Chapitre 3
Exaspérés, Hana et Seok se lèvent et quittent la maison en grommelant. Mon père est énervé. Il jette un regard noir à la porte révélant la pleine lune par laquelle les deux dirigeants viennent de sortir.
- Pourquoi ils sont venus ?
Je m’adresse surtout à ma mère, car mon père est en train de quitter la pièce. Elle pose un regard las sur moi.
- C’est la tradition.
- Et pourquoi cette tradition existe ?
Elle hausse les épaules.
- Ça remonte à tellement longtemps, Aria, que je ne saurai pas te dire. Ça fait partie de l’Histoire de nos cités. Je suis fatiguée, je vais aller dormir.
J’acquiesce et disparais aussi dans ma chambre. Demain, je redescendrai en ville pour me rendre dans les archives. Je suis sûre que je pourrai trouver la réponse à ma question.
* * *
J’ouvre la porte du vieux bâtiment et une vieille femme me lance un regard sauvage.
- Bonjour. Je peux vous aider ?
- Oui. Je cherche les archives sur l’Histoire du Temple des Cerisiers.
Elle cligne lentement des yeux avant de se lever, révélant sa petite taille et son corps rond.
- Suivez-moi.
Je lui emboîte le pas dans les couloirs jusqu’à une pièce sombre. Elle désigne les étagères remplies de liasses de feuilles de bambous, dont les reliures étaient faites de soie.
- Ici, m’indique-t’elle avant de s’en aller.
Je fixe, déconcertée, la centaine de livres qui se trouvent ici. Comment je vais trouver ce qui m’intéresse ? Je vais sûrement y passer la journée. Je m’approche d’une étagère et sélectionne une liasse de feuilles au hasard et l’ouvre. Fondation du Temple des Cerisiers.
Non, aucun rapport. Je continue de fouiller pendant ce qui me semble des heures. Je ressors des archives avec seulement deux informations qui pourraient m’aider. À la base, le Temple des Cerisiers et le Temple du Lotus ne formaient qu’un. Puis les deux dirigeants ont divorcé, une chose très rare. La femme a fondé le Temple du Lotus et l’homme le Temple du Cerisiers. Cette histoire peut expliquer la haine, ou au moins une partie de la haine que l’on voue à cette famille. Mais pour ce qui est de la tradition, je n’ai rien trouvé.
C’est donc dépitée que je rentre chez moi. Je passe le portail et cours rejoindre ma mère. Je pars à sa recherche dans le temple, ne la trouvant pas dans la pièce à vivre. Elle n’est pas non plus au bord du ruisseau, ni en-dessous du cerisier centenaire qu’elle chérit. Mais où est-elle ? Je rejoins le dernier pavillon jusqu’à ses appartements et franchis le pont qui relie sa chambre au reste du temple.
J’entre dans sa chambre et la trouve allongée sur sa couchette, recroquevillée. La pièce est encore sombre, j’en déduis qu’elle ne s’est pas levée. Je décale le paravent qui sert de rideau, laissant le soleil baigner la pièce de lumière.
- Vous êtes fiévreuse ? demandé-je.
Comme aucune réponse ne vient, je m’accroupis à ses côtés. Puis, je pousse un cri d’effroi. Une entaille profonde se trouve au niveau de sa poitrine, dont le sang s’échappe abondamment. Le teint de ma mère est pâle, sa main est froide.
Je cherche des yeux l’habituelle veine qui pulse sous la circulation du sang, mais je ne la vois pas. Une pensée sombre me vient. Est-ce qu’elle est morte ? Je jette un regard circulaire dans la chambre et remarque un couteau au sol. Il est moucheté du sang de ma mère. L’assassin a fait tomber son arme.
Mon coeur s’arrête un instant. Je suis figée, incapable de comprendre l’horreur qui se déploie devant moi. Les larmes commencent à brouiller ma vision et je les essuie de ma main tremblante. La douleur monte en moi, et je sens mon souffle se faire court, chaque inspiration me brûlant la poitrine.
Je me penche un peu plus près d’elle, cherchant un signe de vie, un mouvement, un souffle. Mais non, il ne se passe rien. Mon regard glisse jusqu’au couteau, et je me demande à qui il appartient. Mes pensées s’embrouillent, et je sens la colère ainsi que la tristesse naître en moi. Pourquoi cela est-il arrivé à ma mère ? Je serre les poings, enfonçant mes ongles dans ma paume, mais la douleur physique est insignifiante comparée à celle qui envahit mon esprit.
Le coeur lourd, je me relève. Je jette un dernier regard à la pièce et m’avance pour attraper le couteau. Je le tiens fermement dans ma main avant de le glisser dans la poche de ma jupe. Je dois trouver à qui appartient cette arme.
Ensuite, je sors précipitamment de la chambre et cours jusqu’à mon père, occupé à travailler. Je lui crie :
- Elle a été assassinée !
Il me lance un regard perplexe.
- Qui ?
- Mère.
Soudain, il se lève et s’approche de moi.
- Tu es sûre ?
La gorge nouée, je hoche la tête. Mon père me demande de le suivre jusqu’aux appartements de ma mère. Évidemment, le corps est toujours là, le sang se répandant sur le parquet brun. Il s’agenouille et pose son front sur le sol. Après quelques instants, il se redresse.
- Qui a osé faire ça ?! s’énerve-t’il.
On aurait pu soupçonner tout le monde. Les servants de ma mère, le jardinier, le cuisinier… Mais quand le regard de mon père s’assombrit, je comprends immédiatement à qui il pense.
- Va demander à un servant de convoquer en urgence Seok et Hana. Leur fils aussi.
Je me lève et cours jusqu’à un servant, lui demandant de transmettre le message. Il aura un jour de voyage avant d’arriver jusqu’au Temple du Lotus, mais il doit faire vite.
Les jours passent sans que Seok, Hana et leur fils n’arrivent. Mon père est furieux. Moi aussi. J’en veux à tout le monde. J’en veux à l’assassin de ma mère, qui qu’il soit.
Enfin, les dirigeants du Temple du Lotus ainsi que leur héritier décident de venir nous voir, une semaine après la mort de ma mère. Le fils me lance un regard noir.
Une dispute éclate à nouveau. Mon père les accuse.
- Ce n’est pas nous ! proteste Hana.
- Vous seriez capable de faire ça, crache mon père. Maintenant que Mei est décédée, Aria ne peut pas passer au pouvoir avant deux ans ! Tandis que votre fils deviendra dirigeant cette année. Ça vous arrange ! Vous profiterez du fait que le Temple du Cerisiers soit faible pour nous attaquer.
- Ce serait sans intérêt, répond Hyujin de sa voix insupportablement traînante.
Seok fusille son fils du regard. Sauf que celui-ci l’ignore.
- Si l’assassin est vraiment parmi nous, il ne restera pas caché éternellement, continue-t’il.
Je scrute les visages, me demandant qui pourrait être le meurtrier. Hyujin fixe mon père avec un dégoût profond. Seok semble aussi énervé que son épouse.
- Ça ne sert à rien de tirer des conclusions hâtives, lance Seok. Vous devriez demander à vos gardes de mener l’enquête, plutôt que de nous accuser à tort et à travers.
Puis, la famille se lève et sans s’incliner, elle part.
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