Révélations
Nos sacs faits, Erwan pose une main sur l'épaule de Mushu et une sur la mienne et nous nous téléportons dans une demeure plutôt étonnante. J'ai un peu mal au crâne et froid, ce qui est étrange vu qu'Erwan dégage le même genre de chaleur corporelle que le feu follet. Je ressens également une colère mélangée à de l'espoir, c'est vraiment assez dérangeant.
Nous nous attendions à quelque chose de glauque et de sombre avec des squelettes et d'autres trucs dans le genre. Si la décoration n'est pas des plus chaleureuses, je dois reconnaître qu'elle est de bon goût et sobre. Des tons sombres, mais pas tellement de noir ou de rouge sang. Les quelques meubles présents sont fonctionnels, sans fioritures, mais de bonne qualité. Aucune tapisserie macabre ou crâne qui traîne, ni d'images de bestioles affreuses ou de tortures. Les rares tableaux sont des reproductions d'œuvres d'art célèbres tels que Tres de Mayo de Goya ou bien le cri d'Edvard Munch.
Une ribambelle de sorciers puissants nous regarde avec faim, surtout moi. On est dans la gueule du loup et portant, la main d'Erwan restée sur mon épaule a un côté rassurant, son regard faisant baisser les yeux à tous les sorciers et sorcières que nous croisons. Nous sentons qu'ici, tout le monde le respecte et le craint. Nous sommes clairement sous sa protection et personne ne moufte.
- Voici donc le fils prodigue ! Sort une femme plutôt banale aux cheveux ébouriffés, une grande aura très sombre, mais faiblement puissante.
- Touche le, Eulalie, et je te fais bouffer tes mains. Réponds sèchement Erwan.
- Oh et l'autre.... C'est Léa ? Questionne la femme.
- Ce n'est pas Léa, mais elle est liée à elle. C'est sa meilleure amie de ma fille d'après les rumeurs. Ma magie n'a aucune influence sur cette peste et j'ignore pourquoi, soupire Erwan.
Je sursaute en entendant ces mots et Mushu aussi. Nous regardons avec stupeur Erwan. Il vient de nous confirmer sa filiation avec le feu follet et Léa. Même si ce n'est pas encore certain pour mon amie, j'en suis intimement convaincue au fond de moi. Léa va être dévastée de se savoir la fille de ce sorcier.
Ce qui m'étonne et heureusement Mushu ne semble pas avoir relevé, c'est cette indication que la magie d'Erwan ne fonctionne pas sur moi. Il a donc essayé d'utiliser des sorts contre moi et cela a échoué. Quelque chose en moi sabote la magie des autres, c'est certain. Marie ne parvient pas à m'effacer la mémoire, rien ne peut défaire mon lien avec Léa, je reconnais Isabelle quand elle se change en animaux, Mushu ne m'a jamais brûlé, Lisbeth ne parvient pas à lire mes pensées et maintenant, Erwan qui foire ses sorts.
Je détaille la femme, Eulalie, la seule qui ne semble pas avoir peur d'Erwan depuis notre arrivée. S'il lui parle assez sèchement, il n'est pas non plus agressif, plutôt fatigué ou blasé par l'attitude de la femme. Son visage est ravagé, comme brûlé et sa peau est blafarde. Ses cheveux sales sont de couleur indéfinissables. Ses yeux sont entièrement noirs, pas seulement la pupille. Elle n'a d'apparence humaine que par la présence de bras.
Erwan nous conduit dans une grande chambre, qu'il nous indique être la sienne. La pièce est comme le reste de la demeure, sobre et fonctionnelle. Le seul élément de personnalisation est une petite photo de Mushu et de Léa sur le bureau et des rideaux émeraude. Il nous dit de nous doucher et nous changer avant le repas. Il donne une chemise et un beau pantalon au feu follet. En souriant, il me dit que si je n'ai rien à me mettre de chic, je peux venir nue. Il cherche clairement la bagarre. Je ne lui ferais pas ce plaisir. Il sort pour nous laisser seuls quelques instants. Nous lui obéissons et nous débarbouillons.
Par esprit de provocation, je récupère une chemise et un pantalon, bien trop grand pour moi, dans l'armoire d'Erwan. Mushu me regarde, hésitant entre la stupeur devant mon audace dans une telle situation et l'envie de rire de mon accoutrement et de mon sale caractère. Quand Erwan vient nous chercher, la lueur d'amusement face à ma tenue et provocation me rappelle celle qu'a mon ami quand nous nous chamaillons amicalement. C'est incroyable ce qu'ils se ressemblent physiquement tous les deux et dans les expressions de visage. Erwan ne pique pas de crise et ne dit rien. Il regarde son fils avec une expression indescriptible.
Nous traversons un long couloir pour arriver dans une grande salle, une sorte de cantine où tout le monde est réuni. Mushu et moi sommes dévisagés et nous nous avançons dans un silence plus que pesant. Erwan fait baisser tous les regards et nous fait nous asseoir à une petite table, de quatre personnes, située dans un coin. Un bon repas est posé devant nous avec les assiettes. Nous nous asseyons tous les trois et commençons à manger. Les sorciers sont plus malins que les magiciens, ils ont pensé à utiliser leur feu pour cuire leurs aliments et le repas n'est pas trop mauvais.
Au bout d'un quart d'heure, nous nous retournons en sentant une présence dont même Mushu ressent l'intensité magique. Si l'aura d'Erwan est puissante, celle qui apparaît est immense. Je dirais dans les dix mètres au moins, une aura multicolore sombre avec une lueur cardiaque bleue : Matthieu.
Le sorcier nous regarde puis d'un geste nous rend nos couleurs de cheveux naturels. Il détaille Mushu et sourit à Erwan. C'est un homme assez imposant lui aussi, dégageant une prestance naturelle encore plus appuyée que celle d'Erwan. Blond aux yeux noisette, ses traits sont incroyablement charmeurs. C'est vraiment étrange. Les deux sorciers les plus puissants au monde n'ont aucune trace de déformation d'apparence comme leurs subordonnés. Ils utilisent peut-être un sort, cependant, cette coquetterie serait anormale dans ce monde de sorciers.
Devant mes yeux scrutateurs, l'homme pose sa main sur ma joue, voulant sûrement percer mes pensées. Je m'attends à subir une atroce douleur et au contraire, je ressens une chaleur douce m'envahir. Étonné lui aussi, il plonge son regard dans le mien et un trouble en moi se développe. Je me sens reliée à lui comme je le suis avec Léa, pas tout à fait de la même manière, mais un lien aussi fort et puissant. Le vent se lève autour de nous et j'entends Mushu me parler sans comprendre les paroles.
Voulant nous séparer, Erwan pose son bras sur celui de Matthieu pour nous sortir de notre torpeur et j'ai soudain un flash d'images et de souvenirs ne m'appartenant pas qui arrive et m'empêche de respirer. Je me mets à suffoquer, grelotter puis je m'évanouis. La dernière chose que j'entends est Mushu qui crie.
Je me réveille quelques instants plus tard, enfin, je le devine, car je vois Erwan auprès de Matthieu, assommés à plusieurs mètres, emprisonnés dans une stalactite de taille humaine. Mushu me tient dans ses bras en engueulant les deux autres. Je suis sonnée, glacée et je pleure sans comprendre. J'ai affreusement mal à la tête. J'ai envie de hurler sans savoir pourquoi.
Eulalie est abasourdie et son regard va d'un groupe à l'autre comme suivant la balle lors d'un match de tennis. Une colère gronde en moi. Les deux sorciers utilisent leurs flammes pour se libérer et se rapprochent de nous. Sans raison, je crache sur les deux hommes. Aussitôt, je vois le feu follet s'embraser de nouveau, mais cette fois quelque chose est différent, son feu est d'un bleu et vert magnifique. Les alentours se couvrent de végétation.
Mushu a enfin son aura entière et il me regarde avec joie et stupeur. Ses yeux sont d'un bleu azur époustouflant, le même que celui des prunelles de ma Coccola. J'essaye de lui lâcher la main, mais il refuse et emprisonne mes doigts fermement. Putain, il est canon, mais qu'est ce qu'il peut être chiant par moment celui-là. Il baisse les yeux vers nos mains enlacés et semble surpris que je ne brûle pas. Ma main est au contraire bleue de froid et je sens sa chaleur me parvenir à travers nos doigts entremêlés. Me relevant en prenant appui sur lui, je lui fais une bise sur la joue pour le rassurer et cette andouille disparaît dans un nuage de fumée.
Mushu et moi arrivons auprès de nos amis, hébétés et à bout de souffle. Je m'écroule au sol et pleure de longues minutes. On se retrouve face à des regards surpris et notre récit comporte des points confus. Léa et Marie sentent une magie puissante qui bloque une partie des souvenirs du garçon aux yeux désormais bleu, mon esprit étant totalement hermétique à la magie. Je suis frigorifiée et seul le feu follet parvient à me réchauffer un peu.
Il est aussi le seul à réussir à m'approcher avec Léa sans se prendre une sorte de champ de force à décharges électriques. Je suis en état de choc et agressive. Je me débats en proie à une panique totale alors que je suis auprès de mes amis. Mushu termine le récit chaotique et disparate. Lorsqu'il leur annonce que Lisbeth n'est pas la gentille que tous croient, nos amis ne sont pas si surpris.
Léa tombe des nues en découvrant l'identité de son père, de la meurtrière de sa mère et de ses grands-parents et surtout elle saute dans les bras du feu follet en apprenant qu'il est son frère jumeau. Je n'en attendais pas moins de ma Léa. La tendresse dont elle couvre le grincheux est adorable et s'il n'était pas aussi gentil, Gaëtan serait jaloux.
Je me détends enfin en voyant ma petite chérie et son trop-plein d'amour. Elle revient vers moi pour me câliner et enfin, je m'apaise et mes amis peuvent approcher. Je reste cependant imperméable à la magie sauf la chaleur de Mushu. Arthur n'arrive pas à soigner une petite griffure que j'ai sur la main et ni Léa ni Marie n'arrive à sortir la moindre chose de mon esprit.
Mes amis tentent de recoller les morceaux. Ils reprennent chaque souvenir étrange ou incomplet et confrontent leurs versions sans trouver ce qui manque. Ils sont dans un vrai brouillard. Cette situation incompréhensible les énerve tous. Ils ont tous compris qu'il manque une pièce essentielle du puzzle. Ils concluent en se disant qu'une force inconnue est intervenue pour délivrer Mickaël et moi de la forteresse sorcier et que cette personne préfère rester cachée.
En voulant me faire un nouveau câlin, Léa a une vision de Matthieu au moment où Mushu et moi avons disparu dans un nuage multicolore. Elle entend les trois vieux sorciers tenter de rassembler leurs esprits. Erwan se souvient avoir ramené son fils dans leur antre puis l'avoir vu utiliser ses pouvoirs et disparaître. Aucun des trois dinosaures n'évoque ma présence. Ils sont dans le même état de choc que moi et leurs mémoires leur jouent des tours. Les trois sorciers s'interrogent sur les réels pouvoirs de Mickaël et ceux de Léa et s'inquiètent de la puissance détenue par de si jeunes personnes.
Matthieu se sent très essoufflé et demande à ses amis s'ils sont sûrs que Lisbeth n'est pas intervenue pour délivrer Mickaël. Matthieu se sent faible et vide comme à chaque fois qu'il la combat. Erwan et Eulalie se sentent diminués aussi, pourtant, Erwan sent ses enfants encore en vie. Or, si Lisbeth était venue, elle aurait tué Mickaël sans aucune hésitation. C'est la seule chose dont il est sûr à cent pour-cent. Les trois sorciers sont aussi perdus que nos amis.
Léa perd le contact et se met à pleurer. Celle qu'elle prenait pour une héroïne est en fait une meurtrière. La meurtrière de sa mère et de sa famille. Son père est un des sorciers les plus monstrueux et puissant et il la recherche pour qu'elle rejoigne sa cause. Mushu se rapproche et avec douceur, il lui parle de leurs grands-parents, des humbles magiciens pleins d'amour et de bonté, profondément gentils et bienveillants. Une famille qui lui ressemble beaucoup, le feu follet lui dit combien il est fier d'avoir une sœur aussi merveilleuse qu'elle et il parvient à sécher ses larmes.
Louis veut informer les autres anciens de ce que nous venons de découvrir et il part en direction du conseil. Il ne dira pas tout ce qu'il sait, il veut enquêter discrètement. Il pense que là-bas, il trouvera des réponses sur les gros manques en raison de la présence des magiciens les plus puissants existants. Lui aussi pense que l'Histoire des magiciens et des sorciers a été modifiée par les cinq plus anciens existants, dont deux sont frère et sœur jumeaux.
Je tente d'aller dormir sans grand succès. Je tourne et retourne dans mon lit. J'entends toquer à la porte et je vais ouvrir. C'est Mushu qui vient voir si je vais bien. Il s'aperçoit que j'ai de nouveau les lèvres bleues et le cœur battant et il m'oblige à supporter sa présence pour la nuit. Aussitôt allongés l'un à côté de l'autre, je sombre dans un profond sommeil sans rêve pendant quarante-huit heures.
Annotations