Perdu dans la Savane (3)
Je me réveillai quelques heures plus tard, brisé de partout. Le sol est dur quand on est habitué au confort douillet d’un lit civilisé… Je ne sais toujours pas si j’ai eu froid à cause de la forte baisse de la température pendant la nuit ou, plutôt, à cause des brûlures infligées la veille par ce satané soleil. Toujours est-il que je grelottais des membres et des dents. J’avais soif… terriblement soif.
Pendant que je marchais, la veille, j’avais formé le projet de me réveiller tôt, bien avant les premières lueurs du jour dans l’espoir de recueillir quelques gouttes de rosée. A cet effet, j’avais disposé dans un creux que j’avais creusé de mes mains quelques pierres assez plates pour que, imbriquées les unes dans les autres, je puisse récupérer assez d’eau pour me réhydrater un peu à l’aube. J’avais mal calculé mon coup puisque, au moment où j’ouvrais les yeux, j’avais déjà la sensation de rôtir sur un grill géant. Épuisé par mes efforts, et aussi par la nuit épouvantable que je venais de passer, je m’étais endormi au moment où j’aurais dû rester le plus vigilant.
Mais ce ne fut pas ma seule erreur : j’avais commis l’imprudence, malgré le froid, de retirer ma chemise pour la placer près des flammes. Méthode efficace pour supprimer les odeurs corporelles mais qui me valait maintenant de griller sans la moindre protection… J’avais la peau rouge écarlate, presque cramoisie, aux endroits les plus fragiles, et chaque mouvement m’arrachait une grimace de douleur. Il était urgent de trouver de l’eau, ce qui vira assez vite à l’obsession.
Trop prudent, j’avais encore eu la malheureuse idée de garder mes chaussures aux pieds, de crainte d’y découvrir quelque visiteur venimeux au petit matin… Nouvelle bourde que je payais le prix fort, les pieds gonflés, comprimés dans le cuir. J’aurai pu les retirer pour soulager ma circulation sanguine et atténuer la douleur mais je redoutais le temps que cela pourrait me coûter. J’avais faim… Pour calmer mon ventre, j’attrapai quelques herbes que je mâchonnais lentement, en prenant garde de ne rien ingérer, ne sachant rien de ce que je pourrais bien absorber en guise de glucides… ou de poison. De toute façon, j’avais la gorge tellement sèche que j’avais déjà du mal à déglutir…
Ensuite, ma langue gonflerait ; premier signe sérieux d’une déshydratation fatale. Je dressais mentalement la liste de tous les symptômes connus pour me forcer à agir, me disant aussi que tant que mes reins n’étaient pas source de douleurs ou de blocage, j’avais encore mes chances. Sous ce soleil infernal, l’échéance mortelle ne devait pourtant plus être qu’à quelques heures d’içi, à peine. Je devais faire vite.
Boire… boire !
Repartir, marcher. Et je devais le faire aussi vite, aussi longtemps que je pourrais faire l’effort de mettre un pied devant l’autre, en restant concentré sur ma rage de survivre. Une main en visière sur le front, l’autre la hanche, juché au sommet de mon misérable monticule, je sondai l’horizon pour choisir une direction. Il me fallait un indice, un soupçon de vie, même une simple trace, voire une promesse confuse et incertaine, pour me persuader de faire le bon choix. Si je me trompais, je serai mort avant la fin du jour.
Entre le risque de mourir de soif, d’épuisement ou encore d’une mauvaise rencontre, les raisons qui m’empêcheraient de vieillir d’une journée de plus ne manquaient décidément pas.
Alors, comme pour retarder le moment d’une décision peut-être fatale, je scrutais le paysage. Parce que ma vie en dépendait.
Mais je perdais mon temps; puisqu’il n’y avait aucun indice d’aucune sorte, je résolus de suivre la course du soleil, pariant sur le fait que je finirais bien par trouver une mer, un océan devant moi, en attendant de croiser un signe de civilisation.
Je marchai encore pendant quelques heures, des siècles presque. Mes lèvres brûlées me faisaient souffrir le martyr, des cloques apparurent sur mes bras. Encore quelques heures et j’avais dépassé le seuil de la douleur ; je marchais comme un automate, comptant mes pas par paires, calant mon rythme sur une fréquence régulière. Ma vue se brouillait parfois, comme si le soleil écrasait ce monde avec plus d’éclat pour me tuer plus vite. Je perdais toujours un peu plus de mes fluides, au point de me sentir sec comme l’écorce d’un arbre mort. Des armées de mouches, venues de nulle part, m’assaillaient sans faiblir et je n’avais presque plus la force de les chasser. Là-haut, dans ce maudit ciel sans nuage, je pouvais aussi apercevoir quelques charognards qui tournaient déjà autour de moi, patients et probablement affamés. Réjouis à l'idée de se repaître de moi ?
Oui, le temps pressait. Heureusement, j’avais toujours le moral et la volonté de survivre à l’épreuve. J’ignorais pourquoi j’étais içi et qui avait bien pu avoir l’idée assassine de m’abandonner en plein désert, mais je me fis serment de le découvrir et de me dédommager largement. Au moins cela m’apportait-il l’énergie dont j’avais besoin pour avancer, encore et encore…
Pour l’instant, conscient des priorités à respecter, je ne visais que l’horizon. Ensuite…
Quand, à bout de force, je m’écroulai dans la poussière, je crus discerner une silhouette au loin filiforme et tremblotante.
***
Allongé. Epuisé. Endolori. Gorge sèche.
Et plein d’autres choses encore.
Mais vivant…
***
Une journée de plus.
Maintenant, je suis à l’abri du soleil, protégé par quelques vêtements déchirés tendus par quelques branches sèches. Un abri de fortune.
Incapable de tourner la tête, je ne peux pas voir mon bienfaiteur. La gorge trop sèche, je ne me peux même pas gémir pour attirer son attention. Le mieux est encore de me reposer un peu. Je peux le faire sans crainte ; je sais que quelqu’un veille sur moi.
Je ne me sens pas assez vaillant pour sourire, pourtant un immense sentiment de soulagement inonde mon corps et mon esprit.
J’ai eu raison de ne pas céder ; le monde est définitivement trop petit pour rester entièrement seul bien longtemps.
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