56 - With You

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 En général, je suis rapidement happé par le film, sauf que cette fois je ne peux m'empêcher d'observer Corentin. La lumière blafarde de l'écran fait ressortir les traits de son visage. La ligne de son menton, sa mâchoire légèrement contractée. Ses yeux, qu'on devine à travers les lunettes. La musique est trop forte, pourtant elle parvient à peine à couvrir les battements de mon cœur qui résonnent jusque dans mes tempes.

 Corentin me jette un rapide coup d’œil. J'esquisse un sourire maladroit. Si Dieu avait été juste, il ne m'aurait pas permis de contempler son oeuvre à un moment où je ne peux vraiment la savourer.

 Mon portable vibre. C'est Will, presque aussi désespéré que moi.


21h03

De : Will

A : moi

T'es où ?


 Je pianote rapidement une réponse.


21h03

De : moi

A : Will

Pas à la maison.


 – Ton frère ?

 – Ouai.

 – Il a toujours un bon timing...

 Je rigole et range le portable dans ma poche. La main de Corentin s'arrête sur la mienne. Surpris, je me retourne pour m'assurer que personne ne nous regarde.

 – Ils sont concentrés sur le film... me susurre-t-il à l'oreille. Par contre, toi... Tu ferais mieux de t'inquiéter de ce qui va t'arriver si tu continues à me fixer ainsi, ajoute-t-il en se penchant vers moi, un sourire en coin.

 Le sous-entendu est équivoque. Mes joues s'empourprent d'emblée à l'idée de tout ce qu'il imagine et de tout ce qui me passe soudain par l'esprit. Non, il n'oserait pas...? Je tente de retirer ma main mais ses doigts me retiennent.

 – Détends-toi...

 Plus facile à dire qu'à faire. Surtout quand son esprit décide de penser à tout sauf que film qui se joue sur l'écran.

Concentre-toi, concentre-toi Max...

 Je focalise brièvement mon esprit sur la raison du pourquoi nous nous trouvons dans cette salle. Le film. Le combat épique qui se joue devant nous. Les enceintes qui vomissent un son interstellaire qui fait vibrer jusqu'aux rangées du fond. Quoi de plus attrayant que deux héros torse nus, montés comme des Dieux, pour se rincer les yeux ?

 Les doigts de Corentin caressent le bout les miens. Je me tends.

Bon sang, comment suis-je censé me concentrer bordel !

 Je l'entends rire. Des frissons me parcourent le dos. Il sait très bien que je ne risque pas de me détendre avec lui qui s'amuse à mes dépends. Il donne le change, concentré sur le film, du moins en apparence parce qu'en réalité, il n'en est rien... Son index joue avec le mien. Il est si près de l'accoudoir que nos épaules se touchent et que je sens la chaleur de son corps m'envahir. Thor et Loki sont tout à coup bien peu attrayants par rapport au déluge qui me submerge. La main de Corentin dérive vers ma cuisse. Je parviens à l'arrêter d'un coup et me tourne vers lui :

 – Stop.

 Un sourire qui n'a rien d'innocent s'inscrit sur ses lèvres. Il sait qu'il joue avec mes limites. Mes entrailles se tordent. Je prends fermement sa main dans la sienne, la cale sur l'accoudoir et m'assure qu'elle y reste.

 Il murmure alors à voix basse :

 – Tu es sûr ?

 – Certain.

 Ses yeux se dirigent vers mon entrejambe.

 – Certain, insisté-je.

 – Tu es moins audacieux qu'il n'y paraît.

 – Et toi, beaucoup plus téméraire que...

 – Amoureux, rectifie-t-il.

Amoureux ?

 Mon cœur repart de plus belle et je me mords la lèvre de me sentir aussi faible. Qui serait assez fou pour tenter quelque chose dans un cinéma, à la vue de tous ? Je me cale un peu plus dans mon siège en prenant garde de ne pas me pencher vers lui pour ne pas encourager ses ardeurs. Avec douceur, ses doigts s'entremêlent aux miens pour ne plus me lâcher jusqu'à la fin de la séance.


***


 – Qu'est-ce que t'en as pensé ? demande Corentin, sur le chemin du retour.

 Sortir avec Corentin me fait du bien. Le froid mordant de la nuit enrobe notre cocon de bonheur. Ma main ne quitte pas la sienne tandis que nous remontons le chemin de l'arrêt de bus à l'appartement.

De quoi est-ce qu'il parle ? Du film ?

 Je n'ose pas lui avouer que je n'ai rien suivi. Aller au cinéma avec lui était à la fois la pire et la meilleure idée.

 – Je... C'était bien, bredouillé-je, pas vraiment convainquant.

 – T'as préféré quel moment ?

Max, il fallait t'y attendre, tu ne vas pas être épargné !

 – Eux... Celui où ils se battent.

 Corentin se tourne vers moi, interrogatif.

 – Vers la fin, je suppose. Et toi ?

 – Tu supposes ? Est-ce que tu te souviens au moins de comment ça se termine ? se moque-t-il.

 – Plus ou moins...

 Il lève un sourcil moqueur.

 – D'accord. Plutôt moins que plus.

 Cette fois il rit, se penche vers moi et dépose un baiser sur ma joue. Je crois que je pourrais battre des records de chasteté tellement je passe de temps à rougir. Sauf qu'il faudra revenir pour l'innocence. Ce n'est plus vraiment au menu du jour.

 – Et du coup, tu préfères lequel ? Thor ou Loki ?

Toi. Clairement toi.

 – Je ne sais pas trop. Ni l'un ni l'autre, je suppose.

 Nous grimpons l'escalier qui mène aux appartements. Sa main ne lâche pas la mienne. Il a même l'air pressé.

 – Depuis quand es-tu aussi modéré dans tes réponses ? me fait-il remarquer une fois arrivé devant la porte.

 – Mmm, on dirait presque que tu me connais. Et toi ? Qui est-ce que tu préfères ?

 Il mime une grimace faussement enjouée.

 – Qui sait ? Peut-être Thor ?

 Son autre main attrape mon bras et me tire contre lui.

 – Plus sérieusement, tu dors à la maison ce soir ?

 – Chez toi ?

 Mon cœur, qui s'était presque apaisé sur le trajet du retour, repart de plus belle. Il acquiesce, timide, et m'attire contre lui. Ses bras s'enroulent dans mon dos. Son front se penche vers le mien.

 – Tu ne veux pas ?

 Bien sûr que si ! Mais je me rends aussi compte de tout ce que cela implique. Lui et moi, seuls chez lui : pas besoin d'être expert pour faire le calcul. La réalité me revient en pleine face avec la violence d'une douche froide et je repense à mes recherches de l'après-midi, aussi excité qu'angoissé. Oui, je l'aime. Est-ce que j'ai envie d'aller plus loin ? Oui. Est-ce que je meurs d'envie de lui sauter dessus, oui. Est-ce que je suis prêt à souffrir pour ça : clairement pas !

 Il ne me faut qu'une demi-seconde pour me décider.

 – D'accord, mais à deux conditions.

 Il dresse l'oreille.

 – Tu me laisses prévenir Will et tu me garantis qu'il ne se passera rien ce soir.



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