Chapitre 11 : Kasmir
Après la première après-midi passée à lire dans la chambre du prince, ce dernier décida d’en faire une habitude. Tous les jours, ils se retrouvaient, ou plutôt elle allait le trouver dans sa chambre. Ils passaient plusieurs heures, parfois en silence, parfois en échangeant quelques phrases, dans la chambre spacieuse à regarder le soleil doucement se coucher, les rayons dorés s’affaiblissant jusqu’à ce qu’ils doivent allumer des bougies pour pouvoir continuer leur lecture. Enfin, en général ils ne lisaient pas si tard. A force de passer du temps avec lui, Kasmir avait réalisé une chose : le prince détestait l’ennui et semblait le fuir comme un condamné à mort fuirait son bourreau. Et tous les moyens étaient bons : lire, manger, parler, jouer.
Astar n’avait pas exagéré quand il avait déclaré aimer les jeux. Il les aimait presque autant que lui-même. Et aimait de manière proportionnellement inverse tout ce qui avait un lien avec les devoirs de sa charge. Car s’il avait juste voulu passer le temps, la jeune esclave ne doutait pas que l’Empereur, ou même que sa mère, la reine Ashaki, lui auraient trouvé des responsabilités dignes de son rang. Mais ses journées étaient… vides. Incroyablement vides pour le possible héritier d’un des plus grand empires du monde.
Elle ne comprenait pas ce qu’il trouvait de si passionnant chez elle. S’il voulait se divertir, elle était sûre qu’il avait d’autres options plus.. agréables. Responsabilités ou pas, il était un prince. Mais Astar préférait la scruter, comme si elle était une oeuvre d’art à disséquer, ou une équation à résoudre. Elle faisait semblant de ne pas trop le remarquer, ou au moins veillait à ne pas avoir l’air déconcertée par cette constante attention. Il n’avait rien tenté d’autre cependant, ne l’avait pas battue, insultée, ou demandé de faire quoi que ce soit d’indécent. Ses ordres étaient plutôt formulés commes des propositions et, même si Kasmir savait qu’elle n’avait pas vraiment le choix, elle se sentait soulagée de ne pas avoir à grincer des dents en recevant des ordres formels. Sa fierté était en partie épargnée. Même si cela semblait dérisoire, de vouloir protéger sa fierté dans un tel environnement, c’était un réconfort immense pour la jeune femme. Le soir, allongée dans sa chambre, elle se retenait de pleurer en pensant à ce pourquoi elle se battait.
Pour la vengeance. La justice. Pour ses parents qui étaient morts loin d’elle sans qu’elle ne puisse rien faire. Pour Erik qui s’était sacrifié pour la sauver. Pour Rudilia qui avait été assassinée sous ses yeux. Tous massacrés sauvagement parce qu’un homme, parce que l’Empereur en avait décidé ainsi. Encore aujourd’hui, elle ignorait la raison de l’attaque. Ils étaient innocents. Complètements innocents et ils avaient étés tués. Presque tous, sauf elle. Elle était une survivante. Elle était une lâche.
Les draps du lit lui brûlaient la peau. Elle avait envie de vomir. Une insulte. C'était une insulte envers eux de se faire traiter de manière si correcte alors que ses amis ne reverraient plus jamais la lueur du jour. Demain, le soleil brillerait à nouveau dans le Palais de l’ennemi. Pas de châtiment de l’astre brûlant, ni de la part des dieux. Kasmir était la seule à pouvoir créer un tant soit peu de justice dans ce monde. Sa vie paraissait un bien maigre prix à payer pour accomplir cela. Et elle avait bien l’intention que sa vie ait une autre valeur que des pièces d’argent.
Mais qui serait prêt à verser son sang pour venger sa mort à elle ?
La question flotta dans son esprit avant qu’elle ne s’endorme.
Elle n’avait pas de réponse.
***
Quand Kasmir se réveilla, elle trouva une note sur sa table de nuit.
Mets ça et rejoins-moi aux étables.
Près du morceau de papier, délicatement pliés, elle trouva un pantalon et une chemise, avec au pied de son lit une paire de bottes en cuir. Kasmir s’habilla, réfléchissant à la signification du message. Les vêtements ainsi que sa destination laissaient entendre qu’ils allaient sûrement sortir du Palais. Cette perspective réconforta la jeune femme pendant une fraction de seconde avant qu’elle ne réalise que le retour en serait d’autant plus douloureux. Elle prit une grande inspiration, et sortit de sa chambre en direction des étables.
Sur le chemin, elle croisa quelques courtisans : certains ne lui accordaient pas même un regard, tandis que d’autre paraissaient sur le point de lui offrir un sourire ou une salutation. Puis leurs yeux se posaient sur son poignet. Et tout ce qu’il y avait d’avenant sur leur visage s’évanouissait en un éclair, se muant en dédain. Tout ça à cause de ce bracelet. Ce bracelet en or que tous les esclaves avaient pour ordre de porter. Dessus était gravé le nom de leur maître. Comme s'ils n’étaient même pas dignes de porter leur propre nom. Le pire était de savoir qu’elle pouvait enlever ce bracelet quand elle le voulait. Mais là encore, elle supposait que c’était le but. La prison était mentale : les esclaves se levaient tous les matins et devaient faire le choix de porter ou non le bracelet, tout en étant conscients des douloureuses conséquences s'ils ne le faisaient pas. Pas un vrai choix donc, une sentence déguisée en choix.
Les esclaves qui travaillaient au Palais n’étaient pas n’importe quels esclaves. Ils étaient sélectionnés chez les meilleurs marchands. Ceux qui élevaient, dressaient leurs esclaves. C’était la raison pour laquelle aucun d’entre eux ne portait de chaînes. Ils étaient des animaux de compagnie. Un bon chien n’avait pas besoin d’avoir une laisse autour du cou pour suivre les ordres de son maître.
Arrivant enfin aux étables, qui se trouvaient à l’arrière du Palais, Kasmir repéra rapidement le prince. Il était en train de caresser une jument à la robe baie. Quand il la vit arriver, son expression s’illumina. Elle continua de s’approcher et quand elle fut assez proche, il s’exclama :
- Madame daigne enfin nous honorer de sa présence ?
La jeune femme retint sa grimace et répondit :
- J’ai suivi les instructions dès que je les aies reçues.
Il haussa les épaules.
- Prête pour une petite promenade ?
- Où allons-nous ?
- Pas bien loin, disons que j’ai envie de faire un peu d’exercice.
Il lui fit un clin d’oeil et se dirigea vers un autre cheval. Il était un peu plus petit que l’autre mais sa robe noire étincelante était magnifique. Astar prit les rênes et essaya de l’amener à Kasmir, mais le cheval hennit et campa sur ses positions. Étouffant un rire, le prince se tourna vers elle :
- J’ai toujours pensé que les montures devraient être assorties aux personnes qui les chevauchent.
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
Comme s’il ne l’avait pas entendue, Astar continua :
- Ma jument, Locaze, est belle et agréable, tout comme moi. Seltis, ici présente, te ressemble beaucoup (avec un sourire moqueur, il expliqua) Elle a un terrible caractère.
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