6 - Faith Melody
Je reste là un long moment, le temps d'accepter. De digérer. Et de trouver au fond de moi le courage qu'il me reste encore. Tout ça, c'est à cause de Stein. De ses belles paroles. De son engouement pour les projecteurs. De ses sourires hypocrites.
L'enfer qu'elle a pavé à mon intention.
Laura a raison. Elle ne peut pas continuer à s'en faire. Ce ne serait pas honnête. Après tout, elle est gentille. Volontaire. Dévouée, même... Ce n'est pas tant son absence qui pèse que de voir disparaitre la dernière personne qui croit en moi.
Au moins, je n'étais pas seul.
Las, je finis par me relever, presque résigné à jouer au bon élève. Je n'ai plus qu'à rejoindre le troisième étage sous les regards inquisiteurs des individus que je croise. Ils ont probablement déjà entendu parler de moi. Certains pensent même me reconnaître et se sentent empreint d'un soudain élan de compassion :
- Hey, Maxime, tu aurais la partoche du carnaval de Saint-Saëns ?
Est-ce qu'il est écrit bibliothèque sur mon front ?
- Déjà prêtée, réponds-je en me fendant d'un énorme sourire.
Après tout, j'en ai rien à faire de ce gars. Je ne le connais même pas. Les gens me tapent sur le système parfois.
Le couloir est parsemé d'étudiants qui revoient leurs partitions adossés au mur. Veille d'audition, comme si cela ne suffisait pas. Dans ces instants, il convient surtout de garder son calme. De ne pas se formaliser. Je me fraye un passage au milieu de l'auditoire, enjambe péniblement les sacs qui trainent au sol et frappe à la porte.
Le son du piano hésite, s'interrompt, reprend. Je frappe à nouveau, puis sans attendre de réponse, pousse le battant. La pénombre du sas me coupe un bref instant du reste du monde.
- Est-ce que je continue ?
La voix feutrée de l'élève me parvient à travers la cloison, alors que la seconde porte s'ouvre sans attendre sur le visage grisonnant du professeur Griffin.
- Monsieur Roy, dit-elle nullement surprise. Je ne vais pas avoir de temps à vous consacrer aujourd'hui, repassez me voir demain.
- J'en ai juste pour deux minutes.
- Ces élèves préparent leur concours d'entrée.
J'insiste, retiens la porte avec ma jambe.
- Est-ce qu'on ne pourrait pas se voir juste trente seconde ? Je n'en ai pas pour longtemps.
- Ecoutez Monsieur Roy, j'entends votre désarroi, mais toutes ces personnes ici présentes n'en ont-elles aussi que pour trente secondes et ma journée n'est pas extensible. Repassez demain à neuf heure et nous aurons alors tout le temps que vous voudrez pour en discuter.
Son ton est sans équivoque. Son regard pale fixe le mien avec discernement : elle ne cèdera pas. Je ressens comme un pincement dans la poitrine, me dégage de l'embrasure de la porte qui se referme lentement, me plongeant à nouveau dans le noir. Je me demande même un instant si je ferais mieux de ne pas me pointer le lendemain...
Pense à Stein.
A Marc.
A William.
Imaginer ce bon à rien de frère dans un orchestre me fait toujours l'effet d'une douche froide. Lui et son violon à vingt mille euros. Lui et son archet qui en vaut le double.
C'est à lui que je pense sur le chemin du retour. Et un peu à Laura, aussi. Sauf qu'elle n'a rien fait de mal. Est-ce que je devrais lui faire des excuses ? Est-ce que William s'excuse, lui, quand il blesse ses copines ? Et Marc ? Non, impossible. Ce gars est un looser dans l'âme. Il faudrait vraiment avoir touché le fond pour vouloir sortir avec ce type.
La flûte folle du premier étage accueille mon retour avec enthousiasme, tout comme le violon qui l'accompagne trois fois par semaine. On dirait que de nouveaux étudiants ont pris possession des lieux. Je repère quelques sons inconnus, de futurs élèves plein d'espoir qui planchent sur leur programme de concours pendant que d'autres profitent du bon temps ; le voisin du dessus a visiblement mal fermé sa porte.
Mal à l'aise, je tourne la clé dans la serrure. Si j'en crois mes oreilles, il a encore changé de copine. Celle-ci est encore moins discrète que la précédente...
Sitôt rentré, je me déleste de mes affaires et mets à chauffer l'eau pour les ramens pendant que mon voisin semble oublier le reste de la copropriété. Des cris, un peu trop délirants pour refléter ses réelles prouesses au lit,m'arrachent un tic nerveux. Mon sourcil se crispe, j'en oublie même l'eau qui boue dans la casserole. Je m'empare du balai et frappe sauvagement le plafond. Si c'est ça, avoir une copine, je préfère encore rester seul.
Bref instant de répits.
Deux secondes. A peine trois, avant que la fille ne reparte dans une envolée lyrique.
C'est la guerre !
J'enrôle Robert ! Je matraque ses touches, le bombarde, passe par toutes les gammes tuent-l'amour imaginables. Recommence, continue. Chante à tue-tête. Après tout, je suis un Dieu. Pourquoi devrais-je me préoccuper des autres ?
Un vacarme assourdissant retentit à l'étage. C'est le début des intempéries. Cris, mais d'une autre teneur cette fois. La copine en question n'est pas enchantée...
J'agrémente alors la dispute d'un Star Wars grandiose. On dirait que la force est avec moi. Ils se chamaillent. Hurlent. Tandis qu'un second piano se joint à ma performance. Le voisin d'à côté ? Il faut croire qu'il a un certain humour. Je me laisse prendre au jeu. Nous incarnons tour à tour la résistance Jedi dont chaque intervention fait l'objet d'une nouvelle variation plus virtuose que la précédente.
Après plusieurs minutes d'un combat déchainé, le plafond trahit enfin la précipitation du départ. Les talons claquent au sol, suivis de la porte. Mon voisin se retrouve seul.
Je respire.
C'est seulement alors, que je réalise que je n'ai pas éteint le feu sous les ramens.
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