73 - Back Home
Après avoir rendu Louise à mon cher frère, je regagne l’appartement de Corentin qui ouvre la porte à la volée, inquiet de ne pas me voir revenir. C’est assez étrange et à la fois assez agréable de se savoir attendu, surtout quand on est accueilli par un baiser.
Il me tire par la main pour me faire rentrer et m’entraîne jusqu’au canapé où un plateau repas m’attend sur la table basse.
– C’est pour moi ?
– Non. Seulement pour moi. Toi tu es puni.
Je le fixe, incrédule, tandis qu’il s’esclaffe, fier de son effet.
– Bien sûr que c’est pour toi. Tu vois quelqu’un d’autre ici ?
Dans la demi-heure qui suit, je lui explique rapidement comment je me suis retrouvé à l’aéroport ; Will et sa vie rocambolesque, Louise, ses talons et ses ongles. Le tout pailleté du futur « Will 2 » en cours de conception. Pendant tout le récit, Corentin reste interdit. A la fin, un petit rire nerveux s’échappe de sa gorge :
– Je n’imagine pas du tout ton frère dans un rôle de père.
– Je dois t’avouer que moi non plus.
– Si c’est le cas, il peut dire adieu à sa carrière.
– De toute façon, elle est déjà compromise…
Le silence plane quelques instants, bientôt suivi du soupir de Corentin, qui allume la télé.
– Je ne comprends pas pourquoi tu aides encore ton frère après toute cette histoire…
Je hausse les épaules. Je me le demande moi-même.
– Il passe son temps à te lancer des piques. C’est pas comme s’il en avait réellement quelque chose à faire de toi.
– Il n’est pas méchant.
Corentin se retourne d’un coup, offusqué, les yeux ronds d’incrédulité. C’est la première fois que je le vois comme ça.
– Il n’est peut-être pas méchant mais il n’a rien fait pour t’aider non plus depuis qu’il est là. Hormis le taxi jusqu’à la masterclass, si on peut appeler ça une aide. Il était où il y a cinq jours quand ta mère te foutait à la porte ?
Je détourne la tête pour ne pas avoir à croiser son regard déçu.
– Techniquement, elle ne m’a pas mis à la porte, c’est moi qui ai préféré partir, marmoné-je.
– Il n’a pas bronché. Et maintenant il débarque et te demande de lui sauver la vie ? Il n’en a rien à faire de toi.
Ce n’est pas tout à fait vrai. Je sais qu’il se soucie de moi, mais à sa manière. Ou peut-être est-ce ce que j’espère au fond de moi. Me dire qu’il y a au moins une personne, autre que Corentin, pour qui mon existence compte sur cette planète. Will a juste toujours été comme ça : lâche et fuyant. Ce n’est pas maintenant que ça va changer.
– Je sais, mais il n’avait pas d’autre solution.
– Ou alors il n’a pas pris la peine d’en chercher une. Il savait pertinemment que tu débarquerais pour le sauver. Ce n’est pas à toi d’aller à l’aéroport. C’est sa copine.
Je pose la tête sur son épaule, un peu sonné.
– Tu crois vraiment qu’il va devenir père ? Je veux dire… J’ai du mal à l’imaginer avec une famille, tout ça… Et ça fait quoi de moi, un oncle ? (Je grimace.) J’ai l’impression de prendre dix ans d’un coup.
Corentin s’esclaffe et me passe une main dans les cheveux.
– Si ça peut te consoler, tu es toujours le Max que je connais.
– Tu ne m’en veux pas ?
Mes yeux parcourent les traits de son visage. Il fait mine de bouder, même s’il ne parvient pas tout à fait à dissimuler le fin sourire qui se dessine sur ses lèvres.
– Mmm.
– Je suis désolé. Je ne recommencerai plus.
– Je ne sais pas ce qui devrait m’interpeller le plus : que tu t’excuses pour ton frère ou que tu me promettes de ne pas recommencer quand on sait tous les deux qu’il suffira d’un mot de lui pour que tu accoures.
Nos regards restent un moment accrochés l’un à l’autre. Je sais bien qu’il a raison, mais c’est plus fort que moi. J’ai le sentiment que si je ne l’aide pas, il finira un jour par me tourner définitivement le dos.
Et alors ?
Et alors je ne suis pas prêt à abandonner ma famille.
– Laisse-le gérer ses problèmes, t’en as déjà bien assez comme ça. Au pire il se passera quoi ?
Je ne sais pas. Je hausse les épaules.
Sa main attrape la mienne.
– Je vais te dire, moi. Au pire, il sera obligé de régler ses problèmes une bonne fois pour toutes et toi tu auras la tête libre pour t’occuper de ton concours. Et un peu de moi, aussi… finit-il par ajouter.
Il m’attire dans ses bras et enfouit sa tête dans mon cou, comme pour me faire comprendre que ma vie est ici, avec lui. Pas avec mon idiot de frère qui ne comprend rien à rien.
– Tu imagines si un jour il arrivait quelque chose ?
J’observe mes mains comme si je les découvrais pour la première fois. Corentin glisse ses doigts entre les miens, et les serre.
– Il n’arrivera rien.
Sans lâcher ma main, il m’embrasse dans le cou.
– Sinon, je voulais aussi te parler d’autre chose.
Je relève le menton vers lui.
– J’ai parlé avec Graham. Enfin il m’a appelé, et il souhaiterait que je le rejoigne plus tôt, en résidence quelques mois.
Mes mains se referment presque instantanément. Je sens qu’il cherche ses mots. Que ceux-ci ont du mal à sortir. Je me blottis un peu plus contre lui, comme pour profiter dès maintenant de ces derniers instants ensemble. Ses doigts finissent par lâcher les miens ; il me prend franchement dans ses bras et dépose sur mes cheveux un baiser aussi doux qu’il m’est douloureux.
– J’ai accepté, finit-il par avouer d’une voix si grave que je comprends le dilemme qui l’anime.
Ce que je redoutais devait bien finir par arriver. J’imaginais juste avoir encore un peu de temps.
– Mmm.
– Je sais que ça ne tombe pas au bon moment avec ce qui vient de se passer… Si j’avais su…
– Non, tu as bien fait.
– Je suis désolé, je l’ai appris juste avant que tout ça n’arrive. Je n’ai pas osé t’en parler tout de suite.
J’acquiesce, la gorge nouée.
– J’ai un billet pour la fin du mois. Et… Enfin… Tu peux rester à l’appartement si tu le souhaites.
Je relève vers lui un regard un peu perdu et me demande subitement comment je vais bien pouvoir faire sans lui, les prochaines semaines. Moi aussi, il va falloir que j’affronte la réalité. Un peu comme Will au final.
– C’est gentil, mais de toutes façons je n’aurais pas pu rester aussi longtemps.
– Ca va aller ?
– Les choses ne peuvent pas rester ainsi éternellement, pas vrai ?
Je lui sers un sourire qui n’a rien de joyeux, conscient de ce que ça me coûte de retenir les larmes qui ne demandent qu’à couler.
Tu n’as pas le droit, Max. Tu te l’es promis : la carrière avant tout.
– C’est toujours bon pour samedi ? demandé-je d’une petite voix, me raccrochant à ce qui sera peut-être notre dernier moment partagé.
– Mmm.
Il passe une main dans mes cheveux et m’embrasse.
– On fera ce que tu voudras, ajoute-t-il pour me remonter le moral.
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