Chapitre 13 : Laelie
La première chose qui vint à l’esprit de Laelie quand elle ouvrit les yeux fut : je ne reconnais pas ce plafond. En effet, le plafond qu’elle regardait était constitué de lattes de bois grisonnantes, et la jeune fille pouvait sentir l’air froid et humide s’engouffrer à travers les interstices. Instinctivement, elle tira sur le drap qui la recouvrait, et ressentit un picotement sur sa main. Des petites coupures, semblables à des égratignures, recouvraient sa paume, comme si des morceaux de verre…
Tout lui revint d’un coup et elle referma les yeux.
Comme si, en y mettant assez d’effort, elle pouvait transformer tout ce qui s’était passé en un simple cauchemar. Bien sûr, quand elle rouvrit les paupières quelques secondes plus tard, absolument rien n’avait changé. Elle se redressa et essaya de se mettre debout. Elle portait la même robe que lors de la cérémonie, mais était pied nus.
La chambre dans laquelle elle se trouvait était modeste. Les murs et le sol étaient en bois, le lit duquel elle venait de se lever à peine assez grand pour une seule personne. Dans un coin, une petite table et une chaise constituaient les seuls autres meubles. Se dirigeant vers la porte, Laelie fit de son mieux pour ne pas faire grincer le plancher. Et échoua misérablement. La jeune fille entrouvrit la porte et vit Arel qui l’attendait, adossé contre le mur du couloir.
Il la remarqua tout de suite, et lui rendit son regard sans rien dire. Laelie ne dit rien non plus. Quelle était la marche à suivre dans ce genre de situation ? Elle ne savait pas si elle devait le remercier de l’avoir sortie du Sanctuaire, ou lui en vouloir de l'avoir enlevée. Est-ce qu'il l'avait enlevée ? Elle n’avait aucune idée de ce qui se serait passé si elle était restée là-bas. Rien de bon probablement, vu les regards qu’elle avait reçus. Et maintenant qu’elle s’était échappée, il n’y avait aucun doute sur sa culpabilité. La jeune fille frissonna. Elle ignorait tout de ce qu’elle avait fait. Peut-être que ce n’était pas de sa faute, peut-être que son mal de tête n’était pas lié à l’explosion des vitraux. Peut être que ce n’était qu’une horrible coïncidence et qu’elle allait se réveiller dans sa chambre…
Non, comme prévu, le plancher froid était encore sous ses pieds et Arel la fixait toujours silencieusement. La situation était risible : toute sa vie elle avait plus vécu dans le monde des rêves et de l’imagination plutôt que dans la réalité. Mais à cet instant précis, elle aurait donné n’importe quoi pour revenir à son quotidien monotone. Toujours à travers la porte entrouverte, Laelie demanda :
- Qu’est-ce que je fais maintenant ?
Les mots avaient été murmurés afin d'empêcher sa voix de trembler. Elle n'osait même plus le regarder, comme si ce qu'il allait répondre était une guillotine qui s'apprêtait à tomber. Toutefois, l’expression d’Arel demeura parfaitement neutre, presque dans une tentative pour la rassurer.
- Qu’est-ce que vous voulez faire ?
Sans qu’elle n’en comprenne la raison, cette question la remplit de terreur. Parce qu’elle n’en avait aucune idée. C’était comme si une grande muraille avait été érigée dans son esprit. Une muraille qui l'enfermait dans l'instant présent. Si elle réfléchissait trop à ce qui s'était passé ou à ce qui allait se passer, elle avait la certitude que son monde allait complètement s’écrouler. Et elle ne se sentait pas prête à l’affronter.
- C’est… Est-ce que c’est vraiment moi qui…
- Oui, c’est votre magie qui a fait exploser les vitraux.
Elle laissa échapper un hoquetement de surprise. Ouvrant grand la porte, elle le laissa entrer dans la chambre et s’affaissa sur le lit. Elle leva les yeux vers lui et murmura :
- ...Non...
- Si.
Elle se recroquevilla sur elle même, évitant de croiser son regard.
- Qu’est-ce que vous allez faire de moi ?
Il allait sûrement se débarrasser d’elle, c’était la meilleure chose à faire. Les rares personnes dotées de magie étaient pourchassées sans répit à Oriandale. La magie était considérée contre nature, un blasphème contre la déesse, qui était la seule à pouvoir influer sur la nature du monde. Les magiciens étaient des usurpateurs de pouvoir, des fraudes. Ils allaient contre l'ordre des choses et devaient être éliminés. Après tout, d’après les écrits de la Torveï, les seuls êtres dotés de pouvoirs étaient les Nymphes, ces horribles créatures qui avaient tenté de les détruire il y a des milliers d’années lors de la Grande Guerre.
Laelie ne savait pas si cette soit-disant guerre avait vraiment eu lieu, mais c’était la raison principale du mépris d’Oriandale envers le royaume de Tajolian. Et aussi la raison de son isolation. Même si aucun royaume n’accueillait les magiciens comme le faisait Tajolian, les autres pays du continent étaient relativement ouverts à la communauté. Toutefois, pour Laelie, qui avait été élevée à Oriandale toute sa vie, apprendre qu’elle avait de la magie se résumait à une condamnation à mort.
Elle était un monstre.
- Qu’est-ce que vous voulez faire ? répéta-t-il.
Elle écarquilla les yeux.
- Comment ?
Il soupira.
- Vous avez entendu, je ne vais pas me répéter.
- Ah.
Elle rougit, embarrassée d’avoir laissé transparaître sa surprise. Se raclant la gorge, elle reprit :
- Si j’ai le choix, je voudrais au moins voir mon père...
En effet, elle se rappelait de son inquiétude pendant la cérémonie, et elle voulait le rassurer. Ou plutôt c’était elle qui voulait être rassurée. Si son père ne la détestait pas, peut-être qu’il y avait encore de l’espoir pour elle. Peut-être qu’elle n’était pas un monstre. Et d’où venait cette magie ? Le peu de connaissances que Laelie avait dans ce domaine stipulait qu’il fallait obligatoirement des parents, qu’ils soient proches ou éloignés, dotés de magie. Mais personne dans sa famille n’avait de magie, elle en était certaine. Si son père l’avait su, il aurait probablement fait quelque chose avant que ses pouvoirs ne se déchaînent. Et sa mère ? C’était elle qui était toujours paranoïaque, qui ne voulait jamais la laisser sortir. Parce que « c’était trop dangereux ».
Soudainement, la phrase prit une autre signification. Pas dangereux pour elle, mais pour les autres. Si sa mère savait quelque chose, Laelie allait devoir l’interroger. Peut-être qu’elle était un monstre, une aberration de la nature, mais elle voulait au moins mourir en sachant qui elle était. C’était son seul désir désormais.
La vérité.
Arel sembla hésiter, puis il finit par hocher la tête.
- Nous allons voir votre père dans ce cas.
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