34 - Hello Will
Il fait complètement jour quand le bruit du café me tire du sommeil. Les portes des placards s'ouvrent, se ferment. Puis c'est au tour de celle du frigo. Tintement de verre, eau qui coule...
J'ai tellement bien dormi que je n'ai pas envie de bouger. Confort max pour un matin des plus agréables. Sans ouvrir les yeux, je devine William qui prépare le petit déjeuner, savoure la chaleur du sofa contre mon corps.
Du sofa ?
- Quand tu seras complètement réveillé frérot, tu pourras peut-être te rhabiller. Ce n'est pas que je n'ai pas l'habitude de te voir torse nu, mais j'aimerais autant me passer de cette vision au réveil.
Sa remarque me fait l'effet d'un électrochoc. Je me redresse d'un coup, trop vite pour mon corps qui me le fait comprendre. Mon cerveau hurle. Corentin grogne, encore à moitié endormi.
Corentin ?
Je me frotte les yeux et émerge douloureusement, assailli des souvenirs de la veille. Merde, merde et merde. Qu'ai-je fait ? Qu'as-tu fait, Max ! Mon cœur s'affole tandis que je l'observe, allongé sous moi. Les traits de son visage sont relâchés, sa bouche juste parfaite, son t-shirt à moitié remonté sur sa poitrine... Mais à quoi tu penses, Max !
Je tente de me dégager en réalisant que la température vient subitement de grimper. Mon cerveau défaille, Corentin s'agite. J'ai des palpitations jusqu'en bas du dos. Et William, qui me jette des regards bizarres... Faisant mine de ne pas avoir remarqué, j'attrape mon t-shirt et l'enfile en vitesse, puis repousse la jambe de Corentin pour descendre. Il faut que je m'extirpe de... Il gémit, se retourne et m'attrape le bras. Merde ! Je résiste en tombant à moitié sur lui, jette un coup-d'œil au grand-frère, qui est mort de rire. Si j'ai pu penser qu'il était encore possible de lui cacher ça, au moins je suis fixé...
- Prends ton temps... commente-t-il, amusé.
- La ferme !
Je me prends les pieds dans ses jambes quand je parviens enfin à descendre, ce qui finit de le réveiller. Corentin a à peine le temps de se redresser que je l'attrape par le bras et que je le traîne jusqu'à la salle de bain.
La porte claque violemment. Corentin finit de se réveiller et me dévisage à la fois attendri et taquin.
- Arrête de me regarder comme ça, grogné-je en évitant son regard.
- Tu penses vraiment que je me préoccupe de ça ? demande-t-il en brisant d'emblée les trente centimètres qui nous séparent.
J'ai du mal à ne pas relever la tête en le sachant si près. Je suis furax, car oui, ça, ça compte pour moi. William va me vanner pendant des jours, il m'agace déjà !
Corentin me dépasse d'une bonne demi-tête. J'entends sa respiration, je devine son expression rien qu'à son silence. J'ai tellement de choses à lui dire que les mots s'embouteillent à mes lèvres sans parvenir à les franchir. Par où commencer ? Comment lui expliquer ? Mon ventre se serre. Je m'en veux d'être si lâche.
- Il faut qu'on parle... finis-je par dire.
- Je suis d'accord, il faut qu'on parle.
Ses doigts frôlent mon bras. Mon cœur fait un bon. Je relève les yeux sur son t-shirt, remonte jusqu'à son cou. Ce cou que j'embrassais hier soir. Ce menton parfait. Cette bouche au goût d'ivresse. Et lui qui ne bouge pas.
- Qu'on soit bien clair, je ne suis pas gay, rétorqué-je.
Cette remarque lui arrache un rire un brin cynique :
- Parce que tu crois que je le suis ?
Sa remarque me retourne le ventre. Qu'en est-il de nous deux, alors ? Ses doigts se referment un peu plus sur mon bras ; pendant un long instant, nous nous jaugeons yeux dans les yeux. Il devient tout à coup beaucoup plus sérieux. Beaucoup plus profond, comme s'il essayait de me dire quelque chose. Puis sans me lâcher du regard, ses doigts remontent lentement jusqu'à ma joue, son pouce s'arrête sur mes lèvres. Mon sang se met à tourner à une vitesse folle. Je me fige sur place, noué d'appréhension, accaparé par l'envie qu'il se penche sur moi et m'embrasse, mais il n'en fait rien.
Et s'il laissait tomber ? Et si tout à coup, il n'avait plus envie de moi ?
Non, ce n'est pas possible, pas après ce qui s'est passé hier... J'ai pourtant été clair, non ? Et... Et s'il interprétait mal ce que je viens de dire ? Est-ce qu'il abandonnerait ? Est-ce qu'il finirait par croire qu'il s'est fait des idées ? Cette simple pensée commence à me faire paniquer. Si je ne fais rien, c'est ce qui finira par arriver. C'est forcément ce qui finira par arriver !
- Tu te souviens du Chopin ? soufflé-je, hésitant, mais certain que parler de musique me sera plus facile que d'affronter mes propres sentiments.
Il acquiesce.
- Ce jour-là, j'étais énervé. J'étais franchement énervé, parce que je t'avais entendu jouer la veille, et que... J'ai toujours admiré la manière dont tu joues Chopin, et la manière dont tu joues en général, avoué-je, la boule au ventre. Et parfois, j'ai l'impression que je ne parviendrai jamais à faire aussi bien... Que je ne suis pas à ta hauteur.
Je relève la tête, embarrassé par ma confession. Ses doigts s'arrêtent derrière ma nuque, son regard parait si triste que je regrette immédiatement ce que je viens de dire.
- Je suis désolé, m'empressé-je d'ajouter, je ne suis vraiment pas doué pour les relations.
Déçu, il pose son front sur le mien, passe ses bras dans mon dos et me serre contre lui. La chaleur de son corps me fait frissonner. Il est bien moins détendu qu'il ne le laisse paraître, et quand il prend la parole, sa voix tremble :
- Je me souviens de chaque note, Max... De chaque note, et de tout ce que tu as joué depuis. Si tu crois que tu es le seul à ressentir ça, tu te trompes.
Ses lèvres se posent si délicatement sur les miennes que je ne songe même pas à me défiler. Sa main caresse mon cou, l'autre mes cheveux. Ce baiser n'a pas le goût de l'ivresse de la veille. Non. Ce baiser sonne comme une promesse ; qui aurait pu prévoir que de nous deux, il serait le plus concerné ? Mon cœur bat à tout rompre, rempli d'espoir. Peut-être que je compte un peu pour lui. Peut-être que j'existe à ses yeux. Peut-être que finalement, je suis plus qu'une note sur sa portée ?
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