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La bibliothèque du château, couverte de tapis épais et de fauteuils anciens, embaumait le cuir et la cire. Il y régnait un calme apaisant. En l’absence de sa mère, retournée au Temple pour préparer les cérémonies du solstice, Arian redevenait le maître d’Aguil, Héritier de la Maison Longcrin. Palys le suivit le long des rayonnages, effleurant du doigt le dos des reliures, un sourire émerveillé sur les lèvres. Malgré l’insistance d’Arian pour lui fournir une robe et un corset, elle avait jeté son dévolu sur une culotte de chasse et une chemise à manches bouffantes qui appartenaient, jadis, à Sand, son frère aîné. Une paire de bottes en cuir à la coupe très féminine, cette fois – héritage de Livine – complétait sa tenue. Ces vieux vêtements semblaient taillés pour elle. Avec ses cheveux noués en chignon sur la nuque et son tricorne à dorures, elle ressemblait à un jeune prince.

— Je n’ai pas eu le temps de te remercier, Arian, dit-elle en attrapant une épée de duel accrochée à un présentoir. Mais je dois encore te demander une faveur.

Palys s’amusa à faire siffler la lame dans l’air.

— Tu aimes l’escrime ?

Arian hocha la tête. En réalité, il partageait son temps entre la lecture, l’écriture et la salle d’armes. Fluet mais plutôt grand, il bénéficiait d’une bonne allonge et maîtrisait désormais nombre des subtilités de la discipline. Palys reposa l’épée, songeuse.

— Ce que je veux te demander est délicat. Mais si une personne dans ce monde peut me comprendre, c’est toi.

Il fronça les sourcils, intrigué.

— La tradition relègue les Héritières aux rôles de prêtresses, offrant aux seuls hommes le droit de mener le destin de leur Maison. À Valorne, il n’existe aucun prétendant mâle : nous sommes deux filles. Le domaine sera offert à un lointain cousin au décès de notre père. Il faut que l’une de nous deux acquière le rang de Cornue. Je sais que ce n’est pas la coutume. Néanmoins, ce genre de situation s’est peut-être déjà présenté par le passé. Et s’il y a bien une personne qui peut fouiller dans le passé…

Elle embrassa la bibliothèque du regard.

— … c’est toi. C’est forcément là, quelque part dans un de ces volumes d’histoire ou de droit coutumier.

Elle se tourna vers son hôte avec un air énigmatique, avant d’ajouter à voix basse, comme pour elle-même :

— Le destin est étonnant… Qui aurait pensé que cette mésaventure me conduirait précisément à l’endroit où il fallait que j’aille ?

Ainsi, l’Héritière de Valorne revendiquait l’accès aux privilèges des hommes. Un défi osé. Il fallait s’attendre à une opposition farouche des tenants de la tradition. Mais… Pourquoi pas ? Arian abhorrait le rite de la Corne et ses codes barbares. Personne ne le savait, même si sa mère s’en doutait probablement : chaque année, il échouait volontairement à l’épreuve de la Chasse. Poussé par une conviction intime, il refusait d’adhérer au massacre des licornes, derniers des animaux fabuleux. Voilà pourquoi sa mère l’avait exilé au moulin de la Scumje. Il s’en moquait. Régner ne l’attirait pas. En revanche, l’idée de malmener le rituel, de mettre les prêtresses, et sa mère, dans l’embarras, ne lui posait aucun problème. Il n’en était d’ailleurs pas à son galop d’essai. Et sa mère le lui rendait bien. La honte de ses incessants échecs rejaillissait sur elle, de manière d’autant plus forte à chaque nouveau solstice. Dans les Demi-terres, parmi les Héritiers et les Cornus, le nom de la Maison Longcrin suscitait désormais la moquerie.

— En échange…

Arian leva la main pour signifier qu’il ne demandait rien.

— Tu as le cœur noble. J’aurai malgré tout un cadeau pour toi. Que tu m’aides ou pas, d’ailleurs. Je sais désormais qui tu es, Arian.

Sur cette insinuation mystérieuse, elle lui offrit un sourire qui le toucha.

— La réunion avec le Maître de Chasse aura lieu dans trois semaines, au temple de la Corne de Bagradïn. Il faudra que je présente ma revendication à ce moment-là. Penses-tu que ce soit possible ?

Arian haussa les épaules. Si quiconque apprenait ses intentions, une bronca générale l’empêcherait sûrement de réaliser son plan. Et encore fallait-il mettre le doigt sur la faille, la petite jurisprudence oubliée qui permettrait à une femme de briguer le rang de Cornue.

— Je vais rentrer à Valorne. Inutile de m’accompagner, je me contenterai d’une monture et de quelques provisions pour la route. Nous nous retrouverons à Bagradïn, à l’auberge des Deux Griffons.

Il fit une moue dubitative, accablé à l’idée de son départ. Compatissante, elle lui caressa la joue.

— Trois semaines, rappela-t-elle avant de s’éloigner. Bonne nuit, Arian.

Une nouvelle fois, l’image de Livine, sa tendre sœur, s’imposa dans l’esprit du jeune homme. Le lendemain, un cheval manquait à l’écurie. La belle s’était envolée comme elle était apparue.

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