69 - Maximus, the Saviour
Le sourire aux lèvres, je me repasse la scène une fois, deux fois, trois fois, en repensant à la soirée. Peut-être que j'aurais dû rester avec lui. J'espère qu'il n'a pas mal pris le fait que je file juste après la nuit qu'on vient de passer ensemble...
Je secoue la tête.
Non, il faut que tu te concentres sur tes études, Maxime. Si tout venait à se terminer, que ferais-tu de ma vie ?
Je réalise tout à coup n'y avoir jamais songé. Peut-être parce qu'il n'y a jamais eu que la musique dans ma vie. Peut-être parce que sans que je m'en rende compte, le piano est devenu le prolongement de mon être. Qu'il n'y a jamais eu d'à-côtés, et que je serais bien en mal d'imaginer ce que je pourrais être d'autre que Maxime.
Je cale l'enregistrement et retourne au piano, déterminé à l'idée d'en finir.
Pense au concours.
Au concours !
Au concours.
Je répète deux bonnes heures durant lesquelles je retourne plusieurs fois visionner les prises. C'est une plaie et j'ai hâte de me débarrasser de cette corvée. Entre les prises de son qui sont mauvaises, l'angle et les erreurs d'interprétation, je peine à garder mon calme. Qu'aurait dit Griffin à ce sujet ? "Il faut aborder Chopin sereinement." Et d'un autre côté, je me demande comment je peux être serein quand la menace de Claire plane au dessus de ma tête et que je ne cesse de penser à Corentin. Mon esprit se déchire entre nécessité et réalité. Nécessité de le voir, bien loin de la réalité que Claire me renvoie à la figure. Je ne peux juste pas laisser Corentin, pas alors qu'on vient juste de se trouver. Ma vie s'est soudain teintée de couleurs et on me demande d'y renoncer. C'est bête, mais je n'ai jamais songé à l'avenir. Et en même temps, quand je pense à plus tard, je n'imagine pas un monde où je serais seul. Le futur me paraitrait tellement morne, glauque. Comment renoncer à ce dont on a toujours manqué quand on y a goûté ? Je dois me débrouiller pour concilier les deux : Corentin et Claire, Claire et Corentin...
Les coudes posés sur le clavier, la tête entre les mains, la situation me donne un affreux mal de crâne. De ceux des problèmes que l'on sait insolvables mais que l'on s'évertue tout de même à résoudre.
Le portable vibre et fait résonner les cordes du piano. Je me rue sur lui contant de sortir de mes pensées, pour finir par une grimace :
13h03
De : Will
A : moi
T'es où ?
C'est vrai que je l'avais oublié celui-là... Toujours présent quand on voudrait être seul, mais jamais quand on aurait réellement besoin de soutien.
T'as pas manqué de disparaître hier quand on parlait de Corentin. Sale traître.
Calme et sérénité. Je ferme les yeux, envoie promener Will très loin dans mon cerveau et me concentre sur mes enregistrements. Ou plutôt j'essaie d'oublier qu'une caméra est braquée sur moi et me concentre sur Corentin. Est-ce qu'il viendra me voir au concours ?
Faudrait déjà que tu passes la sélection.
Je sais que je réussirai la sélection. C'est peut-être la première fois de ma vie que je me sens serein, et je le dois en grande partie à Griffin.
Un peu à Corentin aussi...
Un sourire reconnaissant étire mes lèvres. Oui, je le dois aussi à Corentin. J'ai tout à coup envie de m'appliquer, non plus pour moi ni pour prouver à Stein combien elle a pu se tromper, mais pour lui. Je repense aux enregistrements sur la caméra avec l'envie de lui répondre.
Une réponse...
Elle me vient plus naturellement que je l'aurais imaginé, glisse du bout de mes doigts sur les notes en un phrasé plus léger qu'à mon habitude. Peut-être parce que Corentin parvient à m'ôter une partie de mes doutes. Peut-être parce qu'observer son univers ne me suffit plus, et que j'ai envie d'en faire parti. Finalement, quoi de plus évident que ce lien qui nous unit ?
Alors que les notes me portent, j'ai tout à coup envie de lui prendre la main. De toucher ses doigts du bout des miens, de sentir ce contact, à la fois timide et intime. De le savoir à mes côtés, tout simplement.
Le portable vibre à nouveau, interrompant l'état de rêverie dans lequel je me trouve. J'arrête de jouer et fronce les sourcils en découvrant un nouveau message de Will.
13h15
De : Will
A : moi
T'as dormi chez Corentin ?
Un rire sarcastique me reste coincé dans la gorge. Ah, parce que c'est maintenant que tu t'en préoccupes ?
Je repose le portable, énervé. L'enregistrement est foiré. Il insiste. Qu'est-ce qu'il me veut ? Probablement quelque chose en lien avec Claire. Les connaissant, elle a encore dû lui demander une faveur qu'il n'aura pas su refuser. Mais qu'ai-je fait dans mes vies antérieures pour hériter d'une telle famille ? Clairement, Buddha a foiré la mienne. J'aurais mieux fait de ne jamais naître !
Oui, mais tu n'aurais pas rencontré Corentin...
Eh bien j'aurais été bien plus heureux en étant adopté. Tout, plutôt que de me retrouver avec ce crétin de frère qui ne comprend rien à rien. Ou qui ne comprend que quand ça l'arrange.
Corentin, tu vas réussir ce concours. Et tu vas tellement bien réussir que tu n'auras plus de compte à rendre à personne !
Je me remets au travail plus déterminé que jamais. L'heure tourne, mon ventre commence à me rappeler qu'il existe et que je suis humain. Je fais une, quatre, dix prises différentes, avec l'idée de les trier plus tard, à tête reposée. Là, je n'arrive plus à avoir les idées claires. Finalement, il est presque quatorze heures quand je relève la tête. Will semble avoir abandonné l'idée de me parler. Un message de Corentin me demande si je rentre manger. Je pianote rapidement une réponse, le sourire aux lèvres :
De : moi
A : Corentin
Ca dépend ce qu'il y a au menu ? ;)
Depuis quand est-ce que je commence à faire ce type de blague ? Il faut croire qu'il a eu raison de la dernière parcelle encore saine de mon cerveau.
Je range mes affaires et quitte la salle l'esprit un peu plus léger. Tant que je le pourrais, je préfère encore ignorer Claire. Avec un peu de chance, peut-être qu'elle ne mettra pas ses menaces à exécution. Oui, j'ai encore l'espoir de pouvoir rester avec Corentin, et qui sait, peut-être qu'avec le temps elle finira par changer d'avis ?
Je ne traine pas sur le chemin du retour, pressé de retrouver Corentin. En montant à l'appartement, je remarque d'abord une silhouette qui semble attendre devant la porte, puis en m'approchant, je reconnais William qui m'interpelle, l'air bien trop jovial pour que ce soit une bonne nouvelle. Je suis peut-être allé trop vite en pensant qu'il avait abandonné l'idée de me parler.
Baisse les yeux, Max. Baisse les yeux et ignore-le !
– Maxou...
Tu ne l'as pas vu ! Tu ne l'as pas vu ! Tu ne l'as pas vu !
– Je... Tu n'as pas répondu à mes messages plus tôt. Tu étais occupé...
Et merde, il fait chier !
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