Chapitre 5
Tandis que Hyujin marche, je repense au combat qui vient de se dérouler. Je me demande où il a appris à se battre. Est-ce son père qui lui a enseigné ? A-t’il appris seul, à force de mener des combats dans la rue ?
Un détail me revient en mémoire. Son couteau. Je presse le pas pour arriver à la hauteur du jeune homme.
- Hyujin.
- Aria.
- Où as-tu eu ton couteau ?
Il ne répond pas. Je m’attends à ce qu’il ne dise plus rien, mais il finit par lancer :
- Chez un fournisseur d’armes.
- Amène-moi là-bas.
Hyujin me sonde.
- Pourquoi ?
Je sors de la poche de ma jupe le couteau tâché de sang.
- J’aimerais savoir s’il vend ce couteau.
- D’accord.
Il ne dit pas un mot de plus et continue son chemin, la mâchoire serrée. J’observe le jeune homme, me demandant encore pourquoi j’ai choisi de faire équipe avec lui. Je regarde attentivement sa joue rouge, sa lèvre abîmée et son regard froid.
On traverse quelques rues larges avant d’arriver dans des ruelles. Il n’y a toujours personne. Je remarque un chat noir et maigre qui miaule puis qui s’enfuit, le dos courbé. C’est le premier animal que je vois ici. Le premier que j’entends. Même si les dirigeants de cette cité sont considérés comme des assassins, ça n’empêche pas de poursuivre toutes les activités de la ville, si ? J’ai comme l’impression que cette commune est tout le temps comme ça.
Un vent glacial souffle et fait s’envoler les feuilles mortes à terre. Je frissonne, plus en raison de l’absence de vie que du froid.
On arrive enfin dans un autre quartier. Tout aussi lugubre, mais plus agité. Je ne vois quasiment que des hommes, qui s’affairent à acheter des armes, du tabac et je remarque, horrifiée, que certaines personnes vendent de la drogue. Mais où est-ce que Hyujin m’a emmenée ? Et surtout, qu’est-ce qu’une personne comme lui peut bien venir faire dans cet endroit ? Pourtant, Hyujin semble à l’aise. Il avance comme s’il connaissait ce coin par coeur.
- On est où ? susurré-je.
Il me regarde, puis, sans me répondre, recentre son regard sur le chemin. Nous arrivons devant un bâtiment un peu délabré. La porte en verre est marquée de fissures et l’intérieur est sombre. Je crois d’abord que le commerce est fermé, mais Hyujin entre et m’invite à le suivre. J’observe le magasin. Aux murs sont accrochés des sabres, des épées, des katanas et des couteaux. Un peu plus loin, gardés par une vitre solide, se trouvent des armes à feu.
L’homme qui se trouve derrière le comptoir est immense, il est chauve aux épaules larges, ses bras sont gonflés de muscle et son cou est marqué d’un tatouage que j’avais déjà remarqué sur les truands de la taverne.
Hyujin s’avance vers l’homme et le salue.
- Bonjour Namki, lance-t'il.
Le gérant de la boutique lui répond d’un signe de tête :
- Bienvenue, Jin. Je vois que tu es accompagné.
Le dénommé Namki me jette un regard. Moi, j’en lance un à Hyujin. Pourquoi il se fait appeler Jin, ici ? Est-ce un surnom ? Ou un moyen de rester discret ?
- Oui, j’ai besoin d’informations. Enfin, elle en a besoin.
Tandis que l’homme se tourne vers moi, Hyujin part faire le tour de la boutique, me laissant seule avec l’individu.
- Que puis-je pour toi, fillette ?
- Je ne suis pas une fillette…
- Ah. Mais tu es si petite. Ici, tu es une fillette.
C’est plutôt lui qui est géant. Moi, j’ai une taille normale.
- Si tu n’es pas une fillette, qui es-tu ? questionne-t’il de sa grosse voix.
Quelque chose dans son apparence m’empêche de faire confiance à cette personne. Je ne peux pas lui révéler ma vraie identité.
- Je me nomme Mina. Je suis la petite sœur de Jin.
Si Namki sait que je mens, il n’en dit rien et se contente de hocher la tête.
- Que puis-je pour toi, Mina ?
Je sors de la poche de ma jupe le couteau que je présente au vendeur.
- Vendez-vous ce genre de couteaux ?
Namki l’attrape et l’observe de près, avant de passer son doigt sur le sang et sur la lame rouillée. Il se pique avec la pointe et enfonce dans son doigt l’arme. Son sang coule et il l’essuie avec un mouchoir déjà taché de rouge, comme s’il avait déjà ouvert son doigt auparavant.
- Oui, finit-il par répondre. C’est mon modèle le plus rare. Il coûte très cher en raison du lieu où il se fait forger et de l’acier très rare qu’il contient.
Je ne m’y connais pas en couteaux, ni en armes d’ailleurs. Namki se penche et attrape au sol une boîte noire, qu’il ouvre. J’y découvre le même couteau, propre cette fois.
Je réfléchis quelques instants. Si le couteau coûte cher, la personne qui l’a acheté doit posséder beaucoup d’argent. Une preuve de plus contre les nobles du Temple du Lotus. Je me retourne et jette un coup d’oeil discret à Hyujin, qui passe sa main sur une lame. Ça doit être une technique pour choisir correctement son arme, sinon je ne vois pas à quoi cela pourrait servir de se blesser intentionnellement.
Namki s’accoude contre son comptoir.
- Puis-je t’aider d’une autre manière ?
- Oui. À qui avez-vous vendus ce couteau, dernièrement ?
Le gérant se redresse et frotte sa barbe inexistante en réfléchissant.
- Ce genre d'informations est confidentiel, finit-il par lâcher.
Je soupire de frustration et remercie Namki avant de marcher jusqu’à Hyujin.
- C’est bon.
Le jeune homme me toise du regard.
- Tu as eu ce que tu voulais ?
- Non.
Il hausse un sourcil et commence à marcher jusqu’à la sortie. Une fois dans la rue, je le questionne :
- Comment connais-tu cet endroit ? Pourquoi as-tu un couteau ? (Comme il ne répond pas, j’ajoute : ) Toi aussi, tu es un bandit ?
À ces mots, il se stoppe. Je me retourne et le regarde froncer ses sourcils. Son regard se durcit. Impossible de savoir si je l’ai mis en rogne, c’est sa tête habituelle.
- Non, finit-il par lâcher froidement.
- Alors pourquoi tu te bats ? Pourquoi tu traînes dans cet endroit ? Pourquoi tu possèdes une arme ?
- Parce que c’est nécessaire à la vie dans cette ville. Tu n’as toujours pas constaté que notre cité est peuplée de gens dangereux ?
- C’est pour ça que personne ne sort ?
- Tu m’exaspères avec tes questions.
Je serre les dents. Il ne vaut mieux pas me confronter à lui.
- Où allons-nous, maintenant ? questionne-je.
Hyujin soupire, visiblement agacé par ma curiosité.
- On s’éloigne juste d’ici. Ce n’est pas un endroit sûr. Vaut mieux ne pas traîner longtemps dans ce quartier. Tu sais… ici… il y a aussi des gens dangereux. Comme des assassins, par exemple.
Je le suis. Je tente de comprendre son attitude. Je ne pense pas qu’il soit un voyou. Il a juste été élevé dans des conditions qui l'ont conduit à se comporter ainsi. Que ce soit au niveau de sa ville natale ou au niveau de ses parents.
Nous marchons en silence, contournant les ruelles sombres et évitant les groupes de personnes. Je sens que nous sommes observés.
- Tu sais… je ne te juge pas quand je pose ces questions. J’essaye juste de comprendre.
Hyujin s’arrête à nouveau.
- Comprendre quoi ? Tu ne sais rien de moi. Tu ne sais rien de ce que j’ai dû enduré pour me faire respecter ici.
- Mais tu es l’héritier. Pourquoi tu ne te fais pas respecter ?
À sa place, j’aurai déjà perdu mon sang froid. Je m’en rends compte. J’ai assez vite compris que quand il était énervé, il se renfermait, tout simplement. Il se tait. J’ai beau le détester, j’ai envie de savoir pourquoi il fait tout ça. Mais au lieu de son silence habituel, il se tourne complètement vers moi, le regard perçant :
- Tu penses que le titre d’héritier suffit à me protéger ? crache-t’il. Les gens ne respectent pas un nom, Aria. Ils respectent la force. Ils respectent les personnes menaçantes. Les personnes qui effrayent. Et puis, comment veux-tu qu'ils sachent qui je suis ? Ils ne me connaissent pas.
Non. Je ne veux pas y croire.
Je me sens mal à l’aise face à sa révélation.
- Mais toi aussi, tu es fort. Tu l’as prouvé tout à l’heure.
Il secoue la tête.
- La force physique ne suffit pas. Pas ici.
Je fronce les sourcils. C’est contraire à ce qu’il vient de dire.
- Les assassins, les gens… ils ne voient que ce qu’ils veulent voir. J’ai l’apparence d’un jeune homme quelconque, donc ils s’en prendront toujours à moi.
Je me rends compte à quel point la vie de Hyujin est différente de la mienne. Dans ma ville, les titres apportent une certaine sécurité. Mais dans cette cité sombre, cela ne signifie rien.
Hyujin a fini de parler. La discussion est close. Il recommence à avancer.
Annotations