Chapitre 5 : Laelie

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Laelie adorait les jours de pluie. Il y avait quelque chose de relaxant, disait-elle toujours à sa mère, qui ne comprenait pas son point de vue, à regarder les gouttes tomber doucement le long des vitres, tout en étant à l'abri à l'intérieur. L'eau avait toujours fasciné la jeune fille. Contrairement aux autre éléments, elle était adaptable, à la fois solide et fluide, vitale mais indomptable.

C’était à ce genre de pensées qu’elle laissait divaguer son esprit tandis qu’elle finissait de broder le motif complexe d’ailes blanches sur un mouchoir. Laelie aimait imaginer que ces dernières l’emmèneraient loin, plus haut que la cîme des arbres, plus haut que les montagnes. Ou au moins en dehors du manoir. Dans ses rêves les plus fantastiques, elle arrivait à sentir la fraîcheur et l’humidité des nuages lui caresser la peau, une bourrasque d’air froid soulevant ses cheveux et la faisant frissonner.

Et la rêverie s'arrêtait là.

La jeune fille ne voulait pas épuiser ses réserves pour la journée. Il n’y avait jamais rien à faire dans le manoir, et sa mère ne la laissait jamais sortir. Peu importe à quel point l’excuse de Laelie était raisonnable et travaillée, c’était toujours “non”. Même son père, qui était généralement en accord son épouse, avait commencé à contester ce comportement plutôt extrême au fil des années. Il allait sans dire qu’elle ne pouvait pas se promener toute seule dans les rues, peu importe à quel point la destination était proche. Laelie pouvait comprendre cette inquiétude. Quand bien même elle y était autorisée, elle n’aurait pas osé s’aventurer très loin. Oriandale était loin d’être le royaume le plus sûr, quelle que soit l’heure de la journée, ou le nombre de passants dans les rues. Les escarmouches entre les différents seigneurs étaient constantes, et le roi n’avait que peu de pouvoir sur eux.

Son père entra cet instant. Tout à propos de lui était long et fin : ses cheveux gris tirant vers le blanc par endroits, ses yeux bruns foncé comme l’écorce des sapins, son visage et son corps, toujours soutenu par une canne de vieux chêne taillée simplement mais avec précision. Une canne digne du Seigneur de Cardola. Se levant, Laelie laissa sa broderie inachevée sur la chaise qu’elle avait occupée tout l’après-midi et alla accueillir son père, qui l’embrassa délicatement sur le front. Il se recula, posant les mains sur ses épaules pour l’admirer.

  • Plus les années passent, et plus je suis forcé de remarquer que tu deviens une jeune femme.

Elle rougit, embarrassée, mais ne put s’empêcher de sourire.

  • Merci. Mais on dirait que mère n’est pas de cet avis. Je crois que pour elle, je ne serai jamais assez grande pour mettre un pied devant l’autre.

Son père lui offrit un sourire triste. Ôtant les mains de ses épaules, il ajouta :

  • Les docteurs disent qu’elle va mieux, mais ils préfèrent la garder encore un peu pour s’assurer que tout va bien.

Laelie sentit le soulagement l’envahir. Sa mère était tombée malade il y avait de cela plusieurs semaines, probablement dû à l’arrivée de l’hiver. La région de Cardola étant l’une des plus froide du royaume, il avait été décidé que sa mère allait être déplacée vers la résidence secondaire qu’ils possédaient dans la capitale, où le climat était plus doux et les médecins mieux formés.

  • C’est pourquoi, continua-t-il, pour célébrer son retour, et pour lui prouver qu'en effet, tu peux mettre un pied devant l’autre hors de cet maison, je propose de t’emmener au Sanctuaire pour la Sana Tezialie.
  • Vraiment ?

Son père hocha la tête et elle se jeta à son cou.

  • Merci ! Merci ! Merci !

Laelie n’était pas une fanatique, et bien qu’elle ai été élevée dans la croyance de leur unique déesse, Sana Tezialie, aucun de ses parents n’avaient fait d'effort particulier pour la transformer en dévote. Ils respectaient les règles de la Torveï, les célébrations, les rituels, mais cela ressemblait plus à des habitudes mécaniques que des actions nées d’une dévotion complète envers leur déité. Sauf peut-être pour son père, qui montrait plus d'intérêt qu’elle et sa mère en tout cas. Mais cela n’avait pas d’importance, elle aurait écrit un discours entier chantant des louanges à la déesse si cela lui permettait de sortir.

  • Par contre, promet-moi d’être toujours dans mon champ de vision, c’est compris ?

Son perds retira délicatement les mains que Laelie avait posées sur lui avec une expression de reproche. Avec un regard d'excuses, elle aquiesça. Son père n'aimait pas les grosses manifestations d'émotion.

  • Compris.

Laelie pouvait déjà imaginer la foule, adultes et enfants, riches et pauvres, réunis dans les rues de tout le royaume durant la célébration. C’était l’une des seules occasions où les croyants étaient autorisés à se libérer de leur cadre de vie généralement plutôt austère. Il était plutôt mal vu d’afficher sa fortune de manière ostentatoire : la Torveï stipulait qu’aucun homme ne devait chercher à paraître plus, ou moins, que ce qu’il était réellement, et cela avait été traduit par une simplicité dans l’architecture et la façon de s'habiller. La Sana Tezialie était différente, on ne s’habillait pas pour nous même ou pour les autres, on s’habillait pour Elle.

Cela n’empêchait pas Laelie de se réjouir à l’idée de soigner son apparence. Elle n’en avait pas beaucoup l’occasion puisqu’elle passait la journée enfermée, et ne voyait quasiment que ses parents. Et, même si elle les adorait, il lui était difficile de prendre leurs compliments complètement à cœur. Elle était leur fille : Ils ne pouvaient pas être objectifs.

Filant dans sa chambre, elle se mit à vider son armoire à la recherche de la robe idéale.

Vider était un grand mot puisqu'elle n’avait pas tant de robes que ça. Elles étaient toutes simples, dans les tons blanc, gris, ou beige. Les couleurs trop criardes étaient aussi proscrites. Finalement, elle choisit une robe blanche aux manches longues qui lui montait jusqu’au cou et faisait ressortir sa taille fine. Une fine couche de dentelle blanche sur laquelle étaient brodés des motifs floraux ourlait la jupe. Laelie ouvrit ensuite le tiroir de sa coiffeuse pour en ressortir une boîte à l'intérieur de laquelle se trouvait une broche. Elle était ovale et d’un bleu profond. La jeune fille l’avait reçue à l’un de ses anniversaires mais n’avait jamais eu l’occasion de la porter. Jusqu’à maintenant.

Satisfaite, elle s’assit pour se brosser les cheveux devant le miroir, ses longues mèches noires glissant à travers la brosse et contrastant avec sa peau claire. Elle avait un visage enfantin, et des joues rondes qui avaient la fâcheuse tendance de rougir bien trop facilement, et que sa mère adorait pincer. Ses yeux étaient bleus. Bleus océan, disait sa mère. Laelie n'avait jamais vu la mer de sa vie, mais en avait lu maintes descriptions dans les romans qui lui permettaient d'échapper, ne serait-ce qu'un court instant, à l'enfermement.

Le dîner se passa dans le silence, mais l'atmosphère resta agréable. Quand elle et son père eurent terminé, un serviteur débarrassa la table. Leur famille ne se composant que de trois personnes, ils n'avaient pas ressentit la néncessiter d'engager plus de personnel. Ses parents n’avaient pas eu d’autres enfants, et en étaient apparemment incapables. C’était la raison pour laquelle ils tenaient tant à Laelie.

Le lendemain, la jeune fille se prépara avec excitation. Elle ne tenait plus en place, ses yeux semblaient glués à l’horloge qui, malgré toute sa volonté, n’avançait pas plus vite. Finalement, son père entra quand elle sonna deux heures de l’après-midi. Il observa sa tenue et sourit. Elle avait mis la robe qu’elle avait choisie la veille, ainsi que la broche, sous le col de sa robe. Ses cheveux étaient lâchés, mais elle avait pris deux mèches de chaque côté de son visage et les avaient attachées derrière sa tête avec un ruban bleu. Laelie s’empara d’une cape grise à capuche, et ils descendirent les escaliers pour monter dans le carrosse qui les amènerait à la Place d’Everon, où les festivités auraient lieu, et près du Sanctuaire. L'édifice était l’un des monuments religieux les plus importants d’Oriandale, et il y en avait deux autres dans le royaume : Un plus près de la capitale, et l’autre près des frontières maritimes qui les séparaient d’Ashralynn.

La simple mention de l’Empire la fit frissonner. Ils étaient chanceux d’être un royaume plutôt pauvre, se consola-t-elle, au moins ils ne risquaient pas de se faire envahir. Et ils étaient bien trop désorganisés pour être une quelconque menace.

Quand ils arrivèrent sur la Place, personne ne leur prêta attention et ils firent de leur mieux pour se frayer un chemin vers les grands escaliers en pierre blanche du Sanctuaire, en partie recouverte de neige. Malgré le froid, la bonne humeur était présente et des sourires illuminaient tous les visages. Laelie n’avait jamais vu autant de personnes réunies en un seul endroit. Cette simple vision la remplit d’un mélange de terreur et d’euphorie.

Elle voyait beaucoup d’habitants de la ville, mais également plusieurs voyageurs qui avaient fait le chemin pour la cérémonie. Même le roi allait venir ! Et même s’il n’était plus aussi puissant qu'auparavant, sa présence ajoutait de l’importance à l'évènement. Tous les cinq ans, le roi devait faire une sorte de pèlerinage et visiter chacun des Sanctuaires pour montrer son respect à la déesse. Toutefois, la dernière fois que le roi Reinhard avait fait ces visites avait été avant sa naissance.

D’autres seigneurs étaient également venus. Laelie ne les connaissait pas, mais leurs vêtements lui permettait de les reconnaître facilement. Près de certains d’entre eux, la jeune fille pouvait  apercevoir des gardes, ou plutôt des mercenaires. Pas plus d’un ou deux pour être discret, mais il aurait fallut être aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Les mercenaires étaient souvent utilisés par les seigneurs, car la probabilité de trahison était très faible. Ils étaient fidèles à leur guildes, qui elles-mêmes n’avaient qu’un seul dieu : le profit. On pourrait penser que cet obsession avec l'argent les aurait rendu peu fiables, mais pour un mercenaire, la seule chose plus importante que sa paye était sa réputation. Si personne ne leur faisait assez confiance pour les employer par peur de se faire trahir, ce serait une perte de clientèle, et donc d'argent au final. Son père était l’un des rares seigneurs à ne pas les utiliser. “Si ma seule solution pour gagner la loyauté de mes homme était de les acheter, j’aurais déjà questionné ma position en tant que Seigneur plutôt que le nombre de pièces à leur donner” est ce qu’il avait répondu quand elle lui avait demandé.

L’un des seigneurs s’approcha des marches pour saluer son père. Il était un peu plus petit, mais sa carrure était imposante et ses cheveux bruns aux reflets roux lui donnait un aspect plus jeune. Caressant sa barbe, il dit avec entrain :

  • Bonne journée, Andreas ? Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas vu. Déprimé de ne plus voir ta femme ? J’ai entendu dire qu’elle n’était pas en très grande forme.

La main de son père se crispa sur sa canne et il répondu sur un ton égal.

  • Merci de ton inquiétude, mais la situation n’est pas aussi grave qu’elle n’y paraît. Et puisque tu as posé la question, je passais une excellente journée.

Le passais, ironiquement, ne passa pas inaperçu et l’expression du seigneur devint plus dure. Son regard se posa sur le jeune fille, et il déclara avec un étrange sourire :

  • Pardon, je ne t’avais pas vue. Laelie, c’est bien ça ? Il faut dire que ton père ne parle pas souvent de toi.

La jeune fille eut envie de se faire toute petite. Instinctivement, elle baissa les yeux et répondit :

  • C'est qu'il n’y a pas grand chose à dire.
  • Je suis sûre que c’est faux. Quel âge as-tu ?
  • Dix-sept ans.
  • Dix-sept ans ! Si tu la gardes cachée jusqu’à cette âge, elle ne trouvera jamais un bon parti. Une si jolie petite chose, qui plus est bien élevée ! Quel gâchis.

Laelie rougit d’embarras et resta silencieuse. Pour se distraire, elle chercha quelque chose à fixer, n’importe quoi et son regard se posa sur une silhouette derrière le seigneur. Le jeune homme était un peu plus vieux qu’elle, probablement la vingtaine. Ses cheveux étaient blancs comme la neige fraîchement tombée et ses yeux gris orageux. En dessous de son manteau gris, elle pouvait distinguer des vêtements de combat ainsi que plusieurs couteaux attachés à sa ceinture. Il la regardait mais elle n’avait pas l’impression qu’il la voyait, son attention semblait sfixée sur quelque chose d’autre, mais elle n’arrivait pas à savoir quoi.

Le seigneur tourna la tête pour voir ce qu’elle regardait et il sourit. Il fit signe au jeune homme d’approcher, posant une main sur son épaule.

  • Je vous présente Arel, un nouveau mercenaire que j’ai engagé. Le meilleur de sa guilde, j’ai mis le prix.

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