Chapitre 28
La peur remplace à nouveau la colère. Cet homme est complètement fou. Je suis paralysée, le souffle court.
- Quoi qu’il en soit, je n’ai pas l’intention de la laisser partir. Elle n’a pas le choix. Nous nous marierons, qu’elle soit consentante ou non. Mais je suis sûr qu’elle est déjà sous mon charme. Quand elle sera mon épouse, tout sera en place.
Le dégoût m’envahit.
- Alors c’est parfait. Tout ce que tu as à faire désormais, c’est éliminer Seji pour rapprocher ton ascension au pouvoir. Merci, Hiro. Tu peux y aller.
J’entends des bruits de pas qui se dirigent vers la sortie. Hiro est sûrement en route pour retrouver mon père et le tuer.
Hyujin ouvre la porte et me fait signe de le suivre dans les couloirs sombres. Lorsque nous passons dans le dos de la femme, je me tends, apeurée à l’idée qu’elle nous voit. Mais en même temps, je me dis que ça pourrait être le bon moment pour découvrir son identité.
Je jette un coup d’oeil inquiet à Hyujin alors qu’il m’entraîne doucement dans les couloirs obscurs.
- On doit vite trouver ton père, souffle-t’il.
Je hoche la tête. Nous arrivons dans une petite pièce. Hyujin ouvre la porte et scrute l’intérieur. Nous nous apprêtons à faire demi-tour lorsqu’une voix retentit derrière nous.
- Je te le dis, nous devons agir vite, lance la femme. Tant que Hyujin s’en mêle, il y aura des complications. On ne peut pas le tuer, lui. Tu sais ce que Hiro doit faire, et je vais m’assurer qu’il le fasse.
- Tu es sûre de vouloir aller jusqu’au bout ?
- C’est le seul moyen d’assurer notre victoire. La cité des Cerisiers sera mienne, et personne ne pourra se mettre en travers de mon chemin.
Qui est cette femme ? Pourquoi veut-elle le pouvoir ? Que compte-t’elle faire ? Une centaine de questions naissent dans mon esprit.
- Aria ne doit en aucun cas se douter de ce qu’il passe.
Je crois que je vais m’évanouir. Les révélations s’accumulent dans ma tête. J’ai l’impression de n’être qu’un simple pion dans leur jeu. Ou alors d’être un objet.
- Sortons d’ici, Aria. Allons trouver ton père.
- Oui, soufflé-je.
Nous nous faufilons rapidement dans le couloir pour quitter le bâtiment. Les mots de la femme résonnent encore en moi, et je sens l’inquiétude monter. Pourquoi elle dit qu’elle ne peut pas tuer Hyujin ?
Alors que nous traversons la cité, je commence à croire que je vais réellement mourir et que ça ne sert à rien de continuer à chercher, parce que mon père est déjà mort.
* * *
Le soleil se lève et une boule d’angoisse se forme dans ma gorge. Demain, je me fiancerai à Hiro. Je ne peux plus faire machine arrière, à moins de le tuer, et ce n’est pas dans mes capacités. Peut-être dans celles de Hyujin, mais je ne suis pas sûre qu’il souhaite l’assassiner.
La ville commence à se réveiller et certains passants me félicitent pour mes fiançailles. Je me demande quels seront leurs réactions quand j’annoncerai que je ne me marierai pas avec Hiro. Enfin, si ça arrive.
Je continue de marcher, le regard perdu dans le vide. Hyujin reste à mes côtés, scrutant la foule à la recherche d’une menace.
- Aria, concentre-toi.
J’acquiesce, mais mon esprit est en ébullition. Je n’arrive pas à oublier les paroles de la femme. Hiro ne va pas s’arrêter là. Il est déterminé à me tuer.
- Hiro a des contacts dans la ville. Des amis, des gens qu’il peut voir en cas de besoin… On devrait se rendre chez l’un d’eux.
Hyujin fronce les sourcils.
- C’est une option.
Je balaye l’espace du regard.
- Oh, je sais. Il y a une auberge où il aime se rendre. Allons-y.
Hyujin acquiesce et je le conduis à l’auberge. Une fois que nous sommes devant le bâtiment, je remarque que les volets sont fermés. Nous entrons prudemment, et la salle est plongée dans l’obscurité. Il n’y a personne, les tables et les chaises sont en désordre.
Tout à coup, une porte s’ouvre brusquement et un homme entre. Je reconnais l’aubergiste, qui est aussi un ami de mon père.
- Aria ! s’exclame-t’il. Je t’ai cherchée partout. Ton père a disparu.
- Je sais… Et que sais-tu sur Hiro ?
- L’homme avec qui tu étais la dernière fois ?
- Oui.
- Hm… Je l’ai vu traîner autour d’une vieille cabane dans les bois, il n’y a pas très longtemps.
- Merci. Pouvez-vous nous y emmener ?
- Pas de problème, suivez-moi.
Tandis que nous suivons l’aubergiste dehors, Hyujin attrape discrètement ma main.
L’air frais me fouette le visage. La route jusqu’à la cabane est sinueuse, bordées d’arbres sombres. Les feuilles bruissent au vent et les branches craquent.
Finalement, nous atteignons la cabane, à peine visible parmi les arbres. Je regarde autour de moi, le coeur battant. Et si mon père était là ?
- Père ?
Silence.
- Je vais entrer, chuchote l’aubergiste.
Je me penche en avant, retenant mon souffle. Puis je vois mon père à l’intérieur, les yeux fermés, assis appuyé contre le mur.
- Père ! crié-je en courant auprès de lui, lâchant la main de Hyujin.
Il ouvre les yeux. Je retire le chiffon qu’il y avait dans sa bouche et il me sourit.
- Aria, je suis désolé. Je ne savais pas qu’il était comme ça. Lorsque je l’ai rencontré, il était tellement charmant…
- Partons. Hiro n’est pas loin, dit sèchement Hyujin.
- Qu’est-ce qu’il fait là, lui ? s’étonne mon père.
Hyujin le fusille du regard avant de tourner la tête vers les bois.
- Il arrive.
Mon coeur s’accélère et je jette un coup d’oeil à mon parent. Ses joues sont entaillées, ainsi que son cou et son épaule. J’avais subi la même chose. Automatiquement, je porte la main aux blessures que Hyujin a soigné, qui sont désormais des cicatrices.
La porte s’ouvre et Hiro entre. Décontenancé, son regard passe de mon père à l’aubergiste, de l’aubergiste à Hyujin, et de Hyujin à moi.
- Qu’est-ce que vous faites là, vous trois ? grince-t’il en désignant tout le monde sauf mon parent. Aria, je ne peux pas te tuer maintenant…
Il soupire.
- Et toi, Hyujin… J’ai l’interdiction formelle de ma cheffe de m’approcher de toi.
Il hausse un sourcil, déconcerté.
- Mais j’aimerais quand même que tu lâches la main de ma fiancée, susurre-t’il en faisant glisser son regard sur nos doigts à nouveau entrelacés.
Mon père hoquette de frustration. Hiro attrape un couteau et s’approche de lui.
- Vous ne le saviez pas, Seji ? sourit-il. Vous êtes déçu de votre fille ? Moi aussi… C’est ma promise… pas la sienne. Je devrai le tuer.
- Je croyais que vous n’aviez pas le droit, raille mon père.
- Mais personne ne saura que c’est moi qui l’ai assassiné. Un accident est si vite arrivé… N’est-ce pas ce que l’on dit ? Je vais tous vous tuer ici. Sauf toi, Aria.
Je mords mes lèvres.
- Mais ne t’en fais pas. Je m’occuperai de toi dans quelques jours.
Je blêmis. Je ne vois vraiment pas comment on pourrait sortir d’ici. Hiro est armé, mais nous non.
- Je ne vais pas vous assassiner tout de suite. Je vais vous attacher, vous torturer et vous laisser vous vider de votre sang. Quant à toi, jeune fille… Je vais t’attacher aussi, et tu vas les regarder souffrir.
Il s’approche de moi, et je vois une lueur sauvage dans ses yeux. La panique me gagne. Je cherche désespérément le couteau qui a tué ma mère dans la poche de ma jupe, puis je me souviens que je l’ai déposé auprès de mon père la nuit où Namki s’est fait enlevé.
Soudain, Hiro s’arrête d’avancer et ses pupilles se dilatent. Il ne bouge plus, son regard fixant le sol.
- Tais-toi…
Il répète ces deux mots en boucle. J’échange un regard avec Hyujin, qui ne semble pas comprendre non plus. Personne ne parle. À qui dit-il de se taire ? Je l’avais déjà entendu parler tout seul, mais ça ne m’avait jamais semblé louche. Alors que là… c’est presque effrayant.
Sa voix se fait de plus en plus forte et il finit par hurler «tais-toi» tellement fort que je suis obligée de me boucher les oreilles. Hiro se met à trembler et laisse tomber son couteau par terre, avant de s’écrouler à son tour, se tenant la tête.
Violemment, il lance :
- Qui es-tu ? Qui es-tu pour te permettre de me dire quoi faire ?
Je recule d’un pas et me serre contre mon père, de plus en plus terrifiée. Ce que je pensais se confirme. Cet homme est fou.
Hyujin est le premier à réagir. Il attrape le couteau et le plante dans le cou de Hiro, faisant gicler du sang. L’aubergiste se couvre la bouche.
Hiro cesse de parler et tombe sur le côté dans un bruit sourd, ses yeux ouverts continuant de fixer Hyujin sauvagement.
Mon père passe un bras autour de mon épaule et embrasse mon front, avant de m’aider à me relever. Je m’approche de Hiro en tremblant, puis je contemple ses yeux. Je crois que je n’avais jamais vu un mort qui avait les yeux ouverts.
Et cette vision est effrayante.
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