- Chapitre 52 -

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Lundi 3 mai 2021, Parc national du Grand Bassin, Nevada, États-Unis d’Amérique.

La prof de sport toisait la classe d’un air dubitatif. Ils étaient un peu moins de vingt, tous âgés de quatorze ou quinze ans. Le groupe avait reçu de nouveaux élèves, trois depuis le début du printemps, et en avait perdu quatre autres au profit des 16-18.

Mme Kairuij en accueillait deux en ce début de semaine. Ils correspondaient aux matricules 15 et 33 et étaient plus petits que le restant de leurs camarades. Il y aurait sûrement quelques moqueries et brimades le temps qu’ils s’endurcissent.

— Bienvenue à vous, lança la professeure en s’approchant des nouveaux élèves.

Elle les jaugea un par un avant de faire demi-tour sans un mot. Le restant de la classe observait les deux étudiants avec des sourires en coin et de messes basses.

— Bande de cons, soupira la fille aux côtés de Jim.

— Commencez l’échauffement, leur ordonna placidement Mme Kairuij en se laissant choir sur une chaise au plastique au milieu de la salle d’entraînement vide de toute fioriture.

Jeremy et sa camarade prirent exemple sur leurs aînés et se placèrent en queue de peloton. Les tours ne tardèrent pas à s’accumuler et à jeter de la sueur sur leur nuque. Jim finit par remonter le groupe, abandonnant une partie de la classe derrière lui. Il était en tête de course avec trois autres élèves quand la professeure donna un coup de sifflet qui les arrêta tous.

— Bien, se contenta de déclarer cette dernière avant de désigner les cerceaux d’un mètre cinquante de diamètre disposés au sol. Formez des binômes et répartissez-vous. L’objectif de l’exercice est de pousser l’adversaire à franchir le cerceau. Vous utilisez les prises que vous souhaitez, mais aucun coup à la tête ne doit être porté.

Comme certaines étudiants se mettaient à grommeler, Mme Kairuij renifla d’irritation et précisa :

— La plupart des gens s’attendent à être attaqués à la tête. On se protège instinctivement le visage et le ventre en cas d’agression. Il faut que vous soyez capables de surprendre l’adversaire en touchant les points vitaux répartis dans d’autres parties du corps. (Constatant que chaque groupe s’était placé dans un cerceau, elle ajouta :) Vous avez d’autres cours pour perfectionner vos techniques offensives et vous battre bêtement. Avec moi, on apprend la méticulosité et les bonnes réactions en situations particulières.

Jeremy se trouvait face à une fille qui le dépassait d’une tête. Son short lâche laissa voir les muscles secs de ses jambes lorsqu’elle se plaça sur la pointe des pieds. Nerveux, Jim se positionna à son tour, persuadé que sa garde était mal placée.

Dès le premier coup de sifflet, il se retrouva projeté en dehors du cerceau en moins de cinq secondes. L’impact sur le dos lui coupa le souffle.

— La vache, grimaça-t-il en se redressant, stupéfait de la rapidité de son adversaire.

L’adolescente qui lui avait fauché les jambes avant de le repousser lui adressa un mince sourire. Jeremy accepta la main qu’elle lui tendait et se replaça. Il tint quinze secondes la deuxième fois, une demi-minute celle d’après et donna du fil à retordre à son ennemie au bout de la septième.

— 33, ta garde est trop basse, lui expliqua la professeure en passant à proximité de son binôme. 7, joli travail. Mais tu mets un peu trop de force dans tes mouvements, c’est de l’énergie gâchée. Concentre-toi sur la précision et le calcul des mouvements.

Puis elle se dirigea vers un autre groupe, certaine que ses étudiants mettraient en œuvre ses conseils dès l’instant présent. Et c’est ce qu’ils firent : Jim ajusta sa défense tandis que son adversaire détendait son corps crispé et apaisait sa respiration.

Jim expira fébrilement en esquivant la prise de l’adolescente. Elle se rétracta vers l’arrière en constatant que le garçon avait glissé sous sa garde et bloqua le coude qu’il lançait vers ses côtes. Leurs chevilles s’entrechoquèrent quand elle voulut lui faucher les jambes. La proximité de leurs corps permit à Jeremy de glisser un bras sous celui de son adversaire. Il pivota sur ses appuis, força l’adolescente à relâcher sa posture de défense et la fit rouler sur son épaule.

Avec une expiration brusque, elle se réceptionna souplement et recouvra son équilibre avant de franchir le cerceau. Loin de se déconcentrer, Jim glissa au sol et frappa ses tibias. Avec un geignement de douleur, l’adolescente laissa la gravité l’attirer sur les tatamis. Elle planta son coude dans l’épaule de Jim, l’entraînant avec elle dans sa chute. Il gronda de surprise, pivota le bassin pour la bloquer avec ses jambes. La jeune fille se débattit sauvagement avant de tomber à court d’énergie, en nage. Débordant d’adrénaline, Jeremy n’eut plus qu’à forcer sur les muscles de ses cuisses pour la pousser hors du cercle.

— Dommage, 7 ! lança Mme Kairuij, qui était revenue vers eux. Tu t’es laissée prendre dans une position où tu étais plus faible question force brute. 33, c’est très bien. Tu manques de rigueur et de technique, mais tu compenses par l’endurance et l’acharnement.

Jeremy aida son adversaire à se redresser alors qu’elle épongeait la sueur de son front à l’aide de son serre-poignet. Il aurait aimé l’appeler autrement que par un chiffre, mais la Ghost tenait à ce que ses recrues se préparent aux identités multiples qu’ils prendraient plus tard.

Son adversaire ne chercha pas à percer l’air mélancolique de son visage. Elle lui adressa un sourire encourageant puis sautilla sur place.

— Prêt pour la suite ?


Rebecca était déjà installée à une table de la cantine quand Jim la rejoignit. Les autres élèves les évitaient généralement, inquiets de s’attirer les foudres d’Edward s’ils froissaient ses enfants. Ils mangeaient donc souvent seuls, hormis lorsqu’ils se retrouvaient au self en même temps.

— Salut, lâcha sobrement Jeremy en se glissant en face de sa cousine.

— Comment tu vas ?

— Ça va. (Jim observa la façon dont l’adolescente touillait nerveusement ses brocolis.) Et toi ?

La mâchoire bien dessinée de Rebecca se crispa. D’un geste impatient, elle repoussa des mèches sombres qui lui tombaient sur le visage et maugréa :

— Mon père veut fêter mon anniversaire. (Devant la moue interdite de son cousin, elle jura tout bas et précisa :) Avec toute la famille.

Jim fit une grimace involontaire. Il n’avait pas revu le reste des Sybaris depuis la réunion en octobre, plus de six mois plus tôt. Loin de s’en plaindre, il avait remercié silencieusement son oncle de lui éviter une nouvelle confrontation avec sa grand-mère. Le regard hanté d’Alexia Sybaris lui filait encore des sueurs froides.

— Il a aussi dit… qu’il en profiterait pour te présenter correctement au reste de la famille.

Le soulagement de Jim s’évapora aussi vite que la chaleur de son plat de pâtes.

— Quoi ? Mais il m’a rien dit.

— J’imagine qu’il voulait te l’annoncer un peu plus tard. La fête est prévue pour dimanche.

Merda, gronda Jeremy en se vengeant sur son plat chaud, coupant en deux une innocente farfalle. Je… bordel, je sais rien de notre famille. À part que notre grand-mère me déteste.

Rebecca l’enveloppa d’un regard compatissant, mais qui ne retira pas pour autant l’étau gelé autour de la gorge de Jim. Sans compter Alexia, le reste de la famille n’avait pas non plus semblé ravie de l’accueillir parmi eux.

— Papa… je crois qu’il veut profiter de cet anniversaire pour marquer mon entrée officielle à la Ghost Society.

— Comment ça ? Tu fais déjà partie de la Ghost.

— Pas vraiment, non, rétorqua l’adolescente d’une voix lasse. Papa, le reste de la famille… oui. Ils ont des postes bien spécifiques dans différentes sections. Moi, j’ai de bons papiers pour obtenir un poste quand je serai diplômée. (Avec un soupir dépité, elle lâcha sa fourchette et repoussa son plateau.) Papa a décidé de me donner plus de chances. Il a discuté avec ses supérieurs. Cet été, je vais accompagner Mme Ladrian en stage. C’est la seule femme parmi les sous-directeurs de la Ghost. Elle a eu ce poste grâce à l’ancien directeur, M. Herez García. Autrement, faut pas rêver, elle aurait été rien de plus qu’une Fantôme brillante.

— L’ancien directeur ?

— Oui, c’est aussi lui qui a nommé notre grand-oncle, Akos, directeur-adjoint. Il a quitté la Ghost Society en 2017. C’est lui qui a permis à notre famille de progresser si bien dans les échelons de l’administration. Il était très ami avec notre arrière-grand-père.

Jim hocha brièvement la tête. Il ne connaissait pas les hautes figures de la Ghost Society. Edward lui avait rapidement parlé d’eux, sans s’attarder. Jim était encore trop jeune et inexpérimenté pour qu’Ed le présente officiellement à ses supérieurs. Il n’avait donc pas encore formé Jeremy à évoluer au sein de cette haute sphère.

— Papa voudrait que j’aie le même poste que notre grand-oncle, directrice-adjointe, plus tard. Aucune femme ne l’a été jusqu’ici. (Elle pinça les lèvres à s’en faire blanchir la peau.) Je crois qu’il rêve même de me voir à la tête de la Ghost.

— T’as sûrement les épaules pour ça, Becca, souffla Jim avec sérieux.

Une étincelle furieuse s’alluma au creux de ses prunelles dorées.

— C’est l’ambition de mon père, pas la mienne.

Surpris par la véhémence que Rebecca avait inséré dans sa voix, Jim se redressa.

— Tu… veux pas grimper en grade dans la Ghost Society ? C’est pourtant ce que ton père arrête pas de répéter. (Les traits de Jim se défirent.) L’une des raisons pour lesquelles je suis là.

— Je sais bien, soupira Rebecca en se frottant l’arête du nez. Mais c’est le rêve de mon père. Et de ma grand-mère. Mamie rêve de me voir à la tête de la Ghost Society. Elle a quitté la A.A, où elle était cheffe, pour venir ici. Je pense qu’elle voulait terminer sa carrière en beauté. Ils n’ont pas voulu lui accorder de trop grosses responsabilités. Elle a été déçue. Maintenant, elle se projette sur moi. Papa aussi.

Déconcerté, Jeremy ne prit pas la peine de répondre. Il avait toujours cru que Rebecca suivrait les traces de leur famille, grimperait les échelons et parviendrait à obtenir un poste intéressant. Que Jim était là pour assurer ses arrières, faire équipe avec elle afin de prouver son efficience et ses compétences.

Mais quel était son rôle si Rebecca ne voulait pas de tout ça ?

— Alors ? reprit Jeremy d’une voix nouée, rauque. Si tu veux pas grimper les échelons, tu veux quoi ? Tout le travail de ton père pour prouver à ses supérieurs que tu es brillante, capable d’avoir des responsabilités... (Répéter les mantras que lui assénait Edward depuis des semaines donnait à Jim l’impression d’être une machine.) Tout ça, pour quoi ?

— Je… Je ne veux pas être Fantôme, Jeremy.

Ce dernier quitta ses pâtes des yeux pour dévisager sa cousine. Elle lui rendit son regard, grave, les poings serrés. Son menton tremblotait. Elle lui fit brièvement penser à Thalia. Il écarta la pensée aussitôt.

— Tu veux quoi alors ?

— Être libre ! s’exclama-t-elle en écarquillant les yeux. Je veux peindre, faire du cheval, hurler, faire du camping, manger ce que je veux, aller nager, courir, n’importe quoi !

Quelques étudiants proches de leur table se tournèrent vers eux, surpris par le haussement de ton. Un regard noir de Jeremy les dissuada de s’intéresser de plus près à leur conversation.

— Je suis la marionnette de mon père et de ma grand-mère depuis que je suis née, ajouta Rebecca en baissant la voix, les joues rouges. Je veux plus de ça. De cette pression, de ces attentes.

Interdit, Jim la fixa pendant quelques secondes avant de baisser les yeux.

— Et moi ? chuchota-t-il en sentant sa voix s’effriter. Je dois être ton ombre, ton tremplin, comme dit Edward. Je dois t’aider, faire équipe avec toi, modifier les aprioris des grandes pompes, là-haut. Changer leur mentalité. Ça sert plus à rien si t’es pas là.

Rebecca fronça les sourcils, déroutée.

— Je sais pas, Jeremy, répondit-elle avec sincérité, la bouche plissée. Tu es aussi la roue de secours de mon père. Si j’arrive pas à grimper les échelons, il compte sur toi pour le faire.

— Mais je veux pas non plus ! se plaignit l’adolescent en jetant un regard désemparé à sa cousine. Je veux rentrer chez moi. Retrouver ma sœur. Ma mère, Mike, Ryu…

Rebecca pâlit et lui fit signe de baisser la voix. Trop tard : un professeur approchait, la mine sévère. Jim se ratatina sur sa chaise tandis que sa cousine se remodelait une façade de marbre.

— Mademoiselle, monsieur, les salua le professeur d’une voix austère. On vous entend jusqu’à l’autre bout du self. Si vous continuez vos enfantillages, je préviendrai votre père.

— Oui, parvint à articuler Rebecca entre deux lèvres figées.

Le professeur les lorgna d’un regard méfiant avant de faire demi-tour. Une fois hors de portée d’écoute, Rebecca tendit la main à toute allure par-dessus la table. Jeremy retint de justesse un glapissement de douleur. Sa cousine lui broyait le poignet.

— Tu es malade ou quoi ? gronda-t-elle à voix basse. Tu peux pas évoquer ton passé comme ça, Jeremy. Tu peux pas. Avec moi, en privé, oui. Avec mon père, tu joues avec le feu. Avec le reste de la Ghost ? C’est eux que tu mets en danger, pas toi. (Elle planta ses yeux féroces dans ceux troublés de son cousin.) Tu es Elias Sybaris ici, oublie pas.

La mâchoire de Jim se crispa sous la montée de colère.

— Je suis pas ce putain d’Elias Sybaris, siffla-t-il en s’arrachant à la poigne de la jeune fille. Je m’appelle Jeremy Wayne et ça changera jamais, OK ? J’ai rien à faire avec ta famille de barges !

Furieux et secrètement terrifié par les confessions de sa cousine, Jim se leva et agrippa son plateau pour s’en aller. Rebecca se redressa à son tour et lui bloqua le passage.

— Écoute, Elias, je sais que tu es perturbé. (Jim la fusilla du regard, ouvrit la bouche, mais elle le devança :) Mais on va s’en sortir, tous les deux. Se serrer les coudes. Ça va le faire.

Si son ton se voulait enjoué, l’éclat d’effroi au fond de ses yeux faisait écho à l’angoisse mordante qui déchirait la poitrine de Jim.

— Fais-toi discret, termina-t-elle d’une voix à peine audible en s’écartant de son chemin.

Quand Jeremy la dépassa d’un pas furieux, il remarqua les deux silhouettes qui se tenaient à l’entrée du self. Il ne les avait pas vues en se levant précipitamment. Rebecca, oui. Le cœur tambourinant dans les oreilles, il déposa son plateau et se dirigea vers la sortie.

— Bonjour, Elias, souffla Edward en lui adressant un sourire d’une politesse presque professionnelle. Tu te souviens de Myrina ? Tu l’as rencontrée en octobre dernier.

Intimité, Jim se contenta de hocher la tête. Avec Alexia et Rebecca, c’était l’unique femme Sybaris qu’il avait rencontrée. Et la seule qui ne l’avait pas toisé froidement le jour de la réunion.

— Tu as déjà bien grandi, remarqua la femme en lui adressant un clin d’œil. Tu seras sûrement aussi grand que ton père.

Sa voix comportait une trace d’amusement. Jeremy déglutit péniblement avant de se forcer à sourire poliment. Les paupières de la femme se plissèrent, mais elle ne se départit pas de son expression avenante.

— Myrina s’est proposée de t’aider à te préparer pour la fête de dimanche.

— Rebecca m’en a parlé. Vous m’aviez rien dit.

Edward se frotta la nuque d’un air pensif. Il prit soin de ne pas relever pas le ton accusateur de son neveu lorsqu’il répondit avec flegme :

— Oui, j’avais oublié. Maintenant, tu sais. (Jeremy s’efforça à garder contenance malgré l’air nonchalant de son oncle. Ça l’horripilait.) Comme tu as pas l’air d’aimer prendre soin de toi, j’ai demandé un peu d’aide autour de moi.

— Je serai ravie de t’aider, ajouta Myrina en souriant à Jim.

L’adolescent ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle était sincère. Il le désirait ardemment, pour qu’au moins une personne en plus de Rebecca ne murmure pas dans son dos à la moindre occasion.

— On pourra discuter tranquillement, toi et moi.

Mécaniquement, Jim hocha la tête. Il était persuadé de pouvoir s’occuper de lui-même comme un grand. Pourtant, l’idée de la présence de la femme avant la fête le rassurait. Elle pourrait lui en dire plus sur leur famille avant que Jeremy ne les confronte directement.

— À dimanche ! lança Myrina en s’éloignant dans les couloirs.

Elle se tourna pour adresser à Jim un clin d’œil avant de disparaître pour de bon au tournant. Jeremy lui aurait bien emboîté le pas, mais Ed lui bloqua le chemin. Toute forme de sympathie avait quitté son visage. L’éclat calculateur de ses yeux amena Jim à croire qu’il ne serait jamais rien d’autre qu’un pion dans son jeu.

Au bout de six mois, l’adolescent aurait aimé mieux connaître cet oncle à défaut de l’apprécier. Il avait fait trop de mal à sa famille pour qu’il puisse se sentir redevable. Sans compter que malgré leur relation officielle de père et fils, ils partageaient rarement des moments de convivialité. Il n’y avait que les réunions de travail et les rendez-vous mensuels avec le Dr Mann pour les rassembler dans la même pièce.

— Y’a un problème ? souffla Jim avec nervosité, constatant que son oncle ne le quittait plus de son regard pensif.

— Pour l’instant, non. Tes profs me disent que tu travailles bien en cours, le Dr Mann est satisfait de tes progrès et tu t’entends bien avec Rebecca. (Les lèvres d’Ed se plissèrent furtivement, comme si ses propres paroles le surprenaient.) Je suis plutôt étonné, pour être honnête. Je m’attendais à ce que tu te rebelles plus. Que tu essaies de fuir.

Un sourire crispé se peignit sur les lèvres de l’adolescent. Il tapota son coude et marmonna :

— Fuir avec un implant dans le bras ? non merci. Et je suis bien obligé de travailler, vos toutous de profs et de médecins s’assurent de me foutre la pression.

— Ne sois pas insolent, soupira Edward en calant son épaule contre le mur. Au fond, je suis sûr que tu es content de tes progrès. C’est la première fois que tu te sens satisfait de ce que tu fais, pas vrai ? (Comme l’adolescent pinçait les lèvres avec frustration, l’homme se permit un sourire ironique.) Dis-moi, Elias, qui de nous ou de ton ancienne famille, t’écrasait le plus ? Ta mère a toujours été trop débordée pour vraiment prendre soin de toi. Michael… j’ai beaucoup de sympathie pour lui, mais il est trop conciliant. Quant à Ethan…

Le prénom de son père raidit les trapèzes de Jim. Son oncle avait une façon particulière de le prononcer. Doucereuse. Comme une friandise empoisonnée.

— Si on pouvait mourir de sa lâcheté, ça ferait longtemps qu’il serait plus de ce monde.

Un mélange de colère et d’asservissement froissa les traits de Jeremy. Avant qu’il ait pu répliquer quoi que ce soit, Ed ricana.

— Tu vois, ton expression dit tout. Tu le détestes, hein ? Avoir été abandonné, mis de côté… J’ai vécu la même chose que toi, Elias. Je pensais que mon frère était toute ma vie. (Edward se décolla du mur avec un sourire lointain.) Je me suis trompé. En fin de compte, les personnes qui m’ont réellement vu, qui m’ont donné une chance, c’est ma famille, les Sybaris.

Avec un soupir, Ed tendit le bras pour serrer l’épaule de l’adolescent. Une vague de malaise le parcourut instantanément.

— On se ressemble beaucoup, toi et moi. Un vécu, un fonctionnement similaires. (L’homme le couvrit d’un regard compatissant.) C’est pour ça que je sais que tu peux réussir. Continue, Elias. Tu seras récompensé par tes propres efforts.

Edward n’attendit aucune réponse de son neveu. Il lâcha son épaule, tourna les talons et le planta au milieu du couloir. Jim se laissa aller contre le mur, bouillonnant. De colère contre lui-même, contre son père, contre sa mère. Il ne se serait jamais retrouvé ici si chacun d’entre eux ne l’avait pas trahi à un moment donné.

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