Chapitre 7
- Tu n’aurai pas dû demander des informations à un assassin, grince Hyujin.
- Il ne fallait pas m’emmener là-bas.
- On aurait trouvé des pistes seuls. Qu’est-ce qui te prouve qu’il ne ment pas ?
- Qu’est-ce qui me prouve que tu ne me mens pas ?
Il fronce les sourcils et accélère le pas.
- Je ne vois pas pourquoi je ne te dirai pas la vérité. Je te l’ai déjà dit. Trouver le véritable tueur sauvera ma famille.
- Peut-être que lui aussi a une bonne raison de me dire la vérité.
- Et si c’était lui, le tueur ? Si c’était juste un mensonge pour nous écarter de notre objectif ?
Le silence s’installe. Je n’ai pas envisagé cette possibilité. Et pourtant, maintenant que Hyujin en parle, elle me semble plausible. Il est peut-être plus intelligent que ce que je pensais. Une vague de doute m’envahit.
- Je veux rentrer. J’abandonne, déclaré-je, un peu honteuse.
Il se tourne vers moi.
- Alors pars.
C’est tout ? Je m’attendais à une autre réaction.
- Je ne sais pas par où c’est, la cité des Cerisiers.
À en juger par la tête du jeune homme, je dois être un cas désespéré. Il me fait signe de le suivre et nous parcourons des chemins pendant une dizaine d’heures avant d’arriver dans la cité du Lotus. Il désigne une longue ruelle dont je ne vois pas le bout.
- Tu sais rentrer chez toi à partir d’ici. Moi je continue de chercher. Le marché noir est par là. Si l’assassin dit vrai, je t’apporterai les renseignements.
Il disparaît dans la ruelle, tandis que j’arpente la ville pour rejoindre la route campagnarde que j’avais traversée à mon arrivée.
J’arrive dans la cité des Cerisiers un sourire aux lèvres. Je respire l’odeur des épices, et laisse les rayons du soleil caresser mon visage. Ça fait du bien d’être à nouveau ici. Des enfants jouent joyeusement au ballon. J’écoute leurs rires.
Je remonte les rues jusqu’au temple, où je passe le portail avec une joie incommensurable. J’observe attentivement les fleurs de cerisiers au sol et dans les arbres.
- Aria !
Je me retourne et aperçois mon père, sur un des ponts. Je le rejoins en courant pour le saluer.
- Je suis désolée d’être partie.
- Mais où es-tu allée ?
Je ne peux pas parler de Hyujin à mon père. Il s’énerverait.
- Tu es… sale, ajoute-t’il avec dégoût. Va te laver, on discutera après.
Je hoche la tête et repars vers mes appartements. Les servants semblent étonnés de me voir ici, mais s’activent à me préparer un bain. Je plonge dans l’eau chaude et détends mes muscles engourdis. Je repense à ma rencontre avec Hyujin, trois jours plus tôt. Pourquoi j’ai décidé de partir avec lui ? Au fond, j’aurai pu renoncer dès le début. La tâche est trop ardue. Qu’est-ce qui m’a poussée à m’engager dans cette quête dangereuse ? Qui j’ai cru que j’étais, à penser pouvoir trouver un assassin et le faire condamner ?
Après m’être lavée, je me regarde dans le miroir. Je m’habille rapidement, puis je sors de mes appartements. Mon père m’attend toujours sur le pont, l’air sévère.
- Père, je dois vous dire quelque chose, commencé-je, la voix tremblante.
- Que se passe-t’il ? Où étais-tu, cette fois-ci ? J'en ai assez de te voir disparaître quelques jours puis revenir comme si de rien n'était. D'autant plus que là, je me suis inquiété. Avec la mort de ta mère, tu aurais pu te faire tuer aussi !
- J’ai rencontré quelqu’un.
Vaut mieux ne pas mentionner qui est cette personne.
- Il m’aide à trouver le tueur.
Mon père blêmit, et je vois la colère apparaître sur son visage.
- Tu ne devrais pas te mêler de ça, Aria. C’est trop dangereux. Ces affaires ne te regardent pas.
Un silence s’installe, puis il se tourne vers moi :
- Et puis… la personne qui t’aide n’a pas forcément de bonnes intentions.
Sur ce point-là, je ne peux pas le contredire.
- Mais je n’ai rien d’autre à faire, murmuré-je.
- J’ai dit non ! Si l’assassin a déjà tué quelqu’un de notre famille, nous sommes peut-être ses prochaines cibles. Nous devons rester en sécurité au temple. Surtout toi. Tu es la seule héritière du temple. Si tu venais à mourir, tu mettrais en péril tout ce que nous avons construit.
- Justement, en tant que future dirigeante, je suis censée protéger notre peuple, rétorqué-je.
- Des enquêteurs s’occupent déjà de cette affaire. Et je suis encore là pour protéger le peuple. Aria, promets-moi de ne plus jamais chercher à le trouver.
- Je ne peux pas promettre ça. Je n’ai pas envie de rester ici à attendre.
Son regard se durcit.
- Et que veux-tu faire ?
- Je… je dois trouver des informations sur lui. Ses motivations.
- Tu es encore jeune. Je ne veux pas que tu te mêles de ces histoires.
Je baisse les yeux, la mine déconfite.
- Bien, père.
Je m’en vais vers mes appartements, tiraillée entre la colère et la honte d’avoir pensé que j’arriverai à traquer un assassin du haut de mes seize ans.
Assise dans mon jardin, j’inspire l’odeur des cerisiers et plonge ma main dans le lac. Je ramasse un galet que je caresse du bout des doigts avant de le tremper à nouveau dans l’eau. Un oiseau blanc se pose à mes côtés et piaille joyeusement avant de s’envoler vers le ciel bleu. Je le regarde s’éloigner. Je ne veux pas laisser tomber ma quête, bien qu’elle me conduise dans des endroits sombres et que je suis accompagnée d’une personne que je déteste. Je ne peux pas faire confiance à Hyujin, mais je ne peux pas non plus ignorer ce qu’il sait.
Je me lève, le galet toujours en main. L’eau scintille sous le soleil. Je soupire et rentre à l’intérieur pour me reposer. J’en ai besoin. Mes muscles sont encore douloureux après les heures de marche.
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