Chapitre 2

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J’entre dans la boutique, et je suis accueillie par un tintement joyeux et un homme dans la fleur de l’âge, qui me sourit chaleureusement.

- Bonjour Mademoiselle, que puis-je pour vous ?

- Rien, merci. Je regarde juste.

Je souris, de peur que mon ton puisse paraître froid. On me l’a souvent reproché, alors que je ne pensais pas mal. La boutique, bien qu’elle soit petite, est très jolie. Des bijoux en argent s’étendent sous mes yeux, et quelques bracelets en perles nacrées trônent fièrement près d’un présentoir à épingles pour cheveux.

Je m’heurte à quelqu’un qui se retourne et me toise d’un regard sombre et froid. C’est un jeune homme aux cheveux noirs qui retombent sur son front, cachant presque ses sourcils, aux longs cils, au nez et aux lèvres fins et à la peau pâle. Il doit avoir dix-huit ans tout au plus, et il est vêtu d’un pantalon noir et d’une tunique en soie de la même couleur. Il me domine de sa taille, il doit bien faire vingt centimètres de plus que moi.

On me l’a décrit tellement de fois que je le reconnais immédiatement. Et puis, il est le portrait craché de sa mère.

- Que fais-tu là ? lance-t’il.

Sa voix est grave et traînante. Si je n’avais pas détesté cette personne depuis ma naissance, je l’aurai qualifiée de séduisante. Mais ma haine m’empêche d’y penser ne serait-ce qu’une seconde.

Offusquée qu’il me tutoie, je fronce les sourcils.

- Ce serait plutôt à moi de poser cette question. Après tout, ici, je suis dans ma cité.

Il hausse un de ses sourcils fins.

- Ah bon ? Il me semble que ce n’est pas encore la tienne, et qu’elle n’est pas près de l’être. Une rumeur court, comme quoi tes parents ne veulent pas que tu prennes le pouvoir.

Il accompagne cette remarque d’un sourire narquois. Je sens la colère monter en moi, brûlante. Comment ose-t’il se moquer de moi ? Je me redresse.

- Les rumeurs ne sont pas toujours fiables, rétorqué-je. Mes parents savent ce qu’ils font.

Il s’approche un peu, son regard perçant ne me lâchant pas.

- Peut-être, mais je sais de source sûre que c’est la vérité. Ils préfèrent te garder loin des affaires du Temple des Cerisiers. Tu devrais te demander pourquoi.

Je me mords la lèvre pour ne pas répliquer avec une insulte.

- Je ne suis pas ici pour écouter tes provocations. Je veux juste défendre ce qui m’appartient.

Il éclate de rire, un son froid et désagréable qui résonne dans l’air.

- Défendre ? Avec quoi ? De simples paroles en l’air ? En tant que future dirigeante, tu devrais savoir que la force ne se trouve pas dans les mots, mais dans l’action.

Je le fixe, le défiant du regard. Au fond, peut-être que mon père a raison. Peut-être que je suis encore trop jeune, trop inexpérimentée pour affronter les vérités amères du pouvoir.

- Je ne te laisserai pas me faire douter de moi, lancé-je, ma voix tremblante. Je deviendrai dirigeante. Je suis capable de le faire.

Il se penche légèrement en avant, un sourire satisfait sur les lèvres.

- J’ai hâte de voir ça, répond-il ironiquement. La route est semée d’embûches, et je serai là à chaque tournant pour te rappeler à quel point tu es loin d’être en mesure de diriger une cité.

Il se redresse et tourne les talons avant de disparaître hors du magasin.

Je suis encore tremblante et rouge de colère. Qu’est-ce que cet homme faisait ici ? Il est aussi insupportable que son père. Voir plus. J’avais déjà rencontré le seigneur du Temple du Lotus, Seok. C’était un homme hautain, spécieux ainsi qu’un idiot borné. Il faut croire que son fils a hérité de ses défauts.

Quant à sa mère, c’est une magnifique femme au teint pâle et aux cheveux noirs de jais. Elle est d’une bonté pure, mais plus le temps passe, plus Seok a d’influence sur elle.

Résultat : leur fils a hérité de la beauté de sa mère et de l’orgueil de son père.

Je quitte la petite boutique, les nerfs encore à vif. Je remonte la ville jusqu’au palais impérial, où je traverse les jardins sans un seul regard sur les poissons rouges qui nagent dans les ruisseaux. Je franchis la cloison et débarque dans la pièce à vivre.

Ma mère est assise sur un coussin, au sol, en train de jouer de la flûte au son doux. Quand elle me voit, un sourire illumine son visage. Elle n’a que trente-et-un ans, car elle m’a eu lorsqu’elle avait quinze ans, ce qui nous rend très proches.

- Aria, tu me sembles irritée. Approche.

Elle tapote le sol à ses côtés, puis ses cuisses. Je pose ma tête sur ses jambes, et elle vient défaire ma tresse puis masser mon cuir chevelu. Je pousse un soupir de plaisir à cette sensation.

Elle ne me demande pas ce qui s’est passé. Comme toujours quand je vais mal, elle prend le temps de m’apaiser et me laisse parler seulement quand j’en ressens le besoin.

- J’ai rencontré le fils de Seok et Hana, lâché-je.

Ma mère se stoppe quelques instants avant de reprendre l’activité de ses mains dans ma chevelure sombre.

- Que faisait-il dans la Cité des Cerisiers ? questionne ma mère.

- Je ne sais pas.

Elle blêmit.

- Seji va être furieux.

Je plisse le nez. Ce soir, ça va être le bazar chez nous. Comme tous les mois, nous devons accueillir les dirigeants du Temple du Lotus. Un mois sur deux, mes parents vont chez eux, et un mois sur deux, ils viennent chez nous. Ce qui fait que je n’avais jamais rencontré leur fils, étant donné que les parents arrivent toujours seuls.

Je n’ai jamais compris la tradition. Nos deux familles se détestent, alors pourquoi se réunir tous les mois ? Je repense à ma confrontation avec le fils du Temple du Lotus tout à l’heure. C’est peut-être la seule chose éternelle que je connais. La haine de nos deux familles.

Je fixe le parquet tandis que ma mère embrasse mon front.

- Je t’aime, Aria.

- Moi aussi, Mère. Je vous aime.

Elle me sourit radieusement puis elle me demande de me relever. Je dois désormais aller prendre mon bain. Je dois être présentable pour l’arrivée de Seok et Hana.

Je rejoins ma salle d’eau et me plonge dans l’eau brûlante que m’ont préparée les servantes. Ce sont des jeunes femmes adorables, qui s’occupent de moi depuis ma naissance.

Je profite de mon bain pour me détendre et me vider la tête. Une femme vient allumer une bougie au prunier pour embaumer la pièce de l’odeur des fleurs et me tend un savon aux cerisiers, préparé par les artisans du temple.

Puis, je sors du bain, enfile une robe de soie rouge grenade et noue mes cheveux noirs en un chignon. Je passe la broche symbolisant notre demeure et m’observe dans le miroir. Je suis prête.

Je quitte mes appartements et rejoins la pièce à vivre. Le soleil décline déjà à l’horizon. La journée est passée tellement vite. Descendre et remonter la ville a dû me prendre quatre bonnes heures.

Ma mère dispose des encens un peu partout dans la pièce où les dirigeants du Temple du Lotus vont nous rejoindre.

Un servant arrive, le visage blanc comme un linge.

- Dame Mei, ils sont là.

Ma mère blanchit aussi et indique au servant de les faire rentrer.

Un homme d’une quarantaine d’années entre, le visage impassible. Il a des cheveux bruns, un regard noir et des épaules larges. Vêtu d’une tunique orné de fleurs de lotus, il montre sa richesse. Il est suivi de très près par une jolie femme qui doit avoir dix ans de moins, avec de grands yeux tristes. Elle me semble fragile.

- Bienvenue, sourit ma mère.

Je serre les dents.

- Où est le Seigneur Seji ? raille Seok.

- C’est malpoli d’être en retard à une réunion officielle, grince Hana. Il serait peut-être temps que Seji lègue son pouvoir.

La femme me semble tout de suite moins fragile. Derrière son air mélancolique, c’est une personne mesquine.

Mon père arrive, les sourcils froncés et l’air excédé par la visite du seigneur Seok et de son épouse. Il invite les dirigeants à s’asseoir.

- Il paraît que votre fils a rencontré ma fille tout à l’heure dans la cité des Cerisiers, gronde mon père. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Nous ne venons pas dans la cité du Lotus, nous.

- Mais rien ne vous en empêche, rétorque Hana. Comme rien n’empêche mon fils de venir ici. Vous avez juste trop peur de nous.

- Hyujin est libre d’aller où il veut, enchaîne Seok.

Ma mère lève les yeux au ciel.

- Un problème, Mei ? persifle Hana.

- Oui, répond mon père sur le même ton. Vous.

- Parce que vous croyez qu’on est heureux d’être ici ?! aboie Seok.

Tandis que mes parents et les dirigeants du Temple du Lotus continuent de s’hurler dessus, je reste assise, à fixer le sol, me demandant ce qui a bien pu se passer pour que nos deux familles s’haïssent.

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