Mensonges médiévaux
Louis et mes autres amis se sont tous arrêtés de combattre. Ils regardent le drôle de couple que Coccola et moi formons. L'ange blond et la sorcière noire. Mushu est le premier à réagir puis c'est Arthur et Gaëtan, ensuite mes autres amis. Ils incitent les magiciens et sorciers présents à se calmer et à baisser leurs dômes magiques. Louis a compris que je ne m'en prenais qu'à ceux qui m'attaquaient. Il crie de cesser de m'envoyer des sorts qui me rendent encore plus forte. Ce n'est pas pour rien qu'il est considéré comme le plus sage de notre groupe.
Tous mes amis encouragent l'assistance à écouter ce que j'ai à dire. Je les vois supplier les autres de déposer les armes et de faire silence. Ils se démènent dans tous les sens et tentent de calmer les esprits échauffés par les nombreux morts. Je suis une menace et comme toute menace, on veut m'anéantir. Je souris doucement face aux vains efforts de mes amis et des assaillants.
D'un geste, j'immobilise tous les sorciers et magiciens belliqueux encore présents. Je leur ferme la bouche pour avoir le silence et je les empêche de faire le moindre mouvement que ce soit en ma direction ou en direction des autres personnes. Je bloque toute la magie de la pièce sauf la mienne et celle des papillons multicolores et des fleurs odorantes que je soupçonne d'appartenir à Mushu. D'ailleurs, je me demande pourquoi il aborde un si grand sourire malgré les événements, quelque chose semble le réjouir et m'interroge sur ce fait.
J'ai beaucoup de choses à dévoiler à l'assistance, beaucoup de morts et de désespoir inutiles à pleurer. Il est temps qu'ils m'écoutent tous et qu'ils comprennent la vérité. De gré ou de force, ils vont entendre ce que j'ai à leur dire, quitte à les contraindre au silence. Pour commencer mes explications, je dois remonter mon récit, il y a mille six cents ans.
Erwan, Matthieu, Eulalie, Lisbeth et Philippe avaient à l'époque environ vingt ans. Philippe était le prince héritier, le futur roi et nombreuses étaient les magiciennes qui voulaient être sa destinée. De ce temps-là, on savait pour les marques, mais pas pour les dates de naissance, et il était plus difficile qu'aujourd'hui de retrouver sa moitié. De ce fait, Philippe cherchait activement sa mie parmi la gent féminine qui lui courait après.
Comme toutes les filles nobles et moins nobles, Lisbeth rêvait de Philippe et surtout de grandeur, prenant sa mère qui dirigeait seule un domaine pour exemple. Elle se voyait reine, prête à régenter le monde de la magie. Lisbeth se vantait de sa noble naissance dans chacun de ses discours et glorifiait sa famille à la moindre occasion. Elle cherchait à se faire connaître du prince héritier et à en être apprécié. Elle paradait à la cour comme en terrain conquis.
Malheureusement pour ses rêves de grandeur, son frère Erwan n'avait pas les mêmes aspirations et préférait traîner à la campagne loin des fastes royaux. Un jour, il rencontra une jeune magicienne qui se révéla être sa destinée. La jeune fille était une couturière de basse naissance et cela déplut fortement à Lisbeth, qui ne voulait pas voir entacher la réputation de sa famille par un mariage avec une vulgaire roturière. Alors, pour protéger ses nobles projets, Lisbeth séduit et ensorcela un puissant magicien qui par amour tua la destinée de son frère jumeau.
La perte de son amour brisa le cœur d'Erwan. Par désespoir, il commença à commettre des actes de magie noire pour retrouver l'assassin de son aimée, ignorant que sa propre sœur était le commanditaire. Il ignorait aussi que le meurtrier était son meilleur ami, Matthieu, envoûté par Lisbeth.
Matthieu était le frère cadet de Philippe, le second héritier du trône. Il avait obéi à Lisbeth après qu'elle lui ait montré sa marque identique à la sienne et après une nuit d'amour fiévreuse où elle lui promit monts et merveilles. Ensorcelé d'amour par Lisbeth et ignorant le lien de la jeune couturière avec son meilleur ami, Matthieu la tua. Il croyait défendre l'honneur de Lisbeth que la jeune couturière aurait entaché en se moquent d'elle et de ses belles tenues en lui jetant un seau de purin au visage. Un pieu mensonge pour arriver à ses fins, Lisbeth n'ayant jamais croisé la jeune couturière en réalité.
Cette menteuse était la véritable destinée de Matthieu. Elle l'envoûta d'autant plus facilement qu'elle le connaissait depuis toujours. Il lui était facile de trouver le bon sort, surtout que Matthieu était déjà amoureux d'elle depuis quelques années, avant de savoir pour la marque des destinés. Elle pervertit son cœur, Matthieu se torturant d'avoir fait un acte aussi abominable et d'avoir engendré une telle souffrance à son meilleur ami.
Pour rajouter à la douleur de Matthieu, Lisbeth ne voulant pas être la numéro deux sur le trône, rejeta leur lien de destinés. Elle tenta de tuer son amant afin de s'assurer n'avoir aucun témoin gênant. Elle apprit ce jour-là une règle qui régit le monde des magiciens. On ne peut tuer son ou sa destinée. La magie de son double peut vous redonner force, mais jamais elle ne peut vous faire de mal et réciproquement.
Utilisant son pouvoir absorbant les souvenirs sur Matthieu et Philippe, Lisbeth su à l'époque à quoi la marque de Philippe ressemblait. Afin de devenir reine, Lisbeth modifia sa marque par tatouage afin qu'elle soit semblable à celle du prince héritier. Mettant son plan machiavélique à exécution, et parée de son tatouage, Lisbeth se décolleta pour montrer cette tache aux yeux de tous. Elle épousa ainsi Philippe. Dès son couronnement, elle fit envoyer Matthieu, témoin si gênant, loin d'elle, ne pouvant le tuer et ayant réalisé qu'il avait des pouvoirs plus puissants que les autres magiciens.
Dans leurs colères respectives, Matthieu et Erwan tuèrent, chacun de leur côté, bons nombres de sorciers et magiciens, s'enfonçant peu à peu dans des abysses de noirceur. En raison de sa puissance et aussi de son sang royal, Matthieu devint le roi des sorciers. Tous le craignaient et ayant besoin d'un leader, les sorciers se structurèrent en une société similaire aux magiciens.
Plusieurs années plus tard, Erwan rencontra un jour une jeune magicienne défigurée. En voulant la frapper parce qu'elle lui barrait la route, il découvrit la marque sur son dos, la marque qu'avait fièrement exhibée sa sœur. Abîmé par des lacérations de poignard, le signe distinctif était à peine reconnaissable. Erwan comprit instantanément la supercherie de sa jumelle ambitieuse et reconnut avoir en face de lui la vraie destinée de Philippe qui s'appelait Eulalie. La fille était devenue folle suite à un sort d'amnésie mal effectué. Elle avait été défigurée par une sorcière dont la description faite à Erwan confirma ses pires craintes. Lisbeth.
À ce moment de mon récit, tous les magiciens et sorciers se sont tu et sont abasourdis en apprenant l'identité des destinées de Lisbeth et de Philippe. Tous comprennent que c'est l'absence de son âme sœur et l'amnésie qui fit devenir mauvaise Eulalie, puis la découverte du mensonge et du vol de destiné de Lisbeth qui rendit folle celle qui était censée devenir reine.
Tous réalisèrent que leur héroïne Lisbeth était cruelle et manipulatrice, ils n'imaginaient pas à quel point. Plusieurs magiciens eurent des doutes quant au mauvais fond de Matthieu et Erwan, manipulés et blessés par Lisbeth. Je reprends mon récit après leur avoir laissé quelques minutes pour digérer les informations.
Aussitôt après avoir trouvé Eulalie, Erwan confronta sa sœur lors d'une discussion privée. Il confirma alors la supercherie du tatouage et le discours méprisant de Lisbeth sur les non-nobles, ce qui le fit frémir. Erwan apprit l'exil de son meilleur ami ce jour-là. Fou de colère envers sa jumelle à l'ambition dévorante, et comprenant l'implication de Lisbeth dans la mort de sa destinée, Erwan voulut se battre avec sa jumelle. Mais frères et sœurs surtout jumeaux ne peuvent se blesser ou se tuer. Ce fut la seconde découverte de Lisbeth sur les impossibilités des dons. Comme les destinés, frère et sœur peuvent se renforcer, mais pas se blesser.
Sommé de partir, et voulant protéger Eulalie de la fureur de Lisbeth, la seule preuve qu'il avait du mensonge de sa sœur, Erwan s'enfuit et voulut retrouver Matthieu pour avoir un allié dans sa quête de révélation à Philippe. Il mit un an, mais parvient avec l'aide d'Eulalie à suivre sa trace. Erwan alla parler à son ex meilleur ami de sa sœur.
Matthieu lui révéla le reste de la vérité sur Lisbeth, sa destinée qui lui avait demandé l'irréparable avant de le rejeter loin et de tenter de le tuer elle-même. Erwan pardonna à Matthieu. Il comprit aussi que jamais Philippe ne croirait son jeune frère. Lisbeth avait gagné et imposé sa supercherie. Eulalie se plaça sous la protection des deux amis sorciers. Ce jour-là, un trio infernal et désespéré se créa.
S'ils tuèrent de nombreux sorciers et magiciens, c'était avant tout pour se défendre des assauts des troupes de Philippe et Lisbeth qui les pourchassaient. Philippe, persuadé d'être avec son amour, obéissait aveuglément à Lisbeth afin de la rendre heureuse. Pas un instant, il ne pensa à une duperie, et même si combattre son petit frère adoré lui brisait le cœur, Philippe cherchait à plaire à son épouse. Il croyait si fort au lien des destinés qu'il le préféra aux liens de sang et de cœur qu'il avait envers Matthieu qui lui manquait terriblement.
La rancœur d'avoir perdu leurs destinés rendit les trois sorciers furieux et aigris et ils cherchèrent à oublier leurs désespoirs dans un bain de sang. Ils tuaient chaque magicien qui les attaquait sur ordre de Philippe. Chaque mort leur noircissant davantage le cœur. Cependant, malgré les accusations de l'époque, ils ne touchèrent jamais aux autres magiciens ou êtres magiques. Pourtant, quelqu'un les tuait.
En réalité, Lisbeth renforçait ses pouvoirs en effectuant des sacrifices de sirènes, licornes et créatures magiques. Elle absorbait leur magie selon un rituel ancestral. Quand un magicien ou un sorcier le découvrait, elle l'exécutait en faisant porter le chapeau à l'un des trois sorciers. Elle tua même sa propre mère le jour où celle-ci comprit la noirceur de Lisbeth et voulut la contrer.
Lisbeth fit sa troisième découverte sur les limites des dons magiques. Les dons entre parents et enfants peuvent les renforcer l'un l'autre. Cependant, les parents ne peuvent blesser ou tuer leurs enfants, mais les enfants, eux en sont capables. Lisbeth se promit ce jour-là de ne jamais avoir d'enfant, puisqu'une descendance puissante pourrait la tuer.
Chaque meurtre d'être magique assurait à Lisbeth une hausse temporaire de pouvoir. Éliminant ses ennemis un par un, et mentant à tous avec l'aide de son époux influent, Lisbeth se fit une réputation d'héroïne au-dessus de tout soupçon. Plus elle tuait, plus elle se sentait puissante. Mais cette sensation ne durait pas et la reine sentait peu à peu sa force redevenir à son état originel. La magie usurpée semblait la fuir et Lisbeth ne comprenait pas pourquoi.
Très longtemps, Lisbeth crut que la baisse régulière de ses pouvoirs était due au faible nombre de sorciers ou magiciens dévoués à sa personne et elle encouragea la natalité en s'assurant que les nouveaux nés soient endoctrinés à sa gloire. Elle haïssait les humains, premier responsable de la perte de magiciens à ses yeux, sans réaliser qu'elle tua plus de magiciens et sorciers que l'humanité réunie.
Puis, ses pouvoirs diminuant encore, elle se mit à haïr ceux qui ne lui étaient pas entièrement dévoués et les accusa de soutenir les trois sorciers afin de les exécuter. Lisbeth pensait affaiblir son frère et son destiné en exécutant les sorciers qui leur obéissaient. Elle pensait renforcer son pouvoir en éliminant les contestataires. Peu à peu, Lisbeth élimina tous les sorciers plus âgés qu'elle et bon nombre de plus jeunes pour ne garder que ceux naissants ou totalement dévoués à sa cause.
Afin d'assurer son règne, elle permit à ses sujets les plus loyaux de s'adonner à quelques excentricités comme le viol, la torture ou l'esclavagisme d'humains, mais ils en voulurent toujours plus et peu à peu, les jeunes sorciers ou magiciens remplacèrent les humains dans un commerce toujours plus lucratif. De temps en temps, Lisbeth reprenait quelques esclaves pour les libérer et soutenir sa gloire de grande libératrice, d'élue contre le mal. Les libertés qu'elle octroya à ses fidèles devinrent de plus en plus grandes et pervertirent le cœur des magiciens les plus influents, tout en écœurant Philippe de sa moitié.
Un jour, les magiciens découvrirent que les destinés avaient la même date de naissance. Ce jour-là, Philippe comprit qu'il s'était fait berner. Il savait que Lisbeth était née deux ans après lui, à l'automne en octobre alors que lui était né au printemps, en mai. Il réalisa aussi que son frère cadet, Matthieu, était probablement le destiné de Lisbeth, lui qui était né le même jour que son meilleur pote Erwan, le jumeau de Lisbeth.
Ce jour-là, Philippe se mit à haïr son épouse et regretta d'avoir trahi son petit frère. N'osant pas aller le voir pour lui demander pardon et le cœur noirci de haine envers sa fausse destinée, Philippe décida qu'il se vengerait de Lisbeth et chercha à lui nuire en cachette. Il permit la fuite de nombreux sorciers et déjoua bon nombre de plans d'attaque de Lisbeth. Il transféra une grande partie de son aura à son jeune frère lors d'un assaut, pour s'assurer que Matthieu serait toujours plus puissant que Lisbeth et pour le protéger secrètement, en bon grand frère bourré de remords. Il rumina une vengeance pendant des centaines d'années.
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