Chapitre 4

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Le soleil n’est pas encore levé, mais je quitte le temple. Je redescends la ville endormie, essayant d’être la plus discrète possible. Depuis que Seok a évoqué une enquête, je compte bien mener la mienne et venger ma mère.

Les oiseaux chantent joyeusement et le vent soulève mes cheveux. Ça aurait pu être une journée normale, si ma vie n’avait pas basculé il y a une semaine.

Je passe dans une ruelle sombre, qui débouche jusqu’à un petit chemin de campagne. Je m’y élance en courant, m’éloignant le plus possible de la cité des Cerisiers. Ici, l’air est lourd. Des rizières s’étendent à perte de vue d’un côté, et des pousses de soja sont cultivées de l’autre. Mes pas laissent des traces dans la boue.

Il doit être neuf heures quand j’arrive enfin à la cité du Lotus. À cette heure-ci, notre ville est animée. Alors que celle-là… Il plane une ambiance pesante. Les rues sont vides, le ciel est gris. Au loin, le Temple du Lotus se dresse fièrement, lui aussi dans des couleurs sombres. Je traverse une rue remplie de maisons. Aux fenêtres, toutes sortes de gens me fixent d’une manière malaisante. Cette ville est oppressante. Comment cette cité peut être si lugubre ? Elle ne se trouve qu’à quelques kilomètres de la mienne et pourtant, la différence est flagrante. La ville est morte. La seule chose agréable, c’est l’odeur de fleur de lotus qui embaume l’air lourd.

Je m’engouffre dans une ruelle sinueuse. Au loin, des gens se battent. Trois fortes silhouettes contre une fine. Les trois hommes sont contre l’autre. Je me plaque contre un mur, légèrement effrayée. La silhouette fine est celle d’un jeune homme. Il se prend un coup et tombe, mais il se relève immédiatement et flanque un coup de pied dans la mâchoire d’un des hommes musclé. Les autres, un peu déconcertés, maugréent et s’en vont, laissant le jeune homme seul.

Je m’approche puis me stoppe en reconnaissant la personne. Hyujin. Mais pourquoi se bat-il ? Je peux voir une petite entaille sanglante sous sa lèvre inférieure, et sa joue est rouge. Ses poings sont encore serrés. Quand il lève les yeux du sol, il m’aperçoit et lève les yeux au ciel.

- Que fais-tu là ?

- Je pourrai te poser la même question. Tu n’es pas censé te battre, si ?

- Je demandais ce que tu faisais dans la cité du Lotus. Je m’en fous que tu m’aies vu me battre.

Il essuie le sang sur son visage à l’aide de sa main, le regard dur.

- Je suis libre d’aller où je veux, réponds-je. Tu sais, ce que je viens de voir me permet d’ajouter une preuve à mes soupçons.

Perplexe, il me lance un regard.

- Tu sais, pour l’assassinat de ma mère.

- Pense ce que tu veux. Ces hommes m’ont provoqué.

Curieuse, je m’apprête à lui demander pourquoi, puis je me rappelle que je le déteste et que je m’en fous de lui.

- Quoi ? raille-t’il, voyant que je ne bouge toujours pas.

- Tes parents savent que tu te bats ?

- Je vois pas ce que ça peut leur faire. Je me bats pour sauver l’honneur de ma famille.

- Pourquoi la ville est vide ?

- Les gens ne veulent plus sortir. Ils nous prennent pour des assassins. À cause de vous. Maintenant, à toi de répondre à mes questions. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

- Je cherche qui a tué ma mère.

Hyujin fronce les sourcils.

- Pourquoi ? Tu es persuadée que c’est nous, et les gardes s’en occupent.

- Je veux me venger.

Il rit.

- Toi, te venger ? Et qu’est-ce que tu vas faire ?

Je me sens soudain idiote.

- Tu n’y arriveras jamais seule. Laisse tomber.

- Non. Tu as raison, je n’y arriverai pas seule. J’ai besoin d’aide.

- Fais ce que tu veux. Au revoir.

Il tourne les talons. J’ai besoin d’aide, répété-je intérieurement. J’ai besoin de son aide. Il connaît mieux la cité du Lotus que moi. Et puis, il a dit qu’il devait sauver l’honneur de sa famille. Je dois mettre ma fierté de côté et lui demander.

- Hyujin.

Il se retourne et me répond par un haussement de sourcil arrogant.

- Aide-moi à trouver l’assassin.

Le jeune homme rit à nouveau.

- Tu es sérieuse ? Comment peux-tu me demander ça ? Je te déteste et tu me détestes.

- Tu dois sauver l’honneur de ta famille et je dois venger ma mère. Faisons une alliance.

Il fait quelques pas et s’approche de moi. Il se penche en avant.

- Et si c’était moi, l’assassin ? murmure-t’il.

Je frissonne.

- Oublie. C’était stupide. Comme tu l’as si bien dit, je te déteste et tu me détestes.

- J’accepte. Mais l’alliance ne tient que jusqu’à ce qu’on condamne l’assassin.

Je le regarde, surprise par sa réponse inattendue.

- Quoi ?

- Si je peux prouver mon innocence, pourquoi refuserais-je ?

Je hoche la tête, réalisant que cette alliance fragile pourrait être mon seul espoir de découvrir l’assassin de ma mère.

- Comment allons-nous procéder ? demande-je.

Hyujin se redresse et regarde au loin, avec la même expression indéchiffrable que la première fois que je l’ai vu.

- On doit chercher des informations. Ça me semble évident. Les gens parlent, même s’ils ont peur.

- Et on va les chercher où, tes informations ?

- Dans les tavernes, idiote. C’est là-bas que toutes les rumeurs circulent.

Je frémis à l’idée de me rendre dans ces lieux peu fréquentables, mais je sais que je n’ai pas le choix.

- Très bien.

- Je ne le fais pas pour toi, ajoute-t’il.

Nous commençons à avancer ensemble, la tension palpable dans l’air.

- Je ne peux pas croire que je fais ça, murmure-je.

- Moi non plus, grince-t’il.

Nous atteignons enfin une taverne au coin d’une rue, la lumière vacillante des bougies à l’intérieur projetant des ombres sur les murs.

- Allons-y, déclare Hyujin, son regard scrutant l’intérieur.

Le petit restaurant sent l’alcool de riz et le vin. Des tables nécessitant des chaises et non pas à ras du sol sont disposées un peu partout. Peu de gens sont installés dans la taverne. Il y a un homme qui semble alcoolique, et un groupe de cinq truands, tous plus robustes les uns que les autres, tatoués de partout.

Hyujin et moi ne sommes pas à notre place ici. J’entends un cliquetis et baisse les yeux. J’aperçois dans la poche du jeune homme un petit couteau qu’il déplie doucement en regardant d’un œil mauvais les bandits.

- Paraît que la maîtresse du Temple des Cerisiers est morte, clame l’un des hommes.

- Paraît que c’est le Seigneur Seok qui l’a tuée, répond un autre.

- Ou son fils.

- En tout cas, la fille est pas prête de devenir dirigeante.

Je me raidis. C’est de moi qu’ils parlent, j’en suis certaine. Hyujin est concentré sur les paroles des cinq hommes. Sans bouger, il écoute attentivement chaque mot prononcé.

- Il y a des bandits ici ? chuchote-je.

Quand il comprend que je lui parle, Hyujin tourne la tête vers moi et je repose ma question.

- Tu es stupide ou quoi ? Évidemment qu’il y a des bandits.

- Il n’y en a pas dans la cité des Cerisiers.

- Au cas où tu n’avais toujours pas remarqué, la cité du Lotus est bien différente de la tienne.

Il désigne d’un coup de menton la rue lugubre. Je sursaute quand deux mains claquent sur la table en bois. Hyujin lève en même temps que moi les yeux vers la personne, à une différence près : mon regard est effrayé, le sien est froid. Comme toujours.

- C’est soit tu bois, soit tu dégages, siffle l’homme. C’est ma taverne, c’est moi qui fait la loi.

Apparemment, les bandits sont les possesseurs de la taverne.

Je détaille le truand. Il est grand, large et musclé. Même le fils des dirigeants n’est pas aussi grand.

- Je ne bois pas, répond simplement Hyujin.

- Alors dégage.

- Non.

Je lève les yeux au ciel. Il va finir par s’attirer des ennuis. Enfin, il en a déjà, j’en suis certaine.

L’homme l’attrape par la tunique et le soulève presque de terre.

- Dégage, répète-t’il.

Une question me vient à l’esprit. Les hommes parleraient-ils comme ça à Hyujin s’ils savaient qu’il était l’héritier du Temple du Lotus ? Une petite voix me dit que ce n’est pas le genre de détails qui importerait ces hommes.

Hyujin enfonce son couteau dans le ventre du truand, qui grommelle avant de jeter à terre le jeune homme. Les quatre autres hommes rappliquent. J’hésite. Soit je sauve Hyujin, soit j’observe l’héritier se faire battre. J’opte pour la deuxième option. Ça fait toujours plaisir de voir quelqu’un qu’on n’aime pas se faire massacrer.

L’atmosphère est pesante. Hyujin, qui s’est relevé, soutient le regard du bandit. Son visage est marqué par une détermination froide.

- Tu me mets au défi, c’est ça ? Tu ne sais pas à qui tu t’en prends, menace le truand.

Une personne censée aurait déjà pris la fuite. Une personne censée ne se serait pas mesurée à un géant de deux mètres. Mais il faut croire que Hyujin n’est pas une personne censée. Je le vois se redresser, et dégainer à nouveau son couteau. L’acier brille avant de s’enfoncer dans le bras du truand. Il pousse un cri de fureur et ordonne aux quatre autres de le tuer. Les bandits se regroupent autour du jeune homme.

Hyujin se déplace avec agilité. Il esquive un coup, glissant sur le côté. Un coup de poing s’abat sur sa tête. Il crache du sang avant d’envoyer la même frappe à l’agresseur.

Les coups pleuvent autour de lui, mais Hyujin les évite encore. Il se bat avec une intensité que je n’aurai jamais imaginée de sa part. Chaque fois qu’un homme tente de l’attraper, il se dérobe et lui flanque un coup avant d’enchaîner avec le suivant.

Je suis figée, observant le combat, à la fois fascinée et effrayée. Après quelques autres mouvements, Hyujin se retrouve face au dernier truand. Il a été fort jusque là, mais je suis sûre que c’en est fini de lui. Pourtant, il ne laisse transparaître aucun signe de peur.

Tout va très vite. Le bandit frappe Hyujin qui tombe à terre et qui, malgré le sang qui coule de sa joue et qu’il crache assez souvent, se relève et donne un coup de pied. Le même que tout à l’heure, dans la rue. Il est d’une souplesse incroyable. Le truand se prend la chaussure de Hyujin dans le cou, sur la pomme d’Adam. Il recule avant de s’asseoir, se tenant le cou.

Hyujin halète un peu. Ses yeux sombres brillent d’une nouvelle détermination alors qu’il fixe le bandit à terre, le défiant silencieusement de se relever. L’atmosphère est devenue électrique.

Le dernier truand tente de se relever, affaibli. Un regard assassin de Hyujin le fait hésiter. Je perçois dans les yeux de l’héritier qu’il a conscience d’avoir remporté la bataille, même si elle n’est pas tout à fait terminée.

- Tu es plus coriace que tu n’en as l’air, grogne le bandit. Mais tu ne t’en sortiras pas comme ça. Je vais te tuer.

Je sens dans la voix du truand qu’il a peur pour sa vie. Hyujin ne répond pas, et avance d’un pas, son couteau toujours en main, prêt à frapper à nouveau.

- Vas-y, je t’attends. Je suis encore en mesure de me battre, déclare Hyujin de sa voix grave et menaçante.

Le bandit se redresse, peu sûr de lui.

- On ne va pas en rester là, clame-t’il.

- Ça me va, répond Hyujin, serein, le regard toujours accroché à celui de son adversaire.

Le truand s’écroule à côté des autres, évanoui. Hyujin range son couteau dans sa poche.

Encore sous le choc, je fixe le jeune homme.

- Quoi ?

- Tu vas avoir de sérieux ennuis, à force d’agir comme ça.

Il hausse les épaules et repousse ses mèches noires.

- Peut-être.

- La violence n’est pas une solution, déclaré-je.

- Tu as raison. La violence n’est pas une solution. C’est la solution.

Je lève les yeux au ciel.

- Je te l’ai déjà dit. La force ne se trouve pas dans les mots, mais dans l’action, lance-t’il.

Il balaye la taverne du regard, où les cinq corps des hommes évanouis reposent.

- Partons.

Il ne vérifie même pas que je le suis et sors de la taverne.

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