Apparences trompeuses
Notre voyage se passe plutôt agréablement. Mushu roule vite, mais assez bien. Je le taquine pour savoir où il a passé son permis. En réalité, il n'a pas son diplôme de conduite, il a appris sur le tas en commettant quelques emprunts. Cependant, je n'ai pas peur et il maîtrise le véhicule comme un pilote de haut niveau. C'est agréable de se faire conduire, blottie dans son dos.
Je suis autorisée à prendre les rênes durant une partie du trajet, pas très longtemps, Mushu adorant cette moto. La chaleur naturelle de Mushu m'empêche de souffrir du vent violent. Nous nous régalons de la vitesse comme deux enfants sur un manège, ce qui nous permet de traverser le pays en moins d'un jour.
Arrivés dans la ville ayant le plus grand nombre d'incendies, nous rendons à regret la moto à l'agence de location puis débutons notre visite touristique. C'est une coquette station de tourisme vert, débordant de forêts et d'espaces naturels aux alentours. La ville en elle-même ressemble à ces lieux bondés en été et vides le reste de l'année. Des boutiques éphémères, des marchants ambulants et surtout des parkings et des rues peu adaptées.
La ville grouille de sorciers, mais aussi de magiciens chevronnés. Je détecte des puissantes auras à chaque coin de rue. Pourtant, lorsque Lisbeth nous avait fait l'inventaire des places-fortes magiques, elle n'a jamais évoqué cette ville ou ses alentours. Les humains sont rares ici voir absents, le peu que je croise semblent être des touristes un peu perdus et non des résidents. Toutes les boutiques sont tenues par un être magique, tous les transports en commun aussi. On dirait une ville dédiée à la magie. J'en parle à voix basse à mon acolyte, qui lui ressent un feu non-naturel dans l'antre de la pizzeria où nous nous sommes attablés.
Nous sommes sur nos gardes et pressentons que quelque chose cloche ici. Nous sommes regardés avec méfiance comme si nous ne pouvions pas faire du tourisme. Le serveur ne montre aucune amabilité à notre égard et nous donne l'impression de déranger. Je le vois parler en messe basse au cuistot puis à d'autres clients, des sorciers et des magiciens sont attablés ensembles. L'ambiance est pesante et suspecte. Aucun n'a encore compris que je voyais leurs auras, mais tous ont saisi qu'un magicien ou sorcier traînait avec une humaine.
Je semble être la source du problème, alors, en avertissant Mushu de mon plan, je pars aux toilettes pour qu'il puisse m'évoquer comme son prochain repas en papotant avec le serveur. Cela devrait calmer leurs suspicions. Il n'y a aucun humain mis à part moi dans le restaurant ni même aucune fille en fait. Mon ami surveille la porte du coin de l'œil. Je me rends au petit coin et y traîne de longues minutes, pour découvrir un feu follet tout sourire quand je reviens.
À ma plus grande surprise, il se lève et me propose d'aller prendre le dessert chez un glacier qui vient de lui être conseillé par le serveur. Cette andouille me passe le bras autour de la table et m'embrasse sur la joue en m'appelant « chérie ». J'ai beau comprendre qu'il me cache un truc et qu'il joue une comédie pour nous sortir d'une situation épineuse, je ne peux m'empêcher de tiquer à ce surnom auquel je rétorque « Mon chou à la crème » par vengeance. Sa prise sur ma hanche se fait plus forte et me pince légèrement en châtiment.
Mushu ne s'énerve pas et semble même rire avec les autres à mes dépens. C'est un vrai sketch où cette andouille me joue un numéro d'amoureux transi qui ne dupe pas les autres et au contraire semble les amuser au plus haut point. Je rends la pareille à mon acolyte, pressentant que je dois jouer l'humaine idiote et subjuguée. Heureusement que j'ai un talent de comédienne parce que les mots mielleux échangés me donnent la nausée.
Dehors, le garçon aux yeux oranges me fait presque courir et ne cesse de se retourner pour vérifier si on est suivi. Il m'explique enfin ce qui se passe. À peine avais-je disparu dans les cabinets que le serveur a rappliqué et s'est montré hostile envers lui. Mushu a stoppé la bagarre naissante en prenant le contrôle du foyer, brûlant la main du cuistot par la même occasion et menaçant le restaurant. Il a tenté de leur faire peur en montrant une partie de ses pouvoirs.
Le serveur sceptique lui a demandé comment il sortirait l'humaine de ce brasier et mon ami a eu la merveilleuse idée de répondre « cuite à point », ce qui calma net la situation et fit rire tous les magiciens et sorciers présents, qui pensèrent que j'étais sa proie. Les êtres dotés de magie étaient sur leurs gardes, puisqu'ils ne pouvaient supporter la présence d'une humaine. Savoir que j'étais censée devenir le prochain repas de Mushu les rassura et ils se détendirent, parlant alors plus librement à mon ami.
Juste après, dès que mon ami calma le brasier menaçant, ils lui ont rapidement expliqué qu'il tombait mal en ce moment. La ville est actuellement un lieu-dit neutre, une sorte de Suisse magique, servant de point de rencontre et de négociations entre les deux camps ennemis. Les touristes sont mal venues et on leur fait comprendre qu'il vaut mieux repartir rapidement. Au pire, s'ils ne comprennent pas, le peu d'humains présents sert à des sacrifices ou des échanges.
Les incendies, dont parlent les journaux, sont dus à des discussions un peu trop animées qui dégénèrent, le service d'ordre nettoyant par le feu les scènes de crimes. Malheureusement, cela finit par attirer l'attention des villages voisins et de leurs journalistes. Une publicité dont la ville se passerait bien.
Des échanges de magiciens ou sorciers prisonniers sont en train de se faire, une sorte de braderie annuelle du genre, je t'offre six humains pour ma sœur, deux jeunes sorciers contre mon mari, etc. C'est un troc d'êtres vivants, les humains servant de monnaie de base. Plus ils sont jeunes et de préférence des jeunes filles, plus ils valent chers. En général, c'est cinq jeunes filles entre quinze et vingt ans contre un jeune sorcier ou magicien de moins de deux cents ans. Tout dépend la puissance magique de celui à échanger ou celle de sa famille.
Mushu me dit dégoûté que c'est ainsi que Lisbeth a récupéré bon nombre de jeunes magiciens, en offrant une grande quantité d'humains en échange. L'héroïne est en fait une trafiquante d'esclaves. Elle utilise ses pouvoirs pour kidnapper des orphelins ou des jeunes en fugue, que personne ne recherchera et elle les envoie dans des villes de ce genre, comme monnaie d'échange, un de ces magiciens du conseil comme négociateur. Histoire de ne pas se salir les mains ou d'être vue dans ce genre d'endroits.
La seule chose dont nous sommes sûrs, c'est que nos amis Louis, Marie, Arthur et Isabelle, n'ont jamais participé à ce genre de vente et doivent sûrement en ignorer l'existence. Ces pratiques les choqueraient au plus haut point, eux, si respectueux de toute forme de vie, y compris celle des humains. Mushu est furieux. Il a envie de faire cramer la ville entière et je ne lui donne pas tort.
Il nous faut réfléchir aux actions à mener. Si nous faisons une hécatombe de sorciers, nous serons vite repérés et anéantis vu les puissantes auras de toute part. J'ai une idée, en nous déguisant un peu grâce aux technologies capillaires humaines, Mushu me troquera contre des informations sur les différents points troubles comme ses origines ou celles de Léa. Je me débrouillerais pour m'enfuir à l'aide du taser et du spray au poivre que j'ai en poche. Au pire, il me suivra et m'aidera si j'ai trop de difficultés.
Après une coloration en brune pour moi et une décoloration en blond platine pour Mushu, des lentilles colorées et du maquillage pouffiasse pour moi, un changement de vêtements chacun, nous sommes prêts. Je blague Mushu en lui disant qu'en blond il est presque aussi beau que Gaëtan. Il me rétorque qu'en brune, je serais presque jolie. Un partout. Balle au centre.
Pour son plus grand plaisir, Mushu m'a passé une laisse de chien autour du cou et me promène en ville. Il ne se prive pas de me donner des petits coups sur les fesses ou le dos pour m'exaspérer en sachant pertinemment que je ne peux pas rétorquer. Ce soir, il va morfler dès qu'on sera dans notre chambre d'hôtel. Pour l'instant, je me mords les lèvres pour rester calme. Notre étrange équipement passe beaucoup plus inaperçu que notre couple du début et nous déambulons sans attirer l'attention.
Nous nous promenons et assistons même à des échanges et des ventes aux enchères. À notre plus grande surprise, il n'y a pas que des humains échangés pour récupérer un sorcier ou magicien. Des jeunes sorciers ou magiciens sont eux aussi échangés en fonction de leur âge, état et puissance magique. Les soi-disant magiciens venant sauvés des prisonniers ne sont pas aussi blancs qu'ils le devraient et nous soupçonnons un vaste réseau d'esclavage de jeunes magiciens et sorciers. Nous tombons sur des stands vendant des potions pour inhiber les pouvoirs de votre captif et d'autres pour accentuer son envie sexuelle ou pour lui faire perdre la mémoire des dernières heures.
Je repère un magicien que j'ai croisé à la forteresse et qui m'a filé des cauchemars glauques à caractère sexuel. Nous le suivons jusqu'à une boutique. Il tient une jeune fille en laisse lui aussi. Il faut que je parle à la demoiselle. Mushu m'attache à une sorte d'anneaux à chevaux à côté d'autres captifs et il s'éloigne pour aller acheter des fournitures. Ce prétexte me permet de m'approcher de la jeune sorcière, et notre hypothèse se confirme quand elle me détaille ce qu'il lui fait subir. Ce magicien fait partie du conseil, c'est un des proches de Lisbeth, et la captive m'avoue qu'il vient chaque année dans ce genre de lieux pour changer sa possession. Lisbeth étant parfaitement au courant que son conseiller possède une jeune esclave magicienne ou sorcière.
Mushu me récupère et est outré en entendant mes révélations. Il est impossible que d'autres anciens ne soient pas au courant. Nous suivons le puissant sorcier et avec l'aide de notre fidèle batte, nous dérobons la fille. Tout le monde croira à un vol, ce qui est courant dans la ville. Nous ressortons discrètement durant la nuit en secret. Nous avons toute confiance en Louis, Marie, Arthur et Isabelle. Alors, exceptionnellement, je me connecte à Arthur et le supplie de venir avec Gontran et personne d'autre.
Les deux garçons arrivent dans les cinq minutes. Arthur me prend dans ses bras et m'inspecte à la recherche de blessures, puis il aperçoit la jeune fille blessée et accourt pour la soigner. La pauvre enfant est terrorisée et je tente de la calmer avec des paroles douces. Elle finit par accepter les soins d'Arthur quand elle comprend qu'on le lui fera aucun mal.
Mushu explique à nos deux amis que nous venons de nous retrouver dans cette ville. Il leur raconte aussi ce qu'il s'y passe actuellement, et le larcin que nous venons de commettre ensemble. Quand il donne le nom du propriétaire de la sorcière, Arthur blanchit et nous assure qu'il va en informer Louis immédiatement.
Arthur et Gontran sont scandalisés des informations que nous leur donnons. Ils nous croient sur parole et veulent ruer dans les brancards. Ils essayent de nous convaincre de regagner leur cachette pour que nous nous mettions à l'abri. Cependant, Mushu a encore besoin de rechercher des informations sur ses origines et nous déclinons leur offre.
Arthur me refait un câlin et me fait jurer d'appeler à l'aide à n'importe quel moment si jamais nous avons des ennuis où juste si nous changeons d'avis. Il nous oblige à promettre de ne pas prendre trop de risque et de nous tenir éloigné de tout sorcier ou magicien dont l'aura est trop grande. Arthur s'inquiète pour nous comme une maman poule et c'est touchant.
Nos amis repartent pour leur planque avec la rescapée et nous retournons à notre hôtel. Mushu et moi restons silencieux durant notre trajet. Nous n'imaginions pas tomber sur un truc aussi énorme et nos amis nous manquent. Nous devons rester soudés pour découvrir les mystères liés au feu follet et aussi pour que je puisse me tenir suffisamment éloigné de Léa pour ne pas la mettre en danger.
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