Chapitre 19
De retour dans la chambre, je m’assois sur mon lit, les sourcils froncés. La lune est toujours haute et les étoiles me semblent plus brillantes. Mon stress s’est dissipé, mais ma colère est toujours présente. Hyujin semble aussi irrité que moi et je lui lance un regard noir.
- Pourquoi tu ne l’as pas tué ? Même si Namki t’avait dit de partir, tu aurais pu le faire.
- C’était Namki ou toi. Estime-toi heureuse que ça soit toi que j’ai choisie.
Je le fixe, décontenancée. Toute ma rage s’envole d’un coup et je baisse les yeux.
- Ah. Merci.
Un sourire en coin se dessine sur son visage, puis il tourne la tête vers le ciel sombre. Toute ma vie, j’ai détesté Hyujin. J’ai toujours eu des préjugés sur lui. Et pourtant, il n’est pas comme je le pensais. Il est peut-être froid, mais il a ses raisons.
- Bon. On ferait mieux de dormir, soupiré-je.
Je me sens un peu plus rassurée depuis que les tueurs ont quitté le temple, mais je suis tout de même inquiète pour Namki.
Je positionne mes draps correctement puis m’allonge dans mon lit, avant de tomber dans un sommeil profond.
* * *
Hyujin est assis sur son lit quand je me réveille. Il attend patiemment, les yeux dans le vide.
- Ça va ? demandé-je.
Il tourne la tête vers moi et sourit.
- Oui. Et toi ?
Je hoche la tête puis me lève. Je me dirige vers la porte et lance un regard à Hyujin.
- Tu viens ?
- J’arrive.
Je mords mes lèvres. Depuis hier, nos échanges qui s’étaient un peu détendus sont de nouveau froids. Nous rejoignons en silence la sortie du temple, le vent matinal venant fouetter nos visages.
- Et maintenant ?
Il s’arrête et se tourne vers moi.
- Quoi ?
- On fait quoi ?
- On va chercher Namki. Je t’ai dit hier qu’on irait le retrouver.
- Tu étais sincère ? Tu ne disais pas ça juste pour que je me calme ?
Déconcerté, il accroche son regard au mien et fronce les sourcils. Je réalise que ce que je pensais était stupide.
- On va le chercher où ?
- Je ne sais pas trop. Déjà, faisons le tour de la cité des Cerisiers. Ils sont peut-être plus proches que ce que l’on pense.
J’acquiesce. Nous reprenons notre marche, tandis que le soleil se lève doucement et vient réchauffer la ville.
Quand les rues s’animent, je souris. Ça fait tellement longtemps que je n’avais pas vu la cité ainsi. J’observe les enfants courir et les marchands installer leurs produits. L’odeur des épices se répand et je prends une grande inspiration. Je commence à avoir faim, alors je tire sur la manche de Hyujin pour l’informer que je change de direction, puis je m’approche d’un vendeur de raviolis cuits à la vapeur. Il m’en donne deux et je lui tends des pièces avant de retourner auprès de Hyujin.
Je croque dans un des raviolis, heureuse de manger.
- Tu en veux un ?
Hyujin fait non de la tête.
- Tu es sûr ?
- Oui. J’ai d’autres priorités.
Je fronce les sourcils.
- C’est important de manger.
- Oui. Mais je n’ai pas faim.
- Tu es en colère ? questionné-je.
- Pourquoi je le serai ?
- Ben… pour cette nuit. Quand je me suis énervée.
- Non.
Je détourne le regard et aperçois un groupe de personnes rassemblées autour d’un mur. Curieuse, je tire à nouveau sur la manche de Hyujin pour que nous nous approchons.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demandé-je à un passant.
Il désigne une affiche posée sur la façade.
- Il y a eu beaucoup d’agressions ces derniers temps. Les autorités cherchent des informations.
Je me tourne vers Hyujin.
- C’est sûrement les gens que nous recherchons, lancé-je.
- Ça me semble évident.
- Et vous, vous savez quelque chose ? dis-je en me retournant vers le passant.
- Non, pas vraiment. Un de mes amis les a vus sortir de la ville cette nuit, mais c’est tout.
- En direction de la cité du Lotus ? questionné-je.
- Non, dans l’autre sens.
Je ne suis jamais allée de ce côté du pays. Je suis incapable de dire ce qui s’y trouve.
Nous nous éloignons de l’attroupement pour rejoindre les rues un peu plus calmes.
- Il y a quoi, de l’autre côté ?
- Je ne sais pas, mais on devrait y aller, répond Hyujin.
- D’accord.
Habituellement, quand je quitte la ville, je vais à l’ouest. Mais cette fois-ci, nous allons vers l’est, et j’avoue que je suis inquiète à l’idée d’aller dans un lieu que ni Hyujin ni moi ne connaissons.
Pour le moment, les chemins ressemblent aux routes de campagne qui entourent la cité du Lotus. Ici, il n’y a pas de forêt, pas d’arbre. Juste des champs à perte de vue. Le vent souffle légèrement et remue les épis de blés.
- Tu crois qu’on va retrouver Namki ?
- J’espère, répond-il. Tu sais, si je l’ai laissé partir c’était parce que je savais que s’il se faisait enlevé, on trouverait la cachette des tueurs.
- Je suis désolée de m’être énervée, soufflé-je. J’étais juste stressée à cause du tueur dans ma chambre, et de ceux qui menaçaient mon père.
L’expression de Hyujin change puis redevient normale.
- Tu ne me crois pas ? C’est vrai, je t’assure. Avoir un tueur dans sa chambre, c’est très stressant, et…
- Oui, j’ai compris.
De toute évidence, Hyujin ne veut pas reparler de ça. Mais pourquoi ? pensé-je. Je m’apprête à lui demander lorsqu’un renard surgit du champ et attire mon attention. Je m’avance vers l’animal et m’accroupis.
C’est la première fois que je vois un renard en vrai. Celui-ci est un bébé. Je pose ma main sur lui, et il se laisse faire. Je ne m’attendais pas à cette réaction, mais ça me rassure qu’il ne me croque pas les doigts.
Hyujin me rattrape et soupire.
- C’est un renard, Aria. Ce n’est pas exceptionnel. Allez, avance.
Je me redresse et après avoir regardé une dernière fois l’animal, je recommence à marcher. Il n’y a toujours rien à l’horizon, et je commence à me dire qu’il n’y a rien par ici, lorsque j’aperçois une sorte de colline au loin, un bâtiment dessus.
- Hyujin, là-bas !
Il regarde et opine du chef.
- Oui.
Au bout d’environ une heure, nous approchons enfin de la colline. Le bâtiment posé dessus ressemble plus ou moins à un temple. Je regarde partout autour de nous, cherchant à comprendre où nous nous trouvons. Je ne vois que des ruines, comme si la ville avait été détruite par une guerre. Les vestiges des habitations s’étendent à perte de vue. Les murs qui tiennent encore debout sont recouverts de lierre et de mousse. Des lanternes en papier déchirées flottent dans le vent, suspendues à des édifices. Les pavés sont fissurés et laissent passer des pousses de bambou par les trous. Nous nous approchons d’un ancien jardin, où un vieux cerisier perd ses fleurs. Les statues de pierre sont usées elles aussi, et certaines des personnes représentées ont perdu un bras ou encore une partie de leur ventre. Au sommet de la colline, le temple se dresse fièrement.
Nous grimpons le petit mont jusqu’à la demeure entourée de clôtures. Le temple est impressionnant, bien qu’il soit en ruines lui aussi. Les fresques qui ornent les façades sont légèrement effacées mais je peux voir des représentations de divinités locales.
Le toit du pavillon central est à moitié effondré et les tuiles sont éparpillés par terre. Nous continuons notre route dans les jardins abandonnés jusqu’à arriver à un petit autel en pierre. Au pied se trouvent des offrandes abîmées ou encore des fleurs fanées. Je relève la tête pour observer la pierre, où quelque chose est gravé. Hyujin le remarque aussi et sort un de ses précieux couteaux pour gratter la mousse qui s’est posée sur les lettres.
AUTEL SACRÉ DU TEMPLE DES FLEURS
CITÉ DES FLEURS
Je tourne la tête vers Hyujin et croise son regard. Nous nous redressons en même temps pour observer l’endroit délaissé. C’est le temple, la cité que nos ancêtres, autrefois amoureux, ont fondé ensemble, juste avant que les guerres n’éclatent et ne séparent Yume et Kaï en deux camps rivaux.
Je reste là, figée, à contempler le lieu.
- C’est ici que tout a commencé, soufflé-je, impressionnée.
Hyujin hoche la tête. Je commence à trembler, à la fois émue par la beauté du lieu et furieuse que l’harmonie ait été gâchée par des guerres. Hyujin attrape ma main et me tire pour que nous visitions le reste du temple.
Nous nous approchons du pavillon central et grimpons les dix marches usées. Arrivés, nous découvrons une grande pièce lumineuse. Les murs sont ornés de motifs floraux – des cerisiers et des lotus – et au centre, un autre autel nous attend. Il est recouvert d’une fine couche de poussière. Celui-là est gravé d’une autre écriture :
TEMPLE DES FLEURS
YUME ET KAÏ
Nous continuons d’explorer le pavillon, observant attentivement les statues et les peintures. L’une d’elles représente un homme et une femme, tout sourire, se tenant par la main, devant un cerisier en fleurs et un lac rempli de fleurs de lotus.
- Cet endroit est incroyable, murmuré-je, comme si ma voix allait troubler l’atmosphère apaisante qui règne ici. Tu te rends compte, c’est là qu’ont vécu nos ancêtres, Hyujin.
- Oui, je sais.
Lorsque nous sortons du temple, nous avons une vue panoramique sur la cité des Fleurs en ruines. Les maisons, les jardins, les plus petits temples dédiés à la prière… Tout est beau, tout était autrefois plein de vie.
C’est donc ça qui se cachait de l’autre côté.
- Viens. On doit chercher Namki. Ici, c’est désert. Il n’y a plus personne depuis des siècles, tu le sais aussi bien que moi, lance Hyujin en redescendant la colline, m’entraînant avec lui.
Je hoche la tête et le suis à travers le dédale de rues. Mon regard s’attarde sur le jardin contenant le vieux cerisier en fleurs et je souris, heureuse d’avoir découvert l’ancienne cité.
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