le biais d’une connaissance commune. C’était le Dr Adams, le médecin de famille des Wayne, qui lui appris la mauvaise nouvelle au détour des couloirs de S.U.I. Ils travaillaient tous les deux pour la société, lui à mi-temps à la clinique privée de l’organisation, elle en tant que responsable des équipements textiles et accessoires.


Quand Caterina lâcha Thalia, elle se tourna vers Ryu, qui lui adressa un sourire affable.

— Maman, je t’ai déjà parlé de lui, intervint Maria en allant poser une main bienveillante sur l’épaule du jeune adolescent. C’est Ryusuke, le copain de Jeremy. Je lui ai proposé de passer la soirée avec nous, car…

Embarrassée, Maria marqua une pause, que le garçon se hâta de remplir :

— J’ai perdu mon oncle cet été. C’était ma dernière famille. Alors… Maria m’a proposé de venir.

Caterina posa un regard compatissant sur le garçon. Ce n’était pas le premier adolescent orphelin qu’elle rencontrait. Et même si elle était étonnée de la dévotion de sa fille pour cet étranger à leur famille, elle s’abstint de toute remarque.

— Cinq couverts ? s’étonna Caterina en contemplant la table. Vous n’avez pas invité…

Elle laissa sa phrase en suspens, mais Maria en devina aisément la fin. L’ovale de son visage se tendit, ses mains tordirent le chiffon.

— Ethan pourra fêter Noël avec Thalia demain. On s’est mis d’accord là-dessus.

Caterina haussa un sourcil, mais n’émit aucun commentaire. Son ex-non-gendre n’avait jamais vraiment su trouver une place dans son cœur. C’était encore plus le cas depuis qu’il s’était séparé de leur famille.

— Votre opération avance ? reprit-elle en se tournant vers Michael. Maria m’a dit que ton unité et celle de deux autres collègues montaient un plan pour récupérer Jeremy.

Mike ne chercha pas à mentir ou à souffler de vains espoirs à cette femme. Elle en avait vu, vécu, enduré assez pour comprendre que le monde ne tournait pas comme on le souhaitait.

— On avance lentement, avoua-t-il d’un ton sourd, la mâchoire serrée. Notre plus gros souci, c’est qu’on connaît pas les motivations d’Edward. Sans cette info, on peut pas vraiment déterminer où il a emmené Jem. On se doute que c’est au siège social de la Ghost, car c’est là-bas qu’il travaille, mais on est pas sûrs. (Mike permit à un petit rire étranglé de franchir ses dents crispées.) C’est assez démoralisant, comme mission. Jeremy nous a laissé aucun indice.

— Rien du tout ? maugréa Caterina en fronçant les sourcils. Je sais bien que ce petit manque de jugeote, mais quand même.

Michael esquissa un sourire tordu puis reposa le couteau avec lequel il avait découpé tout un saladier de patates. Comme sa main tremblait de colère, il craignait de se couper.

— Il a juste laissé un message à Ethan. Dans lequel il s’excuse et explique pourquoi il a décidé d’accepter le marché de son oncle. Mais pas une info sur les conditions de leur rencontre ou de l’échange.

Sidérée par la suite d’événements qui avaient eu lieu en quelques mois, Caterina poussa une exclamation dépitée puis se laissa choir sur une chaise.

— Je ne comprends pas ce qu’Edward attend de ce petit, songea la femme en observant distraitement sa petite-fille. Il avait Thalia sous la main. Et il n’a pas cherché à faire pression sur Ethan, ni sur toi, Michael. Jeremy n’est doué dans aucun domaine, qu’est-ce qu’il lui veut ?

Maria se crispa à la tournure de phrase, mais ne réfuta pas.

— On ne sait pas, mamma, chuchota-t-elle en s’asseyant à son tour. Je crois que le mieux qu’on puisse faire, c’est attendre. Attendre d’avoir des nouvelles, des réponses, des opportunités pour récupérer Jemmy.

Yeux sombres, lèvres plissées, Caterina hocha lentement la tête. Même si, dans un coin de son esprit, elle souhaitait que l’aîné de sa fille reste loin de leur famille pour un moment encore.


Thalia et Ryusuke étaient allongés côte à côte dans le canapé-lit déplié du bureau. Mike avait laissé son lit à Maria et sa mère et sorti un vieux matelas gonflable pour se faire un couchage. Mais il n’était pas encore couché, Thalia l’entendait discuter à voix basse avec sa mère dans le salon.

— Ryu ? chuchota-t-elle dans la pénombre. Tu dors ?

— Non.

Il se tourna vers elle et devina les reliefs de son visage : son menton rond, ses joues pleines malgré sa minceur, son petit nez curieux, son front volontaire.

— Jimmy te manque ?

— Oui. Tous les jours. (Plus doucement, il ajouta d’une voix inaudible pour son interlocutrice :) J’aimerais qu’il me manque moins.

Thalia resserra la couette contre elle, mais elle ne lui apporta pas la chaleur qu’elle espérait.

— Il me manque beaucoup. On a jamais été séparés comme ça. Pas depuis l’hôpital.

Ryu devina plus qu’il ne vit le sourire fébrile de la petite fille.

— J’échangerais tous mes stylos pour le revoir.

— Et moi, j’échangerais tous mes livres pour l’entendre râler.

Un rire plein de sanglots gargouilla dans la bouche de Thalia. Ryu crut entendre le dévalement de ses larmes sur ses joues.

— Et puis tous mes trésors, ajouta-t-elle d’une voix trébuchante. Tous mes trésors de ma boîte aux trésors. Maman l’appelle comme ça, parfois, mon trésor. Et ben c’est mon trésor à moi aussi.

Ryu s’approcha de la fillette pour passer un bras autour de sa silhouette menue. Thalia essayait d’enfermer ses sanglots dans sa poitrine, de restreindre ses larmes à ses paupières fermement plissées, de réprimander les tremblements qui la secouaient de la tête aux pieds. S’en rendant à peine compte, Ryu la serra contre son cœur, caressa ses cheveux soyeux, lui murmura une mélopée de chuchotements réconfortants.

Quelque part, il aurait aimé que ce soit Jeremy au creux de ses bras.


L’horloge affichait presque midi. Ryu feuilletait les romans de fantasy et science-fiction qu’il avait reçus plus tôt. Thalia était en train d’essayer son nouveau set de coloriage – sensiblement le même que Michael avait offert à Jeremy un an plus tôt et que Thalia avait échangé contre un collier. Ils redressèrent en même temps quand la sonnette se déclencha.

— C’est Ethan ? s’enquit Caterina en levant le nez de la tablette que sa fille lui avait offerte.

— Eth’ a dit qu’il venait pour midi et demi. C’est peut-être Dimitri, suggéra Mike en allant ouvrir. Eh oui !

Son collègue lui adressa un regard étonné, mais ne tarda pas à sourire.

— Bonjour Michael, j’espère que je ne dérange pas ? Joyeux Noël avant tout !

— Joyeux Noël, souffla Michael en retour avant de le laisser entrer. Et, non, tu déranges absolument pas. Ryu, c’est pour toi !

Même si le garçon avait accepté avec plaisir l’invitation de Maria à passer le réveillon de Noël ensemble, il avait aussi prévu de partager le jour férié avec son recruteur. Dimitri lui avait donc proposé d’être avec lui le jour-J.

Ryusuke rassembla ses affaires avec hâte, ragaillardi par la présence maintenant familière de Dimitri. Thalia s’efforça de masquer son air déçu quand il la serra dans ses bras. Près de la porte, Maria le retint quelques secondes contre elle, l’embrassa sur le front avant de le laisser partir avec un sourire encourageant. Mike lui ébouriffa les cheveux avec un clin d’œil puis ferma le battant derrière lui dès que l’adolescent eut salué tout le monde.

— Tout s’est bien passé ? s’enquit doucement Dimitri une fois qu’ils furent installés dans sa citadine qui embaumait le café et la citronnelle.

— Très bien, j’ai eu des livres !

— Parfait, sourit l’homme, qui s’était mis d’accord en amont avec Maria sur les cadeaux à offrir pour éviter les doublons.

Ils discutèrent de tout et de rien sur le chemin de l’appartement de l’agent. Dimitri avait décelé l’éclat de chagrin dans les prunelles noires de l’adolescent malgré son expression détendue. Il ne voulait surtout pas se risquer sur des sujets trop sensibles ni jeter plus de pleine dans le cœur du garçon.


Dès que Ryu eut terminé de ranger ses affaires dans le bureau-chambre d’amis, il retrouva son recruteur à la salle à manger. Tout sourire au milieu de sa barbe sombre, Dimitri lui tendait un petit paquet rectangulaire.

— Merci beaucoup… souffla Ryu en récupérant précautionneusement le cadeau. Je suis vachement gâté.

— Tu le mérites, répliqua Dimitri en s’asseyant. Désolé de ne pas avoir pu t’offrir ça avant.

Ryu venait d’arracher l’emballage pour dévoiler le boîtier d’un téléphone portable. Soulagé d’en obtenir un après tant de mois d’attente, il se hâta de sortir l’appareil flambant neuf de sa boîte.

— Génial, s’exclama-t-il en s’empressant de chercher la notice d’emballage et les écouteurs fournis avec. Merci, Dimi, merci.

Dimitri l’observa en souriant tandis que sa Recrue démarrait le téléphone et l’étudiait sous toutes les coutures.

— Je vais pouvoir ajouter ton numéro. Celui d’Alex. Et celui de Jer…

Ryusuke se tut, ferma les yeux quelques instants, se maudit mentalement d’y avoir songé. Voilà, la peine était de retour. Les images de son ami, de son sourire rare, de son regard vif, de sa moue renfrognée.

— Ryu…

La main de Dimitri sur son bras. Lacéré de l’intérieur par les souvenirs et les remords, Ryusuke reposa le téléphone et s’assit lourdement. Les doigts de son recruteur se firent plus insistants autour de son bras.

— Ryu, j’ai autre chose pour toi.

À moitié hébété par la souffrance qui l’avait envahi, Ryusuke resta amorphe alors que Dimitri récupérait une enveloppe sur la table pour la lui tendre.

— C’est quoi ?

— Lis, lui intima simplement Dimitri d’un air grave.

Paupières papillonnantes, Ryusuke déplia l’enveloppe pour en tirer doucement la lettre à l’intérieur. Il y avait un cachet et le nom d’un organisme qu’il ne connaissait pas en haut-de-tête. Il aperçut le nom de Dimitri, le sien, mais dut parcourir quelques lignes avant de comprendre la nature du document.

« Demande de procédure d’adoption »

Le cœur de Ryu manqua un battement, accéléra brutalement, puis cahota dans sa poitrine. Médusé, il releva un regard cave vers Dimitri, qui se frottait le visage avec gêne.

— Je sais que c’est un peu rapide, ça fait même pas quatre mois qu’on se connaît, mais…

Ses mots moururent sur les larmes de Ryu. Il avait lâché la lettre d’ébahissement, oublié de respirer et lorgnait l’espace vide entre Dimitri et le mur.

Demande

Procédure

Adoption.

Nouveau foyer, nouvelle vie. Avec Dimitri.

— Je… je… hoqueta Ryusuke en chassant de nouvelles larmes de ses yeux brûlants.

— Pardon, Ryu, je te mets dans un état pas possible, se morigéna Dimitri en se levant.

Il poussa la lettre de côté, resta planté quelques secondes à côté de sa Recrue les bras ballants puis carra les mâchoires. Maladroitement, il se pencha vers le garçon et le serra gentiment contre lui. Ryusuke s’agrippa à son bras pour être certain de ne pas basculer et enfonça le front dans son épaule solide.

— Merci, parvint-il à croasser entre deux hoquets incontrôlables. Merci.

Dimitri ferma les yeux en soupirant de soulagement. Ce mot voulait tout dire.

Il voulait dire qu’il avait pris la bonne décision.

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