L'Olympe

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J’ouvris un œil, un jour. Aussitôt alertés, les chefs de tous les services de la clinique se ruèrent dans ma chambre pour me congratuler, me convaincre qu’ils avaient désespérés de mon retour auprès d’eux.
Foutus charlatans, maudits alchimistes !
Je représentais tellement de fric pour eux qu’ils avaient tout fait pour dissimuler leurs incompétences aux vrais maîtres du jeu. C’étaient de vieux salauds, plein de pognon et tellement imbus d’eux-mêmes, qu’ils ambitionnaient l’éternité pour eux, quel qu’en soit le prix.

Douze ans. Douze années de coma.
Douze années au cours desquelles personne ne révéla mon état de presque-morte. Une zombie non déclarée qui avait déjà coûté plus de cent milliards d’euros à une poignée de richissimes débiles qui avaient décidé de se rendre maîtres de la Mort elle-même.

Le plus dur pour les chercheurs fut seulement de garder mon coma sous silence. Pour eux, je ne faisais que dormir, mon état de santé ne variant jamais d’un iota : j’étais, médicalement parlant, en parfaite santé. Je n’avais pas pris une ride, pas un seul de mes cheveux n’avait blanchi…

Définitivement convaincus, arrivés au terme de millions de tests, tous ces hommes infects décrétèrent qu’il était temps de vendre l’Éternité. Les Hommes avaient vaincu la Mort, battu en brèche les ultimes défenses d’une Nature dont ils étaient enfin devenus les maîtres incontestés.

Le commerce et toutes ses turpitudes se mirent en place.

Bien sûr, les joueurs de ce jeu féroce abattirent enfin leurs dernières cartes : visions d’un monde de richissimes immortels, entourés d’une humanité grouillante et sans importance, de corps inutiles et corvéables jusqu’à la mort. Seuls quelques milliers d’êtres humains profiteraient de l’éternité pendant que le reste des peuples mourraient dans des conditions dont les premiers se foutaient pas mal. Les riches… et seulement les plus riches.

Le traitement, d’abord secret, ne fut vendu qu’aux dix ou vingt plus riches personnes de la planète. Négocié sous le manteau, à l’insu même des hommes politiques du monde entier, le traitement magique rouvrait les portes poussiéreuses de l’Olympe pour de nouveaux Dieux, de chair et d’os.

Et la folie s’empara du monde…

 

Quant à  moi, je profitai un jour d’une porte ouverte pour m’enfuir. J’abandonnai sur place tout le peu que j’avais de ma vie dans cette clinique pour traverser l’océan et me réfugier dans les jungles amazoniennes. J’y demeurai cachée pendant quelques décennies, indifférente aux soubresauts d’un monde qui marchait à toute allure vers une dernière guerre mondiale, préparée, planifiée, organisée et déclenchée par ces quelques banquiers qui, tout à leur délire de se savoir exempts de la tâche du trépas, décidèrent un jour de lancer un gigantesque concours pour s’arroger l’intégralité des richesses du monde avant tous les autres immortels. Tricheurs par nature, malhonnêtes dans l’âme, atteints d’aucune pathologie physique mais pétris de toutes les folies de l’esprit, ils n’eurent bientôt plus qu’à dresser les continents les uns contre les autres pour arriver à leurs fins.

Quand ils s’attaquèrent à mon Paradis de solitude, rongeant la jungle hectare après hectare, je n’eus plus d’autre choix que de m’exiler, là où ils n’auraient pas besoin de tuer des millions de gens et des milliards d’animaux pour assouvir leurs pulsions destructrices.

C’est au fond d’une ancienne base militaire enfouie dans les montagnes nord-américaines que j’entendis les derniers cris de souffrance de ceux qui n’avaient que quelques années de vie à crédit. La race humaine disparaissait peu à peu, dissoute dans la folie de quelques uns. Les Dieux ne furent jamais bons pour les hommes. Ils furent encore plus redoutables dès qu’ils furent réellement faits à l’image des hommes…

Le silence s’installa sur Terre pour des siècles ; la race humaine avait quasi totalement disparu de sa surface. Il ne restait guère qu’une poignée d’esclaves, au service dément d’empereurs immortels qui avaient effectivement réussi à prendre possession de toutes les richesses, pour n’en jouir qu’entre eux. Les destructions furent si gigantesques que les derniers mortels ne purent bientôt plus pérenniser leur propre culture, leurs connaissances ni leurs savoirs. L’homme redevint assez vite l’animal qu’il n’avait jamais cessé d’être totalement.

Quand les immortels eurent vent de ma survie, ils tentèrent de m’éradiquer à mon tour. Leur instinct leur soufflait que j'étais l'unique péril pour leurs empires. Ils n'avaient pas tort. Moi, patiente et solitaire, j’avais œuvré à l’ombre de leurs champignons atomiques pour me préparer à cette éventualité dont je savais qu’elle se présenterait un jour… J'étais prête.

Seule, j’ai abattu tous les immortels, un à un. J’ai réduit leur corps en bouillie, en cendres, en petits morceaux, en lambeaux.

Ils avaient l’éternité, certes, mais ils n’en avaient profité qu’aux portes de leur propre vieillesse… Trop faibles malgré leur bonne santé, donc, pour m’affronter sans risque. Mal servis par des humains redevenus imbéciles, il ne me fut pas difficile de les chasser à mon tour et de les tuer sans trembler.

Quand je tuai le dernier de ces fous, j’étais la dernière personne éternelle de la planète.

Une tâche immense m’attendait, à laquelle je me dévouai encore pendant quelques siècles. Quand je rendis aux hommes leur savoir, et peut-être un peu plus de sagesse, le monde avait bien changé. En mieux.

J’étais une déesse mais personne ne le savait. J’avais pris un soin tout particulier à enseigner aux survivants à ne jamais remettre leur destin entre les mains de divinités qui, immanquablement, finiraient par les détruire pour le simple plaisir de les faire souffrir.

Un jour, ils n’eurent plus besoin de moi. Rendus à leur destin, je suis partie. J’ai erré pendant des siècles, solitaire et pensive, sur tous les continents de la planète. Personne ne savait qui j’étais. Ma santé était toujours au beau fixe mais mon cœur était fatigué de vivre. L’ennui est le seul véritable ennemi de l’éternité. Malgré une éternité de solitude et de séparation, Fabien me manquait toujours. Puisque ce monde n'avait pas su me le rendre, je décidai un jour d'en visiter un autre. Peut-être m'y attendait-il ? L'Espoir est plus fort que la peur, l'Amour plus fort que la Mort.
Les chercheurs et les banquiers n'avaient rien compris...

Demain, j’aurai 3000 ans. A 6 heures précises, le matin.
Pourtant, je ne verrai pas l’aube se lever.
Il est temps pour l’Humanité d’en finir avec cette expérience.
Libertaire un jour. Libertaire…

Peuples du monde, si vous trouvez ces pages, faites-en bon usage !

 

Carmen, Femme éternelle de 3000 ans.
Moins un jour.

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