Chapitre 10

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Je suis encore bouleversée par ce qu’il s’est passé. La cité des Cerisiers est une ville joyeuse, qui représente la paix. Les gens sont aimables. Il n’y avait jamais eu d’agressions. Jamais d’enlèvement. Jamais de meurtres.

Je suis furieuse envers les personnes qui ont brisé cette harmonie. Ça n’aurait jamais dû arriver. Pourquoi des gens de la cité du Lotus attaquent le Temple des Cerisiers ? Certaines personnes parlent d’actes de vengeance ou de rivalités. Mais qui pourrait se venger ? Est-ce que mes parents ont fait quelque chose par le passé qui entraînerait le désir de vengeance d’une personne ?

Je me tourne vers Hyujin.

- Où allons-nous ?

- Voir mon père.

- Ton père ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- Je dois lui parler de certaines choses.

- Je ferai mieux de ne pas t’accompagner.

- Tu veux être seule et risquer de mourir ? C’est quoi le pire, voir mon père ou être seule dans une ville peuplée de gens qui veulent ta mort ?

Je déglutis. Il a raison. Et puis, il faudra bien que j’affronte son père un jour, quand je deviendrai dirigeante.

On remonte toute la cité du Lotus. Le chemin jusqu’à la demeure de Hyujin est en pente assez raide. Quand nous arrivons face au temple, je suis ébahie. Il est énorme, les bâtiments sont cachés derrière des clôtures hautes en pierre blanches. Les deux portes sont larges et en bois sombre, et derrière se trouvent des chemins en pavés. Le pavillon central est un édifice au toit incurvé et aux tuiles noires, tandis que les portes sont d’un bleu nuit. Les arbres sont beaux, colorés, à l’inverse de ceux de la ville en contre-bas. Il y a même un étang où flottent des fleurs de lotus roses et blanches, qui donnent une odeur agréable aux jardins. Ces derniers sont soigneusement entretenus, avec des sentiers sinueux bordés de buissons taillés et de fleurs éclatantes. Des lanternes en pierre, ornées de motifs représentant des fleurs de lotus, suivent les chemins. Hyujin me conduit à l’intérieur du pavillon central. À l’intérieur, des fresques racontent des légendes. Il y a des statues de divinités auxquelles croyaient certains de mes ancêtres. Un vase contenant une orchidée blanche est posé sur une table haute, à côté d’une statuette de dragon. C’est magnifique. L’endroit est merveilleux.

Une dame pâle, vêtue d’une robe traditionnelle, arrive. Ses cheveux noirs sont relevés en un épais chignon, d’où pendent des épingles à cheveux. Les cils de la jeune femme sont longs et elle a de grands yeux bleus.

- Seigneur Hyujin, vous êtes de retour.

Elle s’incline.

- Dois-je prévenir votre père ?

- Oui, répond-il froidement.

La jeune femme s’incline à nouveau et repart.

- Qui est-elle ?

- Miya. Elle s’occupe de moi depuis ma naissance.

Je hoche la tête. Moi, je n’ai pas eu de gouvernante. C’était ma mère qui se chargeait de mon éducation.

Quelques minutes plus tard, Seok arrive. Quand il s’approche de son fils pour lui serrer la main, je remarque qu’il est plus petit que lui. Le dirigeant me lance un regard et fronce les sourcils.

- Je n’ai pas à me justifier, commence Hyujin.

- Je n’attendais pas d’explications, rétorque son père en me dévisageant. Bien, alors prenez place. Miya m’a dit que tu désirais t’entretenir avec moi.

Le jeune homme hoche la tête et sa mine s’assombrit.

- Par rapport au meurtre de Dame Mei.

- Je n’y suis pour rien. Et je ne connais pas le coupable, répond le seigneur Seok.

- Non, ce n’est pas ça. Un groupe clandestin de notre ville est responsable, Père.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

Je suis exclue de la conversation, mais je pense que c’est mieux ainsi.

- J’ai mes sources, déclare Hyujin, évasif.

Seok le fixe intensément.

- Tu ne devrais pas croire aux rumeurs.

- Ce ne sont pas que des rumeurs ! s’insurge Hyujin. Des hommes s’en sont pris à elle dans la rue.

Il me désigne. Le regard de son père passe de moi à lui.

- Ce qui explique votre état, grince le seigneur. Tu es l’héritier de mon temple, Hyujin. Un héritier ne va pas se battre dans la rue. Tu as des devoirs. Que penserait le peuple de toi, s’il savait que tu tuais des gens qui menacent ta plus grande rivale ? Personne ne te prendrait au sérieux.

Hyujin serre les poings. La tension monte dans l’air chargé de non-dits entre les deux hommes.

- Je ne tue personne, rétorque Hyujin, sa voix froide. Aria avait besoin d’aide.

- Aria est ton ennemie. Tu ne mérites pas ton rang.

- Mon rang ? C’est vraiment tout ce qui t’importe ?

- Tu es trop préoccupé par ton honneur pour comprendre ce qui est en jeu.

- Si tu avais été présent pour m’expliquer, j’aurai peut-être compris.

- Ne me parle pas de ça. Le temps que je ne passais pas avec toi a été sacrifié pour notre ville.

- Le peuple est plus important que ton fils ? s’énerve Hyujin.

Seok le sonde un instant avant de lancer :

- La personne qui se trouve en face de moi n’est plus mon fils.

Hyujin se fige. La douleur et la colère se mêlent sur son visage.

- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Seok croise les bras.

- Regarde-toi, Hyujin. J’ai élevé un faible. Un homme violent. Tu es différent.

- Différent de qui ? Je ne veux pas être comme toi.

Seok lève un sourcil, son regard perçant ne quittant pas son fils.

- Tu n’as aucune force mentale. Tu te laisses emporter par ta colère. Tu devrais apprendre à contrôler tes émotions.

- Contrôler mes émotions ? répète-t’il, comme si c’était la chose la plus absurde. Tu veux dire que je devrai faire comme toi ? Ignorer les autres pour préserver son image ? M’enfuir quand la peur monte en moi ? Tu n’es qu’un lâche, Père.

- Tu es en train de détruire tout ce que j’ai construit. Chaque jour, tu te rapproches un peu plus de la chute.

- C’est de ta faute si je suis comme ça. Si Mère et toi, vous m’aviez élevé correctement, si vous m’aviez prêté attention plutôt que de vous concentrer sur vos conflits stupides avec le Temple des Cerisiers, vous vous seriez rendu compte que j’avais besoin d’aide. Mais j’ai dû me débrouiller. Et voilà ce que ça a donné.

Hyujin semble au bord de l’explosion. Ses yeux brillent d’une colère féroce. Je devrai arrêter la situation avant que ça ne dégénère, mais je n’ai pas à me mêler de leurs affaires familiales.

- Tu as dû te débrouiller pourquoi, Hyujin ? questionne son père, perplexe.

- Pour me faire respecter.

- Tu es l’héritier, c’est normal que tu te fasses respecter, tu es…

- Apparemment, ce n’est pas l’avis de tout le monde, le coupe Hyujin. Je ne t’en dirai pas plus. Tu t’en es moqué jusqu’ici, alors je ne vois pas pourquoi subitement, tu aimerais connaître ma vie. Tu te fiches de moi, tout ce que tu veux c’est que ta lignée ne s’arrête pas. La seule personne à laquelle tu penses, c’est toi, toi et encore toi.

Hyujin se lève.

- J’ai fini. On y va.

Je me redresse aussi et m’incline devant Seok avant de partir en courant pour rejoindre Hyujin. Il a la mâchoire serrée, les sourcils froncés et le regard dur. Je me demande pourquoi il veut sauver l’honneur de son père alors qu’il semble le détester.

Le jeune homme accélère le pas.

- Attends, Hyujin.

Il se retourne.

- Qu’est-ce que tu veux ? lance-t’il froidement.

- Pourquoi vouloir innocenter ton père du meurtre alors que tu le haïs ?

Son regard se durcit davantage.

- Ce n’est pas une question de haine. Il est quand même mon père.

Je fronce les sourcils.

- Comment peux-tu le défendre alors qu’il t’a abandonné ?

- Je t’ai dit de ne pas te mêler de mes affaires ! Tu as tes raisons de chercher l’assassin, j’ai les miennes !

Je m’arrête. Mes soupçons se confirment : sa vie est un point sensible. Pourtant, au fond de moi, j’ai envie de savoir pourquoi.

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