J’ouvre les yeux. Le soleil n’est pas encore levé, alors je me dépêche de sortir de mon lit. J’enfile une robe de soie violet sombre, allant de mes épaules à mes pieds, que je cintre avec un bout de tissu rouge enroulé autour de mes hanches. Je me positionne devant la coiffeuse et me rappelle la nuit où j’y étais cachée avec Hyujin.

Non. Je ne dois plus penser à ça.

Je coiffe mes cheveux noirs et les attache en un chignon volumineux, puis j’y plante la broche ornée d’une branche de cerisiers. Je teinte mes lèvres d’un rouge grenade et me lève pour m’observer dans un miroir.

Satisfaite, je marche jusqu’au jardin où je dois attendre mon futur fiancé. Quand le ciel s’éclaircit, je peux le voir arriver. Il est grand, vêtu d’une tunique bleu pâle et d’un pantalon noir. Il a de courts cheveux noirs, un visage rond et une peau légèrement bronzée, ainsi qu’une balafre sur la joue. Sa tête me rappelle étrangement quelqu’un.

- Bonjour, Demoiselle Aria.

Il s’incline profondément avant de se relever et de me détailler du regard.

- Vous êtes sublime.

- Merci. Comment dois-je vous appeler ?

- Je me nomme Hiro.

Je dévisage le jeune homme, me demandant quel âge il a. Il a l’air d’avoir une dizaine d’années de plus que moi.

- Enchantée, Hiro.

Il me sourit. Il ne semble pas méchant, mais je me méfie de lui, sans vraiment savoir pourquoi.

Nous commençons à avancer dans les jardins, et je décide d’en apprendre plus sur mon futur mari :

- Parlez-moi de vous. Qu’est-ce que vous aimez faire ?

- J’aime beaucoup l’art. Peindre, dessiner… J’écris des poèmes aussi.

- Oh, vous êtes un artiste.

Il rougit.

- Hum… oui, on peut dire ça. Et vous, Aria ? Qu’est-ce que vous aimez ?

Je réfléchis, ne sachant pas trop quoi répondre. Je n’ai jamais vraiment fait d’activités, trop occupée à préparer mon ascension au pouvoir.

- J’aime me promener.

Il me lance un regard avant de hocher la tête.

- Oui, surtout que ça doit être agréable, avec des jardins aussi beaux.

- Dites-moi, Hiro… D’où venez-vous ?

- Je suis né dans la cité du Lotus et j’y ai grandi. Lorsque je suis devenu adulte, j’ai déménagé dans la cité des Cerisiers.

J’opine du chef.

- Que diriez-vous d’aller faire un tour en ville ?

- Que diriez-vous d’arrêter de me vouvoyer ? Après tout, nous sommes de futurs époux, lance Hiro. Enfin, si vous n’y voyez pas d’objection.

- Ah, non. Ça me va.

Un sourire illumine le visage de Hiro. Nous descendons jusqu’à la cité et nous nous promenons entre les étalages.

- Puis-je me permettre une question, Hiro ?

- Demande-moi tout ce que tu veux.

- C’est que… quel âge as-tu ?

Il me fixe avant d’éclater d’un rire doux.

- Moi, j’ai trente-sept ans.

Éberluée, je le dévisage. Trente-sept ans. Cet homme et moi avons vingt-et-un ans d’écart.

- Ça te dérange ?

- Heu… non, pourquoi ?

- Tu m’as l’air perturbée.

- Je… je n’avais pas réalisé à quel point tu étais… âgé.

- Je comprends que cela puisse sembler étrange.

Après une pause, il enchaîne :

- Aria, que recherchez-vous chez votre futur mari ?

La question me prend au dépourvu. Je n’avais jamais réfléchi à ça. Je visualise Hyujin dans mon esprit, mais je ne peux pas parler de lui à Hiro.

- Je ne sais pas trop. Et vous ?

- J’attends qu’elle me respecte, qu’elle soit aimante envers moi, mais aussi envers nos enfants.

La perspective d’avoir des enfants avec lui ne me réjouit pas du tout.

- J’aimerais qu’elle s’occupe de moi, de mon bien-être, mais aussi du sien. Je ne veux pas qu’elle me fasse passer avant elle.

- Oui, je vois.

Nous continuons de nous promener entre les enfants et les marchands, lorsque j’aperçois une silhouette familière. Mon coeur s’arrête un instant. Il me tourne la tête et me voit. Son regard s’accroche au mien, et je sens mon rythme cardiaque s’accélérer.

Je reste sans bouger, mon regard ancré dans les yeux sombres et froids de Hyujin. Il jette un coup d’oeil à Hiro, et quand il comprend, ses sourcils se froncent.

- Aria ?

La voix de mon futur mari me ramène à la réalité. Je détourne les yeux de Hyujin et plante mon regard dans celui de Hiro.

- Tu vas bien ?

- Oui, oui. Je vais bien.

Je sens le regard de Hyujin sur moi, et je me force à sourire à Hiro.

- Continuons, déclaré-je.

Nous avançons, mais mes pensées, à la base concentrées sur le monologue ennuyeux de Hiro, dévient sur Hyujin. Que faisait-il ici ?

- Aria, tu es sûre que tout va bien ?

- Oui.

Je jette un coup d’oeil en arrière. Hyujin n’a toujours pas bougé.

- Tiens, tu devrais vraiment goûté ce fruit, dit Hiro, me tirant de mes réflexions.

- Quoi ? Oh, oui, d’accord.

Je croque dans le fruit juteux et souris.

Je me demande si Hyujin est ici pour me voir, ou juste pour me rappeler ce que je perds en épousant Hiro.

- Aria, regarde ! s’exclame mon futur mari.

Il désigne une peinture, posée au sol, près d’un homme qui dessine sur une toile.

- C’est magnifique, dis-je, sans vraiment regarder. Hiro… je m’absente un moment, reste ici, je te retrouve dans cinq minutes.

Il me fixe, surpris, mais me laisse partir, tant il est subjugué par les œuvres au sol. Je marche jusqu’à Hyujin et m’arrête à sa hauteur.

- Hyujin.

- Aria.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Je continue l’enquête. C’est qui, lui ?

Je grimace.

- Hiro. Mais je ne sais pas si c’est ce que je veux réellement.

Il s’approche de moi.

- Tu ne dois pas te sentir obligée.

- C’est ma destinée, réponds-je, la gorge nouée.

- Et si tu disais simplement «non» ?

- Hyujin, je…

Je n’arrive pas à terminer ma phrase.

- Je dois y aller. Désolée.

Je m’éloigne de lui et retourne auprès de Hiro. Il me sourit.

- Allons dans cette boutique.

Il désigne une boutique de bijoux. C’est là où j’ai rencontré Hyujin.

Je suis Hiro à l’intérieur et admire les colliers, les bracelets et les épingles à cheveux. Je touche une des bague en or, incrustée de petits diamants.

- Je te l’offre, me souffle Hiro.

- Oh non, c’est bon, merci.

- Mais si, j’insiste. Elle t’irait bien.

Il s’approche du vendeur et commence à discuter du prix avec lui. Je ressors du magasin et attends dehors, l’esprit embrumé. Je ne vois plus Hyujin dans la rue.

- Tiens.

Hiro ressort du bijoutier et me tend la bague, qu’il passe à mon doigt. Je me force à sourire.

- Merci beaucoup.

- Reprenons notre marche.

Nous continuons de discuter, jusqu’à ce que je lui demande la raison pour laquelle il veut m’épouser.

- Déjà parce que je te trouve ravissante. Je veux que ma femme soit belle. Mais ce n’est pas tout. Je pense que tu es destinée à de grandes choses.

Je le regarde, intriguée.

- Que se passerait-il si je ne voulais pas t’épouser?

Hiro s’arrête et me regarde droit dans les yeux.

- Je respecterai ta décision. Mais je crois sincèrement que nous pouvons construire quelque chose de beau, toi et moi.

- Mais qu’est-ce qui t’amène à me choisir moi et pas une autre femme ?

- Je sens que notre union pourrait apporter quelque chose à ta cité. Une fois le pouvoir entre mes mains, je sais que je pourrai bâtir un avenir radieux pour la cité des Cerisiers.

Je fronce les sourcils. Je me doutais bien qu’il se fiançait avec moi non pas par amour, mais pour le pouvoir, mais l’entendre le dire aussi facilement est décevant.

- Je vois. La journée m’a épuisée, Hiro, je crois que je vais rentrer.

- Oh, oui, pas de problème. Au revoir, Aria.

- Oui, au revoir.

Je rejoins en vitesse le Temple des Cerisiers et me dirige vers ma chambre, sans prendre le temps d’aller voir mon père. Une fois dans mon jardin, je me remets à pleurer.

Je ne veux pas me marier avec lui. Il est attentionné, pas trop laid, il semble honnête… Mais quelque chose chez lui me repousse. Et mes sentiments vis-à-vis de Hyujin n’ont pas changé.