Chapitre 1

5 minutes de lecture

Le soleil se lève, tel une boule de feu dans le ciel rosé aux lueurs orangées. Ces couleurs se dégradent peu à peu vers un bleu pâle, au fur et à mesure que les heures avancent.

La première chose que je fais lorsque la journée commence, c’est ouvrir la cloison transparente qui sépare ma chambre d’un magnifique jardin aux couleurs pastels, accueillant un cerisier aux fleurs roses, une herbe humide par la rosée du matin et un étang aux nénuphars verts et à l’eau d’un bleu pur, le fond tapissé de galets blanc, le tout entouré d’une clôture rouge et or, interdisant quiconque de rentrer.

Je pose délicatement mes pieds nus sur l’herbe, qui vient chatouiller mes orteils. J’inspire l’air frais, un léger sourire aux lèvres. Assise au bord du petit lac, j’écoute les oiseaux piailler, le vent s’infiltrer dans les fleurs roses, les faisant bruisser, et le ruissellement de l’eau.

Je suis interrompue par deux coups frappés à la porte de mes appartements. Je rentre à l’intérieur et après avoir enfilé une tunique en soie pour dissimuler mes bras nus, je fais coulisser la cloison.

Une servante aux cheveux de jais relevés en chignon serré s’incline.

- Demoiselle Aria, votre père souhaite être en votre compagnie pour petit-déjeuner.

Je toise la jeune femme du regard, puis hoche la tête.

- Prévenez-le que j’arrive.

- Oui.

Elle s’incline à nouveau et repart. Je troque ma tunique de soie pour une robe fine, allant de mes épaules à mes pieds. Je tresse mes cheveux et y glisse la broche en bois agrémentée d’une branche de cerisiers en fleurs, symbole de notre temple. Puis je rejoins mon père.

C'est un seigneur puissant. Il dirige le Temple des Cerisiers avec ma mère depuis leur mariage, à dix-neuf ans pour mon père et quatorze pour ma mère. Il m’a déjà raconté leur histoire pleins de fois.

«Quand je suis arrivé au pouvoir, j’avais 19 ans, et pas d’épouse. Mon père et ma mère étaient furieux, car j’avais repoussé toutes les prétendantes.

Et puis, un matin, j’ai entendu parler d’une jeune villageoise.

- La plus belle du village, paraît-il, m’avait dit mon second.

On racontait que Mei avait un teint de porcelaine, des lèvres d’un rouge profond et une chevelure soyeuse. Elle était connue dans tout le pays pour être la plus belle fille de la contrée.

Il me fallait rencontrer cette jeune fille. J’avais envoyé une missive à son père, un riziculteur du village, et quelques jours plus tard, l’adolescente était arrivée au Temple des Cerisiers. Je me suis épris d’elle en l’espace de quelques heures et je lui ai demandé sa main. La jeune fille qui n’avait pas beaucoup d’autres choix a accepté.»

C’est sûrement ce jour-là que tout a basculé pour mon père. Et puis, tout le monde a vite été mis au courant. Dans les villages, les gens racontaient que le seigneur Seji avait épousé la plus belle villageoise. Au fond, personne ne connaissait son vrai nom.

- Bonjour, Aria.

Je m’incline et m’agenouille aux côtés de mon père, puis j’entreprends de picorer quelques grains de riz au soja.

- Vous vouliez me voir ?

Il soupire et racle sa gorge.

- Tu vas prochainement prendre le pouvoir. À tes dix-sept ans, la cérémonie aura lieu, et ta mère et moi nous inquiétions. On se demandait si tu étais vraiment prête à devenir la dirigeante du temple.

Frustrée, je le fixe. J’attends ce jour depuis tellement longtemps. J’ai reçu une éducation pour devenir une dirigeante parfaite dès l’âge de cinq ans. Tous les jours, j’apprenais à me tenir en public, à parler à d’autres seigneurs de temples puissants. Et mes parents pensent que je ne suis pas prête ?

Mon père me regarde avec attention. Son regard parcourt mon visage, mes cheveux et ma posture. Je suis destinée à devenir la maîtresse du Temple des Cerisiers. C’est mon destin. C’est comme ça que ça se passe. En tant que fille de dirigeants, je dois hériter de leur pouvoir. Ça a toujours été comme ça.

- Ne me fixe pas comme ça, Aria. Je dis ça pour ton bien. Le poids du monde reposerait sur tes frêles épaules. Tu es encore jeune. Tu ne sais pas ce que c’est de diriger. Tu as appris la théorie. Ce que tu es censée faire. Mais comment réagiras-tu face aux imprévus alors que tu es encore une jeune fille insouciante ?

- Vous insinuez que je ne suis pas assez mature pour gérer des attaques ?

- Je ne te parle pas de guerre. Imagine qu’un violent tsunami ravage le village côtier. Que ferais-tu ?

Je reste sans voix. Il me sous-estime ou c’est moi qui me surestime ? Comment savoir ?

- Et puis, le Temple du Lotus en profiterait pour nous rabaisser, ajoute mon père.

Je serre les dents en pensant aux nobles de ce temple. Nos ennemis de toujours. Leur fils en particulier, qui doit prendre le pouvoir en même temps que moi. Mon principal rival.

Je considère mon père quelques instants avant de hocher la tête, soudain compréhensive.

- Oui.

Je jette un regard par la fenêtre aux cerisiers qui se balancent au rythme du vent, symbole de paix et d’harmonie. Mes yeux se promènent sur les jardins, les ruisseaux et les ponts orientaux, qui relient les différents bâtiments du temple. Cette vue m’apaise et je tourne la tête vers mon père.

- Vous avez raison. J’y réfléchirai.

Je me lève, m’incline et disparaît dans les jardins. Je suis un chemin de cailloux, bordés par d’innombrables cerisiers qui donnent le nom à notre temple, puis je sors par les deux gigantesques portes en bois.

La ville s’étend en contre-bas, recouvertes de la brume matinale. Les rues sont toutes larges et propres, ornées de lanternes suspendues entre chaque bâtiment. Certains enfants jouent déjà, une vieille dame tricote sur une chaise, assise près d’un homme qui vend des portes-bonheurs. Une odeur de soja et d’épices parvient jusqu’à moi, se mêlant à celle du riz et de l’alcool.

Je descends dans les rues pavées pour explorer la ville. J’observe chaque marchand, je souris à chaque enfant et je m’arrête à chaque passant réclamant de l’argent pour lui offrir une pièce d’or.

La cité des Cerisiers est déjà bien animée, ce qui me fait sourire. Je le perds immédiatement quand je me rappelle de la phrase que prononce souvent ma mère. Le bonheur ne dure qu’un temps. Tout ça. Toutes ces merveilles que je vois. Un jour, ce sera fini.

Je soupire et reprends mon chemin, décidée à me rendre chez un artisan de bijoux.

Annotations

Vous aimez lire Ella Rarchaert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0