22 - Meeting You

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 Sur le chemin du retour, les arbres sont presque entièrement dénudés. La température a brusquement chuté en début de semaine, si bien que je me retrouve frigorifié. Les mains plongées dans les poches, je tente de préserver le peu de chaleur qu'il me reste encore dans l'espoir de pouvoir toucher au piano directement en rentrant.

 Peine perdue...

 Le fengshui ne me protège visiblement pas du froid.

 Je pousse la porte de l'appartement à moitié congelé. William colmate devant une série Netflix. Je file au frigo, attrape une bière et me cale à côté de lui.

 - Ça va mieux ? lancé-je.

 William grommelle.

 - Et Laura ?

 - Elle a un examen à préparer, répond-il machinalement. Le genre qui lui vaut de ne pas sortir la tête de ses partitions.

Et Louise ? ai-je envie de demander, mais je me retiens, sachant pertinemment qu'il n'a pas besoin de ça en ce moment.

 - Cet acteur joue vraiment un rôle de merde, commenté-je en récupérant la série en cours de route. Tu crois que ce gars serait sincère au moins une fois ? Je plains la fille qui accepterait de sortir avec lui après une déclaration aussi pourrie. Elle devrait vraiment être désespérée...

 - Ça, c'est parce que tu ne connais pas encore la complexité d'une relation, rétorque William. Mais au moins il a le courage d'essayer. Pourquoi rester avec un looser ? Peut-être parce qu'il fait tout pour que ça marche... Et tu penses à ses sentiments à lui ? Je veux dire qu'il fait de son mieux, et que ce n'est quand même pas de sa faute si toutes les filles lui courent après !

 Le silence succède à sa tirade. Il me regarde, la bouche entrouverte, puis s'enfonce dans le canapé en réalisant qu'il s'est emporté. Je fronce les sourcils : est-ce qu'on parle bien de la série, là ?

 - Tu as prévu quelque chose pour Noël ? finis-je par demander, histoire de changer de sujet.

 - Pas vraiment. Maman aimerait qu'on le passe à la maison, mais je t'avoue que je n'ai pas le courage d'y penser.

 Et pour cause... Chaque année, les fêtes sont une véritable partie de plaisir ! Entre notre père qui passe son temps en voyage d'affaires, et Claire, angoissée par ses obligations fengshuiennes, rester seul dans le salon à tenir la chandelle devant un sapin qui clignote relève de l'abnégation pure. Et je ne parle même pas du repas de Noël végétarien...

 Will et moi soupirons de concert.

 - Graham organise une masterclass à la montagne, juste après le réveillon. Ce te dit de venir ? Tu n'es pas obligé de jouer, et on a le droit d'amener des proches, précisé-je.

 Il se tourne vers moi.

 - Laura sera normalement présente, m'empressé-je d'ajouter.

 William sourit, finit par se lever et m'ébouriffe la tête au passage.

 - Tu n'as pas besoin de t'en faire pour moi, tu sais...

Bon, d'accord, j'en ai trop fait...

 Je profite tout de même de sa bonne humeur passagère pour lui glisser ma requête :

 - Griffin m'a aussi demandé de voir avec la classe de violon pour trouver un élève à accompagner...

 - Je ne fais plus partie de l'Academia depuis longtemps...

 - Mais tu joues du violon.

 - Tu veux que je demande à Eugène ?

 Sans façon ! Je n'ai pas envie de jouer avec un de ses potes.

 Je refuse, m'enfonce à mon tour dans le canapé et zappe sur une autre chaîne.

 William gagne sa chambre pour le restant de la journée et n'en sort plus, pas même pour le repas de midi. Je déguste mes nouilles seul, persuadé qu'il passe à côté de l'essentiel. Ce n'est pas le mal du pays qui le grise, mais une profonde lassitude lié au manque. On ne passe pas de tout à rien en un mois. Pas quand on est musicien, pas quand on a sacrifié sa vie pour la musique.

 Je devrais être content : pour la première fois, le travail de la semaine semble avoir porté ses fruits, Griffin a presque été encourageante. Au lieu de ça, je partage la douleur du frère prodigue, et je me hais de me sentir si empathique.

 Ce n'est pas ma vie.

 Pas mon problème.

 Pas mes affaires.

 En revanche, c'est bien mon frère...

 A travers la cloison, je guette les quelques notes qui me remonteraient le moral. Une simple mélodie, un soupir de Bach. Mais le silence emplit la pièce : Corentin semble décidé à ne pas jouer aujourd'hui.

Reprend-toi, Maxime.

 Je finis par regagner ma chambre et m'empare de l'ordinateur, sur le bureau. Contrairement à Claire, j'ai besoin de comprendre. Parce que la vie ne peut pas lui donner un tel don pour le voir gâché par la suite, ce serait injuste pour tous les musiciens du monde qui rêvent de faire carrière ! Je tape "philharmonique de New York" dans le moteur de recherche, sans succès. La page me renvoie vers des résumés de la création historique de l'orchestre et la longue liste des chefs d'orchestre plus ou moins célèbres qui se sont succédés à sa tête.

 Je décide alors de l'inscrire à la masterclass sans son accord. Après tout, il use des mêmes techniques pour me forcer la main. Prendre l'air lui sera bénéfique. Puis j'ouvre mon logiciel de traitement de texte et concentré, commence à taper :

 "Actuellement dans la classe du professeur Griffin, je suis à la recherche d'un étudiant en classe de violon pour..."

 Pour quoi au juste ? Peut-être que je ferais mieux de ne pas mentionner Griffin, on risque de ne pas me prendre au sérieux...

 Je soupire, passe une main dans mes cheveux. Tout ça est ridicule.

 J'efface et je recommence.

 "Élève en classe de piano cherche violoniste pour duo. Merci de me contacter au numéro ci-dessous"

 Je mets le tout en forme avant d'imprimer et me lève pour récupérer la feuille. Je dois absolument faire un saut à l'Académia pour l'épingler au tableau des petite annonces. Je vérifie tout de même l'heure, comme la nuit commence à tomber, puis file au salon où je m'empare de mon manteau et de mes chaussures.

 Avant de sortir, je fais tout de même un détour par la chambre de Will :

 - J'y vais. Tu as besoin que je te ramène quelque chose ?

 - Est-ce que tu peux passer prendre des glaces, s'il te plait ? demande-t-il sans relever la tête de son pc.

 - Des glaces, comme ça, en plein hiver ? T'es sûr que c'est compatible avec ton régime alimentaire ?

 Sans prévenir, il me jette son oreiller à la figure. Je referme prestement la porte et éteins la lumière du salon avant de quitter l'appartement.

 Un froid glacial m'assaille à peine sorti. Dehors, seuls les réverbèrent baignent encore le trottoir d'une lueur blafarde. Il fait maintenant nuit noir et la plupart des étudiants ont regagné leur foyer. Je ne traîne pas, parcours les trois minutes qui séparent mon appartement de l'Académia à grandes enjambées.

 Même à cette heure avancée, des élèves travaillent encore. Les salles commencent à se libérer, certains en profitent pour venir travailler. Notamment ceux dont l'instrument bruyant ne leur permettent pas de pratiquer chez eux sans réveiller tout le voisinage. Quand je pousse la porte, le son sourd de l'orchestre qui répète dans l'auditorium résonne jusque dans le hall. Je repère le tableau, récupère une punaise sur l'affiche d'un concert qui a déjà eu lieu et accroche mon annonce.

 - ... Cherche violoniste pour duo, entends-je murmurer par dessus mon épaule.

 Je sursaute, me retourne vivement. Corentin se tient si près que nos deux visages se retrouvent à dix centimètres l'un de l'autre. Il me regarde. Je recule maladroitement, manque de me prendre les pieds dans le panneau d'affichage.

 - Tu recherches un violoniste ? demande-t-il d'un air nonchalant.

 - Je... heu... non, enfin oui, réponds-je d'une petite voix, ne pouvant nier l'évidence.

 Je ne sais pas si c'est la fin de journée, ou l'air frais qui me monte à la tête, mais il parait différent. Il affiche un sourire en coin, nullement perturbé par notre soudaine proximité, quand mon cœur semble défaillir dans ma poitrine. Je tente de m'apaiser, me raisonne : il n'y a pas de quoi s'affoler, c'est juste Corentin.

 Juste Corentin...

 - Je suis violoniste. Si tu veux je peux jouer pour toi.

 - Tu... tu es violoniste ? Je veux dire, tu es aussi violoniste ?

 - Le piano est mon second instrument, m'informe-t-il. J'ai mis le violon de côté il y a quelques mois pour me consacrer exclusivement au piano. Mais si tu veux, je pourrais le ressortir. Je ne devrais pas avoir trop perdu.

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