Chapitre Quatorze : Les yeux d'une mère écrit par Shephard69100
Chapitre Quatorze : Les yeux d’une mère écrit par Shephard69100
Elle prononce mon prénom d'une façon qui m'évoque le sifflement du serpent. Glacial, chargé de quelque chose de mauvais. Mais c'est peut-être là sa manière la plus spontanée, la plus irréfléchie de masquer sa surprise, son désarroi. Comme une louve qui découvre un danger menaçant sa lignée. Ses mâchoires se crispent, ses yeux deviennent durs, ce qui la rend encore plus belle.
Moi, je me sens nu, désemparé, vain. Dans l'impossibilité d'expliquer ou même tout simplement de justifier ce qui m'a amené sur ce chemin pendant ces quatre dernières années. Avec ma barbe aussi épaisse et drue à la Capitaine Haddock, dans ce costume trop grand pour moi d'une taille, j'ai l'air de quoi ?
J'ai conscience d'être à des années-lumière, plus atteint par cette période d'errances morale, physique et géographique que je ne voudrais jamais l'admettre, de l'image du jeune mec plein d'assurance et de morgue que je cherchais à renvoyer.
Elle avance d'un pas vers moi, vénéneuse, dangereuse :
" Comment oses-tu venir ici ? Il n'y a plus rien pour toi.
- Je...
- Tais-toi et va t'en... Tu as réussi une fois. Une seconde n'aura rien de compliqué pour un type dans ton genre.
- Je...
- Bel effort de langage, je vois... Un peu limité quand même. Tu as disparu, on t'a cherché mais tu as été introuvable. Et tu réapparais comme ça, par magie et tu voudrais qu'on reprenne là où ça s'est arrêté, comme si rien n'avait eu lieu...Tu espérais quoi ?
- Maman ? Tu connais ce monsieur ? "
La petite voix de Myriam, légère et flûtée a, dans l'air vif de la fin d'après-midi , la résonance d'un coup de canon. J'ai envie, j'ai besoin, de me mettre à genoux devant elle et lui demander pardon. Elle, l'incarnation de l'innocence que j'ai bafouée par mon absence, a le droit que je m'aplatisse devant elle. Il me faut faire un effort colossal pour ravaler mes larmes et ma fureur.
" Non, ma puce, c'est juste un monsieur de passage."
Dans les yeux de Myriam, nait une lueur suspicieuse entremêlée d'incompréhension. Elle sent que quelque chose se trame mais elle est incapable de saisir la portée des échanges que j'ai avec sa mère. Dans sa main, le ballon bleu tremblote. Est-ce une rafale de vent plus forte qui voudrait l'emporter ou est-ce sa main qui se desserre, qui hésite à garder le cadeau que cet inconnu étrange vient de lui offrir ? Je sens que je l'ai effrayée, elle se cache derrière la jambe de sa mère et je ne vois plus d'elle qu'un petit bout de son visage, qu'un oeil méfiant. Une vague de honte, de peine m'attrape et m'écrase.
Les secondes semblent figées, comme dans un duel de western entre deux fines gâchettes de l'Ouest. Puis :
- Maman, y a Paul et Cléo qui arrivent. "
Mon ex-compagne détache son regard du mien, fouille la foule et trouve, au-delà de mon épaule, le fameux Paul.
- Va les voir, ma chérie. J'arrive dans une seconde."
Sans un regard ni un mot pour moi, Myriam file comme une flèche rejoindre les deux nouveaux arrivants. J'ai été une contrariété dans sa journée et je sais que les enfants ont cette faculté incroyable de balayer tout ce néfaste de leur cercle de perception.
Je ne me retourne pas, je ne veux pas donner cette joie à la louve qui me fait face, je ne veux pas qu'elle puisse accéder à la moindre faille en moi pour y instiller son venin. Elle esquisse un premier pas, s'arrête, un étrange sourire apparaît à la commissure de ses lèvres. Non pas un sourire, mais un rictus franchement carnassier, impitoyable.
" Je passerai le bonjour de ta part à Paul. Une fois qu'il m'aura bien baisé et que je l'aurai sucé. Et j'espère que tu as bien profité de ta rencontre avec Myriam car c'est la dernière fois que tu la vois. Au fait, je te ferai remarquer qu'elle a de très beaux yeux. Comme les tiens."
Et elle me plante là, au milieu du parc, avec la sensation d'un couteau dans les tripes. Paul ? Ce N'est pas possible, ça ne peut pas être ce Paul.
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