Tête de mule

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Je la suis en me cachant derrière des poubelles ou des voitures. La femme ne m'a pas vue encore, je sais que cette personne me conduira à ELLE. ELLE ? Qui est cette fille? Je ne sais pas ou plutôt, je ne sais plus. C'est une blessure dans mon cœur, un manque à ma vie que je ne peux m'expliquer.

J'ai constamment mal dans ma poitrine, c'est un poignard planté en plein cœur qui refuse de partir. Les médecins n'ont jamais rien trouvé. Je sais qu'Elle existe. J'en parle dans mon journal intime. Je crois qu'Elle s'appelle Coccola, en tout cas, c'est comme ça que j'en parle depuis que je sais écrire. ELLE est née le même jour que moi. C'est mon amie d'enfance qui est censée être morte.

Mais il manque un morceau dans mon journal, les deux dernières années sont en pointillée. J'ai l'impression de faire des recherches à propos d'une secte séquestrant Coccola, puis alors que je semble sur le point de la retrouver, d'un coup, je reviens à mon point de départ chez ma tante éloignée, déboussolée entre vingt quatre et quarante huit heures après être quasi parvenue à mes fins.

C'est rageant. A chaque fois, je décris des événements et des recherches. Des informations nouvelles. Pour la cinquième fois. Je refuse qu'il y ait une sixième fugue, alors je me montre prudente, ce qui n'est pas franchement dans ma nature profonde. Je suis du genre à foncer tête baissée. Je surveille mes faits et gestes et tente de ne pas attirer l'attention.

Je m'assure que personne ne me voit et encore moins me suive. Dans mon journal, je raconte que j'ai croisé de drôles de types les deux dernières fois, des pervers qui voulaient me coincer dans un coin pour me faire ma fête et que j'ai eu du mal à semer.

Depuis ma troisième fugue, j'ai la certitude de ne pas être folle. J'ai des photos d'Elle et de ceux qui la séquestre. J'ai noté dans mon journal web que je l'ai vue et touché. J'ai pris une image d'Elle. Je sais que mon cœur m'attire vers l'endroit où elle se trouve. D'une manière insensée que je traiterais de folle si je ne le ressentais pas au fond de mon être.

La femme que je suis est rousse. J'ai sa photo sur mon journal intime. Elle fait partie de la secte. Je la décris comme telle. Cinq jours que je la piste. Notant ses heures de sorties et de rentrée et les endroits où elle se rend. J'ai volé son ticket de courses qui était tombé. Elle s'est procuré de quoi manger pour un régiment. Neuf personnes d'après mes écrits. En plus, je ne connais que Coccola pour aimer les Skittles goût tropical. Elle est encore là. Je dois la voir.

Un type rejoint la femme que je piste et discute devant l'immeuble. Sa tête ne me revient pas. J'ignore pourquoi, ce type me déplaît. Il a une tête à claques. Il correspond à la photo et description d'un type que j'ai suivi lors de ma troisième et quatrième tentative pour retrouver mon morceau de cœur perdu. Les deux fois, je l'ai décrit comme quelqu'un d'antipathique et de très con. Son visage bien que plaisant me hérisse les poils sans que je ne comprenne cette réaction épidermique.

Je m'approche pour saisir leur discussion, je ne parviens pas assez près. Je risque de me faire repérer si je m'avance plus. Très vite, ils rentrent dans un immeuble banal de centre-ville. J'attends quelques minutes et tente de m'y faufiler, la porte est fermée, ce qui ne me retient que quelques secondes, je sais crocheter une serrure avec facilité.

Je rentre dans le couloir, m'aperçois que cet immeuble n'est pas aussi banal qu'il n'y parait. Le hall est certes gris et terne comme des centaines d'autres halls d'entrée d'immeubles, mais si de multiples appartements sont indiqués sur les boites aux lettres extérieures, je m'aperçois que la plupart des portes sont factices. Elles sont peintes sur le mur, pour donner une impression d'habitations à l'extérieur.

Une à une, je les vérifie toutes. En fait, une seule est fonctionnelle. Une porte au fond, sur la droite, donnant une impression de cagibi, cette porte ne donne pas sur un escalier, mais un dressing avec des tenues plus loufoques les unes par rapport aux autres et surtout des armes. Des armes étranges et inconnues. Certaines dégagent même une sorte de lumière blanchâtre au niveau de ce qui doit être le chargeur.

Un peu fascinée, je tends la main vers l'une d'elles, me ravise au cas où une alarme serait en place. Je ne veux pas me faire repérer. Je farfouille ce dressing géant, d'au moins cinquante mètres carrées à la recherche d'une autre porte. Il y en a deux. Droite ou gauche ? J'entrouvre celle de droite, me cache aussitôt. Personne ne vient, je n'entends aucun bruit. Je m'approche et jette un œil.

Un couloir de végétation comme une arche de roses et de glycine recouvert de gazon fleuri. Le lieu est invraisemblable et magnifique. J'aperçois au moins cinq portes de chaque côté et un immense escalier au fond. Quelque chose cloche. Il n'y a pas de fenêtre ou de lampes, pourtant le couloir est lumineux, voir éblouissant.

Malgré l'absence de cachettes, je traverse le couloir en silence. Les portes ont un prénom gravé sur chacune d'elles. Louis, Arthur, Gaëtan, Mickaël, Gontran à gauche; Marie, Isabelle, Inès et Léa à droite. Je bloque sur ce prénom sans raison. Léa, cela chante familièrement à mon oreille, je touche l'inscription gravée du bout des doigts tandis que ma tête me brûle. J'entends quelqu'un dévaler le grand escalier, je cours vers le dressing, je n'ai pas le temps d'y arriver que deux bras musclés m'enserrent et me rejettent au milieu du couloir fleuri.

- PUTAIN ENCORE ELLE ! ELLE ME GONFLE ! MARIE ! J'ai besoin de toi ! Hurle alors Tête à claques.

Je saute sur mes jambes et me recule pour avoir un mur dans mon dos.

- D'où tu me connais toi ? C'est quoi ce lieu bizarre ? Dis-moi où elle est. Je veux la voir. Tout de suite.

Je me suis toujours défendue par l'attaque, la diplomatie et moi, on n'a jamais été copine. Pourquoi changer mes bonnes habitudes? Je suis en position pour frapper et je cherche la faille au niveau de son visage, son ventre ou son entrejambe.

- Ce lieu bizarre hein ? Tu n'imagines même pas où tu es tombée sale fouineuse...

Tête à claques fait apparaître une petite flamme dans sa main, je remarque que ses yeux sont orangés comme sa flamme. Bien que terrorisée, je ne me débine pas. Jamais je n'ai montré ma peur à quiconque, je n'ai pas l'intention de commencer aujourd'hui, surtout pas face à ce crétin autoritaire.

- Je veux la voir, commence pas à m'asticoter Salamèche ou je te mords avant que t'ai le temps de dégainer ta pokeball.

Si je vois à son air ahuri qu'il n'a rien pigé à mon charabia, quelqu'un semble avoir compris au fou rire incontrôlable que j'entends sur ma droite. Une jeune fille d'environ vingt ans aux cheveux roux se tient les côtes en riant. Celle que je suis depuis plusieurs jours. Ce doit être Marie, la fille appelée en renfort. J'aperçois un garçon aux cheveux d'or qui l'empêche de tomber par terre. Lui aussi, je l'ai en photo. C'est Gaëtan. Il sourit, fait signe à Tête à claques de rester calme. La jeune fille se relève enfin.

- Tu veux que je fasse quoi, Mickaël ? Ça fait cinq fois que je lui efface la mémoire. A force, elle va avoir des séquelles, on avait promis à Léa que ce serait la dernière fois. C'est une tête de mule celle-là. J'ignore comment elle fait, elle nous retrouve à chaque fois, pourtant, ce n'est qu'une humaine.

C'est à mon tour d'être hébété, je reste sur la défensive. Une porte s'ouvre. La porte de Léa. Elle ne peut pas me voir puisque je suis collée au mur.

- Mais qu'est-ce qui se passe ici ? Je sens tellement de colère et en même temps de la joie. Micka calme toi. Tu es un vrai volcan prêt à exploser. Et quel est ce.....CHOUPETTEEEEEEEEEEEEEE

La dénommée Léa s'est retournée et a hurlé en me voyant. Elle me saute au cou, me couvre de bisous, nos larmes s'entremêlent sans que je ne comprenne pourquoi mes yeux se sont mouillés. La douleur dans ma poitrine s'estompe miraculeusement comme si mon cœur se remettait à battre d'un seul coup après un arrêt de deux ans. Mickaël garde sa flamme dans la main et me regarde d'un air mauvais.

- Elle m'a encore donné un surnom idiot. J'exige de lui cramer un peu les fesses en représailles, bougonne t'il.

Personne ne fait attention à lui, je me retrouve au milieu d'un groupe de sept personnes hilares et d'une Léa hystérique et câline qui me colle. Léa est blonde comme moi, légèrement plus foncé. Son visage m'est connu, il est gravé dans ma mémoire. Je le vois en rêve toutes les nuits depuis deux ans. J'en suis sûre. C'est ELLE, c'est Coccola, mon morceau de cœur manquant.

Boucle d'or, le garçon descendu en même temps que Marie me semble si familier lui aussi. Je parle de lui bien avant l'événement traumatique de la mort de mes parents. Je sais que je le connais bien, très bien même. Lorsque je l'évoque durant ma troisième et quatrième fugue, j'ai des mots amicaux envers lui. Je semble l'apprécier. Marie fait un geste vers ma tempe, j'ai un flash. Une succession de flashes.

En quelques secondes, je me revois gamine avec Léa que je surnomme Coccola depuis la crèche parce qu'elle mange toujours du chocolat, ma meilleure amie, ma sœur de cœur, la complice de mes bêtises d'enfant. Mes seize premières années me reviennent telles décrites par mon journal intime. Puis, vient le moment de ma rencontre avec Boucle d'or alias Gaëtan qui se rapproche très vite de Léa. Elle et lui qui s'embrassent avec passion, ils sont en couple et j'en suis heureuse.

Une scène se déroule devant mes yeux. Gaëtan qui parle avec Léa et nous montre sa particularité, il nous explique toutes les choses incroyables qui se passent depuis un an. J'apprends avec surprise que mon amie Léa , est une magicienne. Gaëtan qui tente de nous faire comprendre que Léa est en danger parmi les humains et que moi, je suis en danger dans le monde des magiciens. Il veut nous séparer. Nous refusons. Léa veut abandonner ses pouvoirs et le plaque.

Une nouvelle scène, plus d'un mois après la disparition de Gaëtan. Mes parents et ceux de Léa qui se font attaquer par des créatures affreuses, aux cheveux noirs, à la peau blanche comme la neige et aux yeux noirs et sans pupilles. Léa et moi sommes terrorisées. Léa hurle instinctivement et appelle sans réfléchir Gaëtan.

Le blondinet arrive et nous protège avec les sept autres. Léa et moi qui acceptons d'être séparées. Marie efface ma mémoire pour me permettre de reprendre une vie normale. Je me retrouve chez la tante éloigné sans souvenir. Ma lecture de mon journal intime. Ma fugue. Mes visions nocturnes. La douleur thoracique. Moi qui retrouve Léa. Marie qui ré-efface ma mémoire. Retour chez tantine, lecture du journal, fugue, etc. Cinq fois de suite.

C'est encore un peu confus, la chose la plus importante est là, je ne peux pas oublier Léa, j'ai besoin d'elle coûte que coûte. Ma persévérance, au delà du bon sens, surprend les magiciens en face de moi. Léa et moi, au contraire, savons qu'il ne pourrait en être autrement? Nous nous aimons plus que tout et surtout, je suis une tête de mule bornée et obstinée depuis ma naissance.

Le groupe discute, bien que Tête à claques refuse, je suis invité à rester dormir ici le temps qu'ils essayent de trouver la meilleure solution. Je me mets à penser que Tête à claques ressemble à Mushu de Mulan avec ses fines moustaches et sa tête renfrognée. Léa surprend mon regard et éclate de rire. Je crois qu'elle sait à ce que je pense.

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