Chapitre 18
La journée se déroule lentement. Après que Hyujin m’ait retrouvée sous le cerisier, il m’a proposé de marcher dans les jardins et j’ai accepté. Nous n’avons pas parlé, nous nous sommes juste promenés côte à côte, mais cela ne m’a pas dérangé. Je crois même que je commence à apprécier sa présence.
Je me surprends même à sourire en le regardant parfois. Je l’observe, cherchant à comprendre ce qui se cache derrière son regard. De l’indifférence ? De l’amitié ? Ou est-ce quelque chose de plus complexe ?
Nous continuons notre ballade, et je décide de briser le silence.
- Hyujin, est-ce que tu apprécies Namki ?
- C’est compliqué. Il est gentil, mais je me méfie de lui et de ses intentions.
Je hoche la tête.
- Et toi, tu le connais à peine. Pourquoi tiens-tu à ce point à lui sauver la vie ?
Je me fige un instant.
- Je ne veux pas laisser quelqu’un mourir sans rien faire. J’ai déjà perdu ma mère… et je ne veux pas revivre ça.
Hyujin me regarde intensément.
- C’est donc ça.
Je ne réponds pas et continue ma promenade. Finalement, nous prenons place sur un petit banc en bois.
- Tu sais… Je pense que Namki va s’en sortir.
- Tu es sûr ? Tu n’étais pas du même avis, tout à l’heure.
- C’est un ancien criminel, il a déjà vécu pire. Et puis, avec un peu de chance, le médecin arrivera à temps.
- C’est pour ça que tu te méfies de lui ?
Hyujin hoche la tête.
- Oui.
* * *
Plus tard, dans la soirée, le médecin arrive et conduit Namki jusqu’au pavillon ouest, celui réservé aux soins. Je reste à ses côtés quelques heures pour m’assurer qu’il aille bien.
Il est assez tard lorsque je regagne ma chambre avec Hyujin. On s’installe dans nos lits respectifs puis nous endormons paisiblement.
Je suis réveillée au beau milieu de la nuit par Hyujin. Il me tapote la tête et je finis par ouvrir les yeux. Je m’apprête à m’énerver quand il me fait signe de me taire.
- Quoi ? murmuré-je, soudain inquiète.
- On n’est pas seuls ici.
Sa phrase m’arrache un frisson.
- Comment ça ?
- À ton avis ?
Je comprends là où il veut en venir. Un tueur s’est introduit dans le temple. Je commence à trembler et Hyujin se tourne vers moi.
- Ne panique pas. Je suis là. Cachons-nous.
- Où ?
Il désigne la coiffeuse en bois, posée contre le mur.
- Là-dessous.
On s’y glisse, collés l’un à l’autre à cause de la petite taille du lieu. Je peux sentir son souffle effleurer mon visage et ses cheveux frotter mes joues lorsqu’il tourne la tête pour surveiller ma chambre. Mon coeur bat la chamade. Je me sens étrangement réconfortée par la proximité de Hyujin. Ses yeux scrutent la pénombre.
Tout à coup, un bruit sourd retentit dans le couloir et je me raidis, mes mains se crispant sur les bras du garçon. Étonné, Hyujin tourne la tête vers moi. Il passe un bras autour de mes épaules et m’attire contre lui en chuchotant :
- Reste calme.
La surprise me paralyse un instant, mais je me laisse faire. Ma tête posée sur son torse, je peux sentir son coeur battre.
- Hyujin, murmuré-je, la voix tremblante.
- Tout ira bien.
J’ai envie d’y croire, même si c’est assez difficile quand je sais qu’un tueur se trouve dans les couloirs près de ma chambre.
Je ressens la chaleur de son corps contre le mien et, malgré la peur qui m’envahit, une étrange sensation de sécurité s’insinue en moi.
- Tu sais… tu es vraiment quelqu’un de bien, Hyujin. Je ne sais pas si j’aurai survécu à cette quête sans toi.
Il me fixe, ses yeux brillants dans l’obscurité, et je sens mon coeur s’emballer. Il s’approche un peu plus.
- Je te l’ai déjà dit, Aria. Je te protégerai quoi qu’il arrive.
Soudain, un nouveau bruit se fait entendre, plus proche cette fois. Je me crispe, mais Hyujin resserre son étreinte.
- Respire, me dit-il doucement, ses yeux ne quittant pas la porte.
Je prends une grande inspiration, essayant de me concentrer sur sa présence plutôt que sur la peur qui me paralyse.
La cloison coulisse lentement, et mon sang se glace. Je relève la tête, tentant d’apercevoir quelque chose, mais la main de Hyujin se pose sur ma tête et la repousse contre lui. Il ne parle pas, mais il passe son autre bras autour de moi, comme pour me dire de ne pas bouger.
J’observe la pièce du coin de l’oeil et vois le tueur faire quelques pas en avant. Subitement, je pense à mon père. Est-ce qu’il va bien ? me demandé-je. Et si l’assassin l’avait déjà tué ? Je préfère penser qu’il est vivant, mais il ne faut pas écarter cette possibilité.
Je me demande ensuite pourquoi, la nuit du meurtre de ma mère, le tueur n’avait pas assassiné mon père et moi.
L’assassin avance encore. Je peux voir son ombre menaçante se dessiner sur le mur.
- On fait quoi ? murmuré-je, ma voix à peine audible.
Il ne répond pas immédiatement, les yeux rivés sur le tueur.
- J’attends le bon moment, répond-il.
Je hoche la tête. L’assassin s’approche de notre cachette à pas de loup. Je ferme les yeux, espérant que nous ne serons pas découverts. Je sens mon coeur battre à un rythme effréné et je me retiens presque de respirer.
Le tueur se retourne et s’approche de la cloison séparant ma chambre du jardin.
- Qu’est-ce qu’il fait ?
- Ce n’est pas le moment de penser à ça. Partons.
Il se lève sans bruit et m’entraîne avec lui. Je jette un dernier regard au tueur qui a ouvert la porte et qui se dirige vers le jardin.
Hyujin continue d’avancer rapidement, me tirant par la main. Une fois éloignés du pavillon de mes appartements, nous ralentissons.
- Il faut aller voir si Namki va bien, soufflé-je.
- Je sais.
On marche jusqu’à la pièce où repose le vendeur et je m’approche de lui. Je soupire de soulagement en remarquant qu’il est bien vivant.
- On doit vérifier l’état de ton père.
J’acquiesce et suis Hyujin. On passe par les jardins éclairés grâce aux rayons de la lune, ce qui donne une atmosphère sinistre. Je regarde partout autour de moi, me demandant si le tueur est caché quelque part. Et s’il était derrière ce buisson, prêt à surgir et nous égorger quand nous passerons à côté ?
J’ai l’impression que le chemin jusqu’à la chambre de mon père dure des heures, alors que nous y parvenons en seulement quelques minutes. La pièce est sombre, et la silhouette de mon père se dessine sous les draps.
Je repense à quand j’ai trouvé ma mère morte. La scène était semblable. Inquiète, je m’approche du corps de mon parent.
- Il dort ? questionne Hyujin.
- Oui, chuchoté-je.
- Il faut le réveiller et le prévenir que le tueur s’est introduit dans votre maison.
Je secoue la tête.
- Non. Laissons-le dormir. Il faut retrouver l’assassin et le tuer.
- Le temple est trop grand pour qu’on le retrouve.
- Mais… il faudra bien le trouver un jour !
- Oui, c’est vrai, soupire Hyujin. Bon, je vais le chercher et tu restes là, avec ton père.
J’attrape sa main alors qu’il s’apprête à partir.
- Et si le tueur vient ici ? Tu as dit que tu ne me laisserais plus seule parce que c’est trop dangereux. Ça l’est encore plus en ce moment. Reste ici.
- Je croyais que tu voulais aller chercher l’assassin, répond-il.
- Oui, mais ensemble.
- Et donc, tu laisseras ton père seul ? Dans tous les cas, il y a un risque que le tueur vienne.
Je mords mes joues, cherchant une solution. Avant que j’ai le temps de dire quoi que ce soit, Hyujin me tend son couteau.
- Je pars le chercher. S’il se passe quelque chose, tu es armée.
Il se dirige vers la sortie.
- Et toi ? Si tu lui tombes dessus ?
Il sort un autre poignard.
- J’ai ce qu’il me faut, ne t’en fais pas.
Je déglutis, de plus en plus inquiète. La peur me fait monter les larmes aux yeux et je commence à trembler.
- Tu as dit que tu ne me laisserais pas seule, réitéré-je.
Il se retourne et me lance un regard.
- Oui, je sais, désolé.
Puis il disparaît dans les couloirs sombres. Je m’assois par terre, serrant l’arme de Hyujin dans ma main. Je reste là, immobile. Chaque bruit me fait sursauter, et je me demande si je n’aurai pas dû le supplier de rester, quitte à perdre ma fierté. Je jette un regard à mon père, qui dort paisiblement, puis je balaye la pièce du regard. Elle est plongée dans l’obscurité. On ne voit pas la lune d’ici, et seulement quelques étoiles brillent à travers la petite fenêtre. Dans un coin, il y a un bâton d’encens consumé et quelques bougies éteintes.
Je pose à main au sol et touche quelque chose. Je fais un bond en arrière avant de réaliser que ce n’était qu’un vêtement.
Une ombre passe rapidement devant la fenêtre. Mon coeur s’accélère à nouveau et automatiquement, je resserre le couteau. J’entends quelques bruits, qui semblent proches de moi. On dirait des lames qui s’entrechoquent. Je ferme à nouveau les yeux et tente tant bien que mal de garder mon calme.
Mon père remue dans son lit, ne se doutant pas qu’un tueur rôde dans le temple. Il soupire avant de changer de position. Mon regard se pose à nouveau sur la fenêtre, où passent trois ombres. Trois. Il y aurait deux tueurs ?
L’angoisse continue de monter en moi. J’ai peur pour la vie de mon père, pour la mienne mais aussi pour celle de Hyujin. Jusque là, nous en avons survécu. Mais je sais que nous ne nous en sortirons pas indemnes indéfiniment. Je me suis déjà enlevée, Hyujin prend des coups à chaque combat et Namki est mourant.
Je me sens oppressée dans cette obscurité. Les bruits se rapprochent de plus en plus. Je me lève d’un coup et m’approche de la fenêtre, espérant voir quelque chose. Je distingue les silhouettes se déplacer dans le jardin. Les trois silhouettes. Je frissonne.
Je me tourne vers mon père. Je ne peux pas le laisser ici, mais je ne veux pas le réveiller. J’hésite, puis me souviens que je possède en réalité deux armes. J’attrape dans ma poche le couteau qui a tué ma mère et le pose juste à côté de la main de mon parent avant de me relever.
Je me dirige vers la porte et l’ouvre lentement. J’avance prudemment dans les couloirs, le stress rendant mes mains moites. Un cri de douleur retentit et me fait sursauter. Je ne sais pas de qui il provient, mais je dois vite retrouver Hyujin.
J’arrive dans les jardins et tourne à gauche, essayant de suivre les bruits. Je parviens à un coin où je vois de la lumière. La pièce où l’on soigne Namki est éclairée faiblement. Je me précipite à l’intérieur et trouve Namki, allongé sur son lit, se débattant avec un des hommes masqués. Mais combien sont-ils ?
- Lâche-le ! crié-je.
L’homme se retourne, surpris. Je commence à m’avancer, serrant le poignard, lorsqu’une main se pose sur mon épaule.
- Aria, souffle-t’il.
Hyujin m’empêche de faire un pas de plus. Je me tourne vers lui et aperçois deux autres hommes blessés dans son dos.
- Hyujin, ils sont derrière toi.
- Je sais, répond-il. Ils sont blessés, ils ne pourront rien faire.
- Alors tue-les !
Il désigne son couteau, dont la lame est brisée en deux. Je le regarde, incrédule, me demandant comment c’est possible. Hyujin hausse les épaules et je lui rends son autre arme.
- Merci, lance-t’il.
- Partez, susurre Namki.
Je fais volte-face et le fixe.
- Non, on ne va pas partir. Hyujin va te sauver, j’en suis sûre.
L’homme au-dessus de Namki commence à l’étrangler.
- Partez.
- Mais non ! hurlé-je.
Hyujin m’agrippe par le poignet et me tire dehors, où les deux hommes blessés se sont écroulés. Je me débats.
- Attends ! Ils vont le tuer ! C’est sûr !
- Non, je te rassure. Ils ne veulent pas le tuer.
- Mais tu es aveugle ?! Il est en train de l’étrangler, Namki va mourir !
- Ils ne le tueront pas ! Ils vont l’enlever et le torturer pour obtenir des informations sur nous, sur notre plan, sur nos pistes…
- Comment peux-tu dire ça aussi calmement ? Tu vas le laisser se faire kidnapper ?!
Hyujin secoue la tête.
- On le retrouvera, ne t’en fais pas.
Je continue de me débattre mais Hyujin a plus de force que moi. Tandis qu’il me tire, j’aperçois trois ombres s’enfuir du Temple des Cerisiers, dont une avec un corps sur l’épaule.
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