31 - Help Syndrom
Toute l'après-midi durant, je réfléchis aux révélations de Will. S'il n'a plus sa place au philharmonique, que compte-t-il faire ? Est-ce qu'il compte vraiment arrêter le violon ? Pourquoi est-ce que je m'en soucis, après tout... Ce n'est pas comme si ça me regardait.
Je ne peux pas m'empêcher de penser à lui. Le savoir au plus bas m'arrache un pincement au cœur. Il a beau m'agacer, il a toujours été pour moi ce grand-frère invulnérable, ce grand-frère qui brillait aux yeux de tous.
Il est dix-huit heure. Après deux heures d'essais infructueux, William a fini par abandonner ses rêves de bûche maison et est sorti en quatrième vitesse pour remédier au désastre. Il revient essoufflé, les joues rougies, en tentant de réchauffer ses doigts congelés d'avoir tenu le sac plastique.
- Viens, entre, dit-il en se tournant vers la porte.
Intrigué, je me redresse et cherche à apercevoir qui a ramené William. Laura, très probablement... Je me vois déjà tenir la chandelle toute la soirée et me mords la lèvre. Mais ce sont les habits de Corentin, puis lui qui tourne la tête dans ma direction quand le grand-frère daigne enfin se décaler.
Et merde ! Et merde ! Et merde !
Je saute rapidement du canapé, rentre ma chemise dans mon pantalon, réarrange l'air de rien mes cheveux. Il abuse quand même, il aurait pu me prévenir !
- Il va passer la soirée avec nous, je l'ai trouvé devant la porte.
Je jette un regard en coin à Corentin qui me lance un léger sourire. C'est quoi cette expression ? Il compte vraiment se taper l'incruste ?
Mes jambes refusent de bouger. Mon bras esquisse à peine un geste. Mon corps devient soudain maladroit, c'est le black out. Je crois que mon cerveau rend l'âme. Une soirée entière en présence de Corentin...
- Max, tu te sens bien ? demande Will en me lançant un regard inquiet.
- Mmm ?
- Tu es tout rouge.
- Je... Je crois que je vais baisser le chauffage... Je reviens !
Et je fuis, en bon lâche que je suis. Je traverse le couloir plus vite qu'il ne le faut pour franchir les sept mètres qui me séparent de la porte de ma chambre. Calme-toi Max, calme-toi. Juste une soirée...
Mon cœur bat la chamade, il bat si fort que je me demande s'il ne va pas finir par exploser dans ma poitrine.
Corentin...
Le sexe dur, je me laisse tomber sur le lit, rouge comme une pivoine, la main sur les couilles, la tête enfouie dans l'oreiller. Pourquoi est-ce que ça m'arrive ? Pourquoi est-ce qu'il est ici ? Est-ce qu'il a pensé ne serait-ce qu'une minute à moi en l'invitant ?
Je maudis William de toutes les insultes qui me passent par la tête pour calmer le feu de mon entrejambe. On a pas idée d'avoir un abrutis de frère qui...
La porte s'ouvre à la volée. Le frère en question passe la tête par l'entrebâillement :
- Ça va ?
A son ton, il a presque l'air inquiet. Pour ma part, je suis littéralement mort de honte.
- On ne peut mieux, grommelé-je, la tête dans le coussin.
Il m'observe quelques secondes, se demande probablement ce qui me prend.
- Quand tu auras fini de faire l'autruche, rejoins-nous dans le salon.
La porte claque. Je jette un rapide coup d'œil dans sa direction pour m'assurer qu'il est bien parti, puis me relève en soupirant, la main sur les parties intimes. Mon pénis semble bien décidé à me mener la vie dure.
- Fait pas chier et dors ! lui ordonné-je à voix basse.
Il me faut bien un quart d'heure pour regagner contenance. Je retourne au salon accompagné du peu de dignité qu'il me reste, à savoir aucune si l'on additionne le fait que j'ai planté Corentin sur le pas de la porte, à l'entrée fracassante du frère prodigue dans ma chambre à un moment où je me serais bien passé de lui. Les deux ont gagné le canapé. William me fait signe de m'asseoir pendant qu'il se lève pour aller chercher les verrines qu'il a préparées la veille. Corentin, lui, me dévisage avec une légère insistance.
Et je t'interdis de réagir, avertis-je intérieurement mon entrejambe.
Je m'applique à éviter son regard tout en balançant une phrase d'excuses :
- Je suis désolé, une urgence, avancé-je en secouant mon portable.
- Je ne t'ai pas beaucoup vu à l'Academia ces derniers temps... Tu ne te sentais pas bien ?
Ça, c'est parce que je t'évite...
Je laisse échapper un petit rire gêné.
- J'avais pas mal de boulot... Griffin me fait bosser pour le concours, mentis-je.
- Tu prépares un concours ? relève William et déposant un plateau d'amuse-gueules sur la table basse.
La ferme, frérot... Pourquoi faut-il toujours que tu compliques les choses ?
Je tente de rester évasif.
- Entre-autre...
Corentin hésite à se servir. Son bras passe devant les mini-pizza, s'arrête à hauteur des verrines, pour finalement revenir sur son choix initial.
- Je peux ? demande-t-il poliment avant de se servir.
William acquiesce en rigolant.
- Bien sûr, sers-toi, c'est fait pour ça ! Alors explique-nous un peu, qu'est-ce que tu fais encore là pour les fêtes... Tu n'es pas rentré chez toi ?
Corentin se retient de manger et sourit en lui répondant :
- J'avais envie de rester dans le coin cette année. J'aime bien l'ambiance de l'Académia à Noël, et ça me permet d'aller jouer sur un meilleur piano quand j'ai du temps libre.
Corentin avale le canapé et se ressert. Je devine à son silence qu'il ne s'agit que d'une demi-vérité. Mais c'est ce que j'admire chez lui : ce côté sincère, direct, même quand la question semble l'atteindre plus qu'il ne le souhaiterait.
- Tu ne joues pas chez toi ?
- J'aime bien jouer dans une salle plus grande. La résonance n'est pas la même.
Will s'esclaffe.
- Je comprends, Max aussi. Souvent son jeu parait plus grandiose quand les murs sont plus éloignés.
Je rougis à ce soudain compliment. Corentin se tourne vers moi.
S'il te plait ne me regarde pas, ne me regarde pas, ne me regarde pas...
- Et tu prépares aussi des concours ? reprend William, dans le but d'en apprendre un peu plus sur lui.
- Quelques uns, même si ce n'est pas ma priorité pour l'instant. Stein voudrait que je me lance au printemps, je pense personnellement que je devrais attendre.
- Tu penses que tu n'es pas prêt ?
Mes yeux s'arrêtent sur ses mains. Il a les doigts longs et fins, la grâce d'un pianiste jusqu'au bout des ongles.
- Je pense que ce n'est pas le moment. Ce n'est pas une épreuve à laquelle on peut se présenter à la légère, et mon implication ne répond pas aux attentes que l'on a de moi.
Il porte un pull à col roulé, bleu gris moulant et assez fin, qui révèle légèrement son torse. Et comme ce fameux après-midi dans cette salle d'auditorium, il a le port princier, un long cou, des cheveux bruns et souples qui ondulent légèrement.
- Et tu n'as pas peur de les décevoir ?
Corentin ne répond pas, il se contente de sourire et se ressert une verrine. Pourquoi est-ce que ce soudain silence me touche ? Pourquoi est-ce que je me sens concerné ? Et pourquoi a-t-il fait le choix de rester seul, particulièrement ce soir-là, le soir de Noël ?
Sentant mon regard porté sur lui, Corentin se retourne alors vers moi :
- On ne devait pas se voir pour ton cours avec Griffin ?
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