Chapitre 25
Lorsque nous arrivons devant le Temple du Lotus, je ferme les yeux et inspire profondément. J’observe les contours du temple à travers la brume.
- Au revoir Hyujin. En rentrant, pourras-tu dire à tes parents que nous aimerions leur parler ? demande mon père.
- Oui, Seigneur Seji, répond-il.
Hyujin passe à côté de moi, ralentis un peu et effleure ma main. Je frémis et le regarde partir. Il franchit les deux portes et disparaît dans l’épais brouillard.
Quelques minutes après, Miya, la gouvernante de Hyujin, vient nous ouvrir. Elle s’incline.
- Seigneur Seji, Demoiselle Aria… Seigneur Seok et Dame Hana vous attendent dans le pavillon principal.
- Merci, réponds-je avant de suivre mon père.
Nous pénétrons dans les jardins que j’avais pu observer la dernière fois que je suis venue, puis nous entrons dans la salle. Seok et Hana nous attendent, assis par terre.
- Bienvenue, grince le seigneur. Asseyez-vous.
Nous nous agenouillons par terre.
- Que voulez-vous ? demande la femme, la mine sombre.
- J’aimerais parler de la situation actuelle de nos deux cités. Votre fils va bientôt passer au pouvoir.
- Oui, nous le savons, répond Seok. Il est prêt. Il ne lui manque plus qu’une fiancée. Justement, cet après-midi, des femmes de plusieurs contrées vont venir le rencontrer.
Je tressaille.
- Et pour Aria ? Qu’allez-vous faire ? Si vous voulez qu’elle passe au pouvoir, vous allez devoir vous trouver une nouvelle épouse, Seji. Sinon, c’en est fini de votre dynastie, crache Hana, un sourire mesquin sur les lèvres.
- J’ai tout prévu. Aria va épouser un homme, comme ça, je n’ai pas à me remarier pour qu’elle passe au pouvoir.
Je tourne violemment la tête vers mon père. Il m’a dit que c’était pour le peuple, mais c’était en réalité un acte égoïste pour qu’il n’ait pas à se remarier avec une femme qu’il n’aime pas ? Ou bien, je me trompe ?
- Vous en avez trouvé un ? questionne Seok, un air préoccupé sur le visage.
- J’en ai sélectionné deux. Je dois les départager avant de le présenter à Aria.
Pourquoi parlent-ils comme si je n’étais pas là ? La colère commence à monter en moi.
- Et Hyujin ? Combien avez-vous trouvé de prétendantes ?
- Une vingtaine. Évidemment, il doit y en avoir seulement deux qui veulent l’épouser pour qui il est. Les autres sont juste des femmes avides de pouvoir, répond Hana.
Je n’arrive pas à me faire à l’idée que tout à l’heure, vingt femmes vont rencontrer Hyujin pour essayer de le séduire. Mon coeur se serre à cette pensée.
- Quant à l’assassin de Mei, où en sont vos recherches ? demande Seok.
Je sens le regard de mon père sur moi.
- Ça n’avance pas. Nous n’avons aucune piste. C’est d’ailleurs pour cela que l’on va redresser le Temple des Cerisiers et laisser tomber l’enquête.
Un sourire de satisfaction apparaît sur le visage de Hana. Moi, je suis choquée par les propos de mon père. Comment peut-il laisser tomber aussi facilement ?
Hyujin apparaît dans la pièce. Ses yeux se posent sur moi et je détourne le regard. Il se tourne vers ses parents.
- Qui sont les femmes dans l’entrée ? dit-il sèchement.
- Tes prétendantes, répond son père.
- Ah, je vois. Aucune d’elle ne me plait, elles peuvent repartir.
- Hyujin ! Tu dois en choisir une ! hurle Seok. Si tu ne le fais pas, je te déshérite.
- Alors déshérite-moi. De toute façon, je ne suis plus ton fils. C’est bien ce que tu as dit la dernière fois, non ?
Hana se tourne vers son mari.
- Tu as osé dire ça à Hyujin ? Tu ne peux pas le déshériter ! Sinon, nous confierons notre cité, notre argent, notre temple à un inconnu !
- Faites ce que vous voulez. Toujours est-il que je ne veux pas des femmes dans l’entrée.
Il repart alors que ses parents continuent de lui hurler dessus.
- Bon, vos histoires familiales m’agacent. Aria et moi repartons.
Mon père me tire pour que je sorte du temple. Une fois dehors, il soupire.
- Hyujin ne prend vraiment pas ses responsabilités à coeur. Comment a-t’il pu repousser ces vingt femmes sans leur avoir parlé ?
- Au fond, je le comprends. Il a quand même le droit de ne pas vouloir épouser une inconnue.
- Il doit faire ce que ses parents lui ordonnent, Aria.
Je lève les yeux vers lui.
- Et si son coeur appartient à quelqu’un d’autre ?
- Je vois mal Hyujin être amoureux. Et puis, les obligations de la noblesse sont plus importantes que les désirs personnels. Un mariage, c’est un contrat, pas une romance. Tu le sais très bien.
Je soupire.
- Mais qu’en est-il de moi ?
- Tu n’as pas le choix, Aria. N’oublie pas, tu es le printemps.
- Mais ce n’est pas juste, Père !
- La justice n’a rien à voir là-dedans. La survie de notre lignée est en jeu.
Vexée, je me tais et continue de marcher.
Une fois au Temple des Cerisiers, je vais prendre un bain pour me calmer les nerfs. Le servant de ce matin me lance un regard plein de compassion tandis qu’il verse de l’eau dans la baignoire.
- Demoiselle Aria, votre père m’a chargé de vous dire que demain, vous rencontrerez votre futur mari pendant toute la journée. Vous devrez être prête quand le soleil sera levé.
Je pousse un soupir et plonge mes cheveux dans le bain. Je pense à Hyujin et mon coeur se serre. Je regrette de l’avoir laissé partir, mais je n’avais pas d’autres choix.
Je sors de l’eau et m’habille, avant de me rendre dans mon jardin. Je pose ma main dans l’herbe et attrape quelques brins.
Demain, je rencontrerai la personne avec qui je finirai ma vie. La personne avec qui je devrai avoir au moins un enfant. Est-ce qu’il est gentil, au moins ? Pourquoi mon père l’a choisi lui et pas un autre ?
Je songe à l’assassin de ma mère, qui rôde toujours. Désormais, je ne saurai jamais qui c’était. Je dois laisser tomber cette enquête.
Je repense à toutes les aventures qui me sont arrivées avec Hyujin. Quand il m’a sauvée. Quand il m’a libérée. Quand il m’a embrassée.
Les larmes que je refoule depuis ce matin roulent sur mes joues. Si être l’héritière signifie épouser un inconnu, vivre avec des regrets et se sacrifier, je ne veux pas l’être. Je préférerai être pauvre mais heureuse plutôt qu’être riche mais malheureuse.
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