42 - Whispering Night (part 2)
Après dix longues minutes, la porte de la salle-de-bain s'ouvre. La silhouette de Corentin se découpe dans la lumière. Il passe une serviette dans ses cheveux, range rapidement ses affaires, puis rejoint son lit en silence. Je sais qu'il a dit qu'il ne se passerait rien, mais je suis déçu. Sérieux, comment peut-il m'oublier comme ça ? Je guette, je prie pour qu'il se relève et qu'il se glisse dans mon lit, mais rien. Comment peut-il dormir dans de telles conditions ?
- Corentin ?
- Mmm...
- Tu dors ?
- Mmm...
Menteur. Au son de sa voix, j'imagine qu'il est parfaitement réveillé.
Je relève la tête et distingue la lumière de son portable qui éclaire faiblement son visage sous la couette. Est-ce qu'il le prendra mal si je le rejoins ?
- Tu parles avec qui ? demandé-je, curieux.
Pas de réponse... Il pianote encore deux secondes sur l'écran, pose son portable sur la table de chevet, le branche au chargeur, puis s'extirpe du lit et traverse le mètre qui nous sépare pour s'immiscer dans le mien. Ses cheveux sont encore humides lorsqu'il pose sa tête sur l'oreiller et que son bras se glisse dans mon dos.
- Ma mère. Pourquoi, tu es jaloux ?
- Non.
Oui. Je déteste quand il pense à quelqu'un d'autre alors que j'ai besoin de lui. Ce soir, j'ai besoin de sentir son odeur, celle de son shampoing, de son son parfum. Besoin de sentir sa présence. De me retrouver chez moi ; comme revenir à la maison après une journée éprouvante pour enfin lâcher prise.
- Ça va mieux ? demande-t-il en chuchotant à mon oreille.
Son souffle chaud me chatouille.
- Mmm...
Avec Laura, je n'ai jamais été très tactile. Ni avec personne d'autre d'ailleurs. Je me souviens encore de ma mère quand elle essayait constamment de me serrer dans ses bras ; je n'ai jamais pu la serrer dans les miens. Encore maintenant, d'ailleurs. Il n'y en a toujours eu que pour William. William plus tactile, William qui sait se faire aimer. Comment s'imposer quand on n'existe que dans l'ombre de son génie de frère ?
Mais avec Corentin, c'est une autre histoire. J'aime le regarder. Etre avec lui. Sentir sa présence. L'observer. Il ne m'a jamais perçu de la même manière. Il n'y a que quand on commence à compter aux yeux de quelqu'un qu'on réalise combien la vie est plus facile. Les gens nous voient : tout devient plus plus clair, plus vrai.
- Est-ce que tu te souviens quand tu as commencé la musique ? lui demandé-je, soudain sérieux.
- Mmm, pas vraiment.... Vers cinq ans je crois, comme tous les enfants...
- Pas de musiciens dans la famille ?
Il rigole à moitié.
- Aucun.
- Tes parents ont dû avoir une drôle de surprise en découvrant que tu pouvais jouer comme un dieu.
- C'est ce que tu penses de moi ?
Cette fois-ci, il rigole franchement. Heureusement qu'il fait noir, car je me sens brusquement rougir.
- Tu n'imagines pas à quel point... reprend-il. Ma mère m'a traîné à toutes les auditions du pays...
- Et ?
- Et je ne me suis jamais autant ennuyé.
- Mais tu as remporté des prix ?
Il me vole un bisou du bout des lèvres pour me faire taire, mais j'ai envie de le taquiner.
- Tu te rends compte que tu aurais pu devenir comme Will ?
- Est-ce que je suis aussi doué ? demande-t-il dans un murmure à mon oreille.
Ses doigts glissent dans mon cou, légers et doux comme des plumes.
- Meilleur... murmuré-je timidement.
Il embrasse mon front si doucement qu'un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale jusqu'au sommet de ma tête.
- Je t'apprendrai, si tu veux...
- Je croyais qu'il ne se passerait rien tant que...
Ses doigts s'égarent sur mes lèvres.
- J'ai peut-être changé d'avis.
- Tu crois que c'est raisonnable avec la journée qui nous attend demain ? murmuré-je sans oser bouger.
- Absolument pas, mais y a-t-il vraiment quelque chose de raisonnable dans notre relation ?
C'est à mon tour d'esquisser un rire. Je me blottis un peu plus contre lui tandis qu'il referme ses bras autour de moi. Sa poitrine se soulève paisiblement. Je sens sa respiration dans mes cheveux. J'inspire profondément son odeur, un intime mélange de lessive et de lui, et ferme les yeux. Il est plus musclé que dans mes souvenirs. Son contact m'apaise tant que mon attention se relâche peu à peu.
- Corentin ?
- Mmm ?
- Tu as toujours voulu faire du violon ?
- Du violon, non, mais du piano, oui.
Je me redresse dans le lit :
- Vraiment ?
- Vraiment...
- J'étais persuadé que c'était l'inverse, avancé-je en me relaissant tomber.
- Pourquoi ça ?
- Une impression, comme ça... Quand tu joues du violon, j'ai la sensation que ça devient tout à coup très personnel.
Corentin m'embrasse doucement sur le front.
- Et si ça l'était ?
Est-ce que j'ai vraiment touché juste ?
C'est vrai qu'en dehors de l'Academia, je ne sais pas grand-chose de lui... Seulement qu'il a une sœur et que toute sa vie tourne autour de la musique. Pour ça, on n'est pas très différents.
- Beethoven ou Mozart ? demandé-je.
- Hein ?
- Tu préfères Beethoven ou Mozart ?
- Mozart, enfin je pense... C'est quoi cette question ?
- Chut, contente-toi de répondre... Flûte ou Hautbois ?
Il rigole et se redresse pour se retrouver à ma hauteur.
- Sans hésiter, hautbois.
Jusque là, je ne prends pas vraiment de risques, on a les mêmes goûts.
- Thé ou café ? demandé-je alors, mais pour moi-même cette fois.
- Thé, et toi ?
- Chocolat. Chien ou chat ?
- Chat. Mais tu as triché, je croyais qu'on n'avait le choix qu'entre deux options ?
- Chat aussi. La question t'était destinée, rétorqué-je en souriant.
- Je vois, alors... tennis ou ping-pong ?
Je fais la grimace :
- Aucun des deux.
Corentin s'esclaffe en m'ébouriffant les cheveux :
- Je m'en doutais déjà, même si t'imaginer en train de courir après une balle a quelque chose de très mignon.
Et t'imaginer les bras dénudés, trempé de sueur après une partie de tennis, a aussi quelque chose de très sexy...
Mais je garde cette pensée pour moi, pas encore prêt à assumer ce qui suivrait si je lui révélais ce que je pense de lui. Pour ce soir, le savoir tout près suffit.
- Corentin ?
- Oui ?
- Et entre la musique et moi, tu choisirais quoi ?
Il prend le temps de répondre, se décale très légèrement comme pour me serrer davantage contre lui.
- Joker... souffle-t-il en déposant un baiser sur le bout de mes lèvres.
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