Chapitre 8
C’est ainsi que passe une semaine. Je me réveille en même temps que le soleil, je mange, je me promène dans les jardins et j’aide les cuisiniers. Je n’ai plus aucune nouvelle de Hyujin et j’avoue que ça ne me déplaît pas, même si j’aimerais savoir ce qu’il a découvert. Est-ce qu’il a abandonné, lui aussi ? Ça n’a pourtant pas l’air d’être son genre.
Je marche jusqu’au cerisier centenaire du temple et m’y assois quelques instants, savourant ma solitude. Il fait doux dehors. J’attrape des fleurs par terre et entreprends de faire une couronne avant de prendre des fourmis sur mes mains. Le temps me semble long. Je suis incapable de retourner à ma vie d’avant, où je suivais des leçons tous les jours sur comment bien me comporter. Et maintenant ? Ça ne sert plus à rien. Je passerai au pouvoir dans deux ans. C’est le laps de temps qu’il faut pour que mon père trouve une nouvelle épouse. Si ces années passées, il n’en a pas trouvé, nous devrons vendre notre territoire au Temple du Lotus. Ça relève plus du mariage par obligation que par amour, et je ne vois pas pourquoi il faut forcément qu’il y ait un dirigeant et une dirigeante pour transmettre le pouvoir. Ça aussi, c’est dans les traditions inexpliquées de nos cités.
- Demoiselle Aria, quelqu’un est là pour vous, m’indique un servant.
J’hausse un sourcil, me demandant qui ça peut bien être. Et surtout, pourquoi cette personne désire me voir.
- Ah… Conduisez-le au pavillon sud s’il vous plait. Je vous rejoins dans une dizaine de minutes.
Je remonte les jardins jusqu’à ma chambre pour me changer et attacher mes cheveux. Suite à ça, je marche avec lenteur jusqu’au pavillon sud. Il se trouve un peu à l’écart du reste du temple, derrière un énième lac.
Je passe le pont et entre dans le bâtiment au toit incurvé. J’y trouve Hyujin dans un état lamentable : ses vêtements sont déchirés sur ses bras ensanglantés et son front ainsi que sa joue saignent abondamment. Ses cheveux noirs sont en bataille. Il vient sûrement me donner des informations, sinon il n’aurait aucune raison d’être là. Et puis, si mon père le découvre au temple, il sera furieux.
- Tu t’es battu, remarqué-je.
- Oui, au marché noir, répond-il, la mâchoire serrée.
- Et pourquoi, cette fois-ci ?
- Pour la bonne cause.
Je lui fais signe de s’asseoir.
- Un homme de grande taille aurait été aperçu sortir du Temple des Cerisiers la nuit du meurtre. Pas très robuste mais ce n’était pas non plus un gringalet. Il paraît qu’il portait un masque.
Les informations ne sont pas très précises. Hyujin n’a pas appris grand-chose mais je me rassure en me disant que c’est déjà ça.
- Qui t’a renseigné ?
- Un vendeur d’armes, ami avec Namki. Il a suivi l’assassin et l’a vu aller dans la cité du Lotus. Après, il l’a perdu de vue.
Peut-on en déduire que l’assassin vient de la cité du Lotus ? Ou alors, il est juste parti s’y cacher ? Et si après l’avoir perdu de vue, il s’était rendu dans une autre ville ?
- Et ça, c’est arrivé comment ? grincé-je en désignant les blessures qui tachent le parquet.
- J’avais les informations seulement si je ressortais vivant d’un combat.
Une ombre passe sur son visage.
- Tu as tué quelqu’un ? murmuré-je.
- Ça n’a pas d’importance.
Alors il est vraiment prêt à tout pour sauver son honneur. Même à assassiner quelqu’un pour deux trois petites indications sur le potentiel tueur. Je jette un regard à Hyujin. Il demeure impassible. Je me demande si je devrais être impressionnée ou inquiète par sa détermination.
Un servant entre soudainement et fixe Hyujin, un peu déconcerté. Je ne sais pas vraiment si c’est parce qu’il le reconnaît ou à cause de son état.
- Demoiselle Aria… commence-t’il.
- Non, taisez-vous. Ne dites rien à mon père, s’il vous plait.
Il s’incline et repart.
- Ah, donc tu ne dis pas à ton père ce que tu fais ?
- Si, je lui ai dit. Je ne lui ai pas dit avec qui, nuance.
Il s’appuie sur ses bras pour se relever et fronce les sourcils. Je fixe les entailles sanglantes dans sa chair. L’homme qu’il a affronté devait avoir un armement supérieur au sien. L’idée de le confier à un servant pour le soigner me vient à l’esprit.
- Attends, reste, lancé-je.
- Pourquoi ?
- Je vais appeler quelqu’un pour qu’il s’occupe de tes blessures.
- C’est inutile.
Je ne l’écoute pas et sors quelques instants pour avoir l’attention d’un servant. Je lui explique que quelqu’un est blessé et qu’il faut le soigner. Il me suit à l’intérieur du pavillon et je lui désigne Hyujin.
Le servant semble hésiter, sûrement dû au regard féroce que lui lance l’héritier. Sauf qu’il doit obéir à mes ordres, donc il demande poliment à Hyujin de le suivre. Agacé, il lui emboîte le pas et je les rejoins.
- Tu iras où après ? chuchoté-je tandis que l’on avance jusqu’au pavillon des servants.
- Je dois continuer à chercher des indices sur l’homme aperçu. Je vais interroger les gens de la cité des Cerisiers.
Je hoche la tête. Tandis que le serviteur pose des linges humides sur les bras de Hyujin, j’observe son visage blessé.
- Tu devrais arrêter de te battre, lancé-je.
- Et toi, tu devrais arrêter de te mêler de mes affaires.
Je fronce les sourcils.
- Je fais juste ce qui est raisonnable.
- Tu es tellement habituée à ce que tout te soit donné que tu en oublies que certaines personnes doivent se battre pour obtenir ce qu’elles veulent.
Je serre les poings.
- Mes parents m’ont appris à me battre pour ce qui en vaut la peine. La violence ne résout pas tout.
- Ça en valait la peine, crois-moi.
Je le fusille du regard.
- Je n’ai pas besoin de tes leçons de morale. Je trouverai l’assassin, avec ou sans ton aide, peu m’importe, ajoute Hyujin.
- Si tu penses que je vais te laisser te débrouiller seul alors que tu manques de mourir à chaque fois, tu te trompes.
- Tu es vraiment déterminée à te mêler de ce qui ne te regarde pas. C’est insupportable.
- Oui, parce que si tu mourrais, je n’aurai plus personne pour m’aider.
- C’est drôle, non ? Deux ennemis forcés à se côtoyer.
- Je ne t’ai pas obligé à me suivre.
- Je ne me suis pas senti obligé. Je me suis juste dit que tu pourrais m’être utile.
Il me sonde avant de dire :
- Je me suis sûrement trompé.
Il se lève et retire les linges de ses blessures avant de se pencher vers moi.
- Merci pour les soins, lance-t’il ironiquement. Je reviens quand j’ai d’autres renseignements.
Hyujin quitte le Temple des Cerisiers, me laissant seule avec le servant qui aimerait sûrement être mort plutôt que dans cette situation.
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