Chapitre 40
La cloison de ma porte s’ouvre lentement, et la voix douce de ma servante me réveille.
- Demoiselle Aria, il est l’heure de vous préparer.
Je me redresse et balaye la pièce du regard. Je la trouve vide, depuis que le lit de Hyujin a été retiré. Je m’y sens seule.
Je sors de mon lit et emboîte le pas à la jeune femme jusqu’au bain qu’elle commence à préparer.
- C’est un grand jour pour le Seigneur Hyujin, dit-elle.
- Oui.
Je me plonge dans l’eau brûlante et pousse un soupir. La servante m’apporte une robe bleu ciel et une fine veste blanche.
Une fois sortie de l’eau, je les enfile avant de m’asseoir face à ma coiffeuse. La jeune femme démêle mes cheveux et les laisse détacher, mais elle y glisse un serre-tête assortie à la robe. Elle entreprend de me maquiller légèrement.
- Peut-être que vous aussi, vous serez dirigeante bientôt.
- Oh, je ne suis pas pressée.
- Pourquoi ? Enfin… vous n’êtes pas obligée de répondre.
Je lui souris.
- Ça ne me dérange pas d’en parler. Tu ne peux pas savoir ce que ça fait de diriger. J’aurai tellement de responsabilités… Et il n’y a pas que ça…
Après quelques minutes de silence, je lui demande :
- Au fait, je ne t’ai jamais posé la question… Comment t’appelles-tu ?
Cette femme a été engagée il y a deux mois, mais ces derniers temps, je n’étais pas beaucoup au temple, alors je n’ai pas eu l’occasion de lui demander.
- Chaerin.
J’acquiesce et observe la jeune femme. Elle a un visage chaleureux, des mains fines et des yeux rieurs.
- Vous êtes prête, Demoiselle Aria.
- Merci beaucoup.
Je me lève et m’observe dans le miroir, puis je souris à Chaerin.
- Tu sais… si ça ne tenait qu’à moi, je ne deviendrai pas dirigeante.
Elle s’apprête à répondre, mais je l’invite à sortir de la pièce.
Quelques minutes plus tard, je sors à mon tour pour rejoindre mon père. Il m’attend patiemment devant l’entrée du temple, un léger sourire sur le visage.
- Tu es prête ?
J’opine du chef et lui rends un sourire timide.
- Alors allons-y.
Étonnée, je questionne :
- Nous y allons à pied ?
- Oui. J’ai envie de marcher un peu.
J’acquiesce à nouveau et entreprends de marcher à ses côtés jusqu’aux routes de campagne.
* * *
La cérémonie se passe dans une grande salle de la cité du Lotus. Elle n’est pas vraiment décorée. Il y a juste des tapisseries qui pendent aux murs et quelques centaines de chaises. Contrairement à ce que je pensais, beaucoup d’habitants sont présents, tous très bien habillés. J’embrasse la salle du regard, à la recherche de Hyujin. Seulement, je ne le vois nulle part. Un peu déçue, je suis mon père au premier rang.
Lorsque tout le monde est assis, Hyujin apparaît face à nous. Il est vêtu de la tunique bleu nuit de son père et d’un pantalon noir, ses cheveux noirs retombent autour de son visage. Je croise son regard et mon coeur a un raté.
S’ensuit quelques secondes – ou quelques minutes, je ne sais pas trop – de silence, ou lui et moi nous fixons dans les yeux.
Il finit par détourner le regard pour le recentrer sur les autres personnes dans la salle. Hyujin prend une profonde inspiration.
- Pour commencer… merci d’être venu, dit-il.
Il fait une pause, scrutant l’assemblée d’un regard noir. Ce n’est pas comme ça qu’il se fera apprécier.
- Je ne suis pas ici pour promettre des changements spectaculaires, ni pour vous vendre des rêves irréalistes. La réalité est que diriger n’est pas un privilège, mais un fardeau. Chaque décision que je prendrai aura des conséquences.
Il marque une nouvelle pause.
- Je suis conscient des attentes qui pèsent sur mes épaules. Je ne cherche pas à vous plaire. Je me fiche de ce que vous penserez de moi, mais je ferai quand même de mon mieux pour être le dirigeant dont vous avez besoin, même si je dois faire des sacrifices.
Il jette un coup d’oeil furtif dans ma direction et mon coeur se serre.
- J’ai fini, assène-t’il.
Un homme accourt, l’air paniqué, puis il rit nerveusement.
- Quant à moi, j’aiderai le Seigneur Hyujin, étant donné qu’il est encore jeune.
- Je n’ai pas besoin de votre aide, raille-t’il.
- Comme je le disais, il est encore jeune, donc il ne faut pas prendre au sérieux tout ce qu’il vous a dit, continue l’homme. Il est tellement naïf, il ne réalise pas les conséquences que ses mots auront.
- Je ne suis pas naïf.
Je retiens mon rire en voyant la mine exaspérée de Hyujin. Je m’attends à le voir lever les yeux au ciel, mais il ne fait rien et se contente de disparaître, suivi de près par son adjoint.
* * *
Hyujin ne voulait pas faire durer la cérémonie, mais Shan, son adjoint, a insisté pour faire un repas. Sur des tables sont donc disposés des légumes, du riz, du poisson, des raviolis et pleins d’autres aliments.
Mais je ne peux rien avaler, j’ai le ventre noué. J’ai envie d’aller parler à Hyujin, mais il est introuvable, tellement le bâtiment est grand.
J’arpente pour la troisième fois un des couloirs et ouvre au hasard une porte. Je trouve Hyujin, assis à une table, concentré sur des piles de papiers.
- C’est quoi ?
Il relève la tête.
- Ce sont des renseignements sur les habitants : nom, prénom, âge, nombre d’enfants, métier, adresse…
- Ah, je vois. Il y a beaucoup d’habitants, non ?
- Un peu plus de trente mille. Pour une cité comme la notre, c’est beaucoup, en effet. Sous le règne de mes parents, on a subi une forte croissance démographique. À en croire les dossiers, pendant quelques années, il y a eu des bidonvilles aux frontières de la ville. Il ont fini par être détruits par les autorités et les gens habitant là-bas ont disparu.
Je le fixe, éberluée. Je suis incapable de dire quoi que ce soit sur la population des Cerisiers, alors que lui semble tout savoir sur l’évolution des habitants du Lotus.
- Tu n’assistes pas au buffet ? questionné-je.
- Non, ce serait une perte de temps. J’ai encore pleins de choses à gérer.
Il désigne d’un geste vague les feuilles s’étendant sur la table.
- Au fait, je ne pensais pas que tu aurais un adjoint.
Hyujin pousse un soupir d’exaspération.
- N’ayant que dix-sept ans et pas d’épouse, les juges ont décrété que j’étais trop jeune pour diriger seul, donc ils m’ont envoyé Shan.
- Tu penses que j’en aurai un aussi ?
- Je ne sais pas.
Il se reconcentre sur ses documents et je baisse les yeux vers le sol. Il n’a peut-être pas envie de parler.
- Tu voulais me voir ? lance-t’il en posant son regard sombre sur moi.
Le rouge me monte aux joues.
- Non, non. Je… je me promenais dans les couloirs et j’ai voulu voir ce qu’il y avait derrière cette porte.
Il hausse un sourcil.
- Vraiment ? Tu es tombée par hasard sur moi, alors ? dit-il, un léger sourire en coin.
- Oui, enfin… je voulais juste… enfin… je pensais que tu avais besoin de compagnie, balbutié-je.
Il hoche la tête, mais je devine qu’il n’est pas convaincu.
- Moi, en tout cas, je voulais te voir… donc tu as bien fait de venir ouvrir cette porte.
Hyujin se lève et s’approche de moi. Il s’apprête à m’embrasser, quand la porte s’ouvre sur Shan.
- Hyujin, je dois te parler.
L’adjoint me lance un regard appuyé.
- En privé.
- Oh, oui, excusez-moi.
Je m’empresse de quitter la pièce, les joues brûlantes, pour rejoindre la salle principale.
- Aria, lance mon père. Je te cherchais. Où étais-tu ? Je me demande de qui tu tiens cette manie de disparaître sans arrêt.
- J’étais partie voir Hyujin.
Il opine du chef.
- Tu viens ? Il faut qu’on parte, tu sais, je t’avais dit qu’il fallait que je te présente quelqu’un.
Je grimace à ce souvenir.
- Oui, c’est vrai.
- Alors allons-y.
Tandis que nous sortons, je lance un regard en arrière à la salle. Au même moment, Hyujin y arrive et me lance un regard avant que je ne puisse plus le voir.
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