La mer devant l'horizon
Il existe une chose qui pire que mourir : se voir mourir.
Ou plutôt : se voir mourir dans le reflet des autres…
* * *
J’attends sur cet embarcadère depuis une éternité. Disons plutôt que j’ai cessé de voir le temps passer. Je suis seul, ici. C’est extrêmement silencieux si l’on ôte le bruit incessant des vagues. Derrière moi, il n’y a rien. Du moins, je le suppose. Je ne veux pas me retourner. J’ai peur de ce que je pourrais voir. Je sais que je ne peux pas revenir en arrière. Je ne veux pas être tenté. Je me contente de fixer l’horizon.
Le ciel est gris, mais il ne pleut jamais. Il ne fait jamais nuit non plus. Pas de Soleil ni de Lune pour moi. Pas d’étoiles non plus. On a tendance à oublier les étoiles, mais c’est un tort. Je crois que mon bateau n’arrivera jamais, mais ce n’est pas grave. J’ai tout mon temps. Je me contente de rester assis. Je ne suis même pas sûr que si un bateau venait me chercher, j’y monterais. Je suis bien ici.
Parfois, j’essaye de me souvenir. Me souvenir de ce qui s’est passé avant. Avant quoi ? Avant. C’est tout. C’est assez amusant de constater que je me rappelle tout, ici. Toutes les personnes rencontrées. Tous les moments vécus. Tous les lieux visités. Tout ce en quoi j’ai laissé une part de moi-même. Les liens tissés qui un jour se sont brisés. Les espoirs auxquels je me suis cramponné de toutes mes forces. Toutes ces choses que j’ai tenté de retenir de peur qu’elles ne se finissent un jour. Tout. Une vie. Ma vie.
Et maintenant… je dois l’admettre… tout cela… je ne l’ai plus.
Je pense que l’humain ne peut pas comprendre ce qui le dépasse. Tout perdre est quelque chose que personne ne peut appréhender. C’est sans doute pour cette raison qu’il m’a fallu un certain temps pour me rendre compte de ma situation. Un certain temps pour sentir ce vide. Pour sentir ce manque. Ce besoin. Cette solitude…
Il ne faut pas que je pleure. Pas de regrets. Pas de retour. Je ne peux plus rien faire sinon attendre. Et me rappeler. Pourquoi tous ces souvenirs font-ils autant de mal ? Pourquoi me réchauffent-ils ? Pourquoi me blessent-ils si fort ? J’en ai besoin. J’en ai besoin, mais ils me font souffrir. Pourquoi ? Parfois, j’aimerais fermer les yeux si longtemps que je ne sentirais plus rien. Je ne serais plus. Plus rien ne compterais pour moi. Arrêter de penser. Arrêter tout. Cesser d’avoir mal.
Mais je ne peux pas…
Je veux me souvenir…
D’avant…
D’avant…
Ma mort.
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