Chapitre 21 : Laelie
Lucien les accompagna vers l’écurie avant de les abandonner, déclarant qu’il avait un rendez-vous.Une fois seuls, Laelie avoua enfin ce qui l’avait tourmentée le long du chemin.
- Je ne sais pas monter.
Arel, qui avait déjà commencé à accrocher leurs affaires aux selles, ne prit même pas le temps de se retourner avant de répondre :
- Ce n’est pas grave, j’attacherai les deux chevaux avec une corde, tu n’auras qu'à t'asseoir et tenir les rênes.
Laelie acquiesça, rassurée.
Quand il finit d’ajuster les sangles, il se retourna enfin pour lui faire face. Il la fixa un moment de ses yeux gris avant de lui demander :
- Pourquoi as-tu pleuré ?
Sa voix était plus douce et sonnait presque inquiète.
- Je n’ai pas pleuré, se défendit-elle d’un ton sec.
Il ne dit rien et prit la bride du cheval pour l’amener à elle. Le jeune homme n’avait pas changé d’expression mais Laelie avait l’intime conviction qu’elle l’avait blessé. Elle sentit son cœur se serrer à nouveau. Elle ne voulait pas répéter la même erreur qu’avec Mallory, alors elle se força à dire :
- Ce n’est pas… convenable de pleurer devant les autres.
Elle récitait ce qu'on lui avait appris depuis toute petite. Elle essayait de se raccrocher à cette partie de son éducation, de son identité, comme un marin s’accrocherait au mât de son bateau en pleine tempête.
Arel acquiesça puis murmura :
- Tu n’as pas pleuré.
Il l’aida ensuite à monter, attachant les deux chevaux comme il l’avait expliqué. Une fois qu’ils furent tous les deux en selle, Arel les guida hors du village. Laelie n'essaya pas d’engager la conversation, trop occupée à rejouer dans son esprit ce qu’il s’était passé après qu’elle ait fondu en larmes à côté de Mallory.
Laelie sentit le siège bouger à côté d’elle et une main tenant un mouchoir se présenta devant elle. Oubliant son embarras, elle releva la tête pour voir Mallory, le visage tendu.
- Si j’ai fait quoi que ce soit… Veuillez m’excuser.
La jeune fille avait envie de rire. Elle était ridicule, cette situation était ridicule. Lisant l’inquiétude dans la voix de l’assistante, Laelie s’empara du mouchoir et se mit à s’essuyer les yeux. Elle ramena ensuite ses cheveux derrière ses oreilles, de sorte à découvrir son visage. C’était un instinct, réalisa-t-elle, de vouloir paraître nette à l'extérieur, comme si cela pouvait se retranscrire à l'intérieur.
- Non, tu n’as rien fait de mal, c’est moi...
C’est moi. Oui, c’était elle qui s’était imaginé tout un scénario sans rien savoir. Elle devait s’excuser tout de suite ou elle serait quelqu’un de terrible, et cela n’aurait rien à voir avec sa magie.
- Excuse-moi. Merci, pour le mouchoir.
Mallory eut un sourire soulagé.
- De rien. Si je peux me permettre...
Et elle lui expliqua qu’avant de devenir l’assistante de Lucien, elle avait beaucoup voyagé, et qu’elle pouvait parler une dizaine de langues, entre autre. Au départ, Laelie ne comprenait pas où elle voulait en venir, mais elle eut finalement sa réponse quand Mallory ajouta :
- Je pense, enfin je suppose que vous êtes très effrayée. C’est normal, après tout ici la magie est vue comme contre nature. Je suis sûre que quand vous avez découvert vos pouvoirs, vous avez eu l’impression que le monde s’écroulait. Mais ce n’est pas le cas. Peut être qu'Oriandale s’est retournée contre vous, mais n’oubliez pas que le monde est bien plus vaste que ce que vous vous imaginez. Vous avez déjà entendu parler de Tajolian je présume ? Un royaume où la capacité de manipuler la nature est considérée comme un don, une bénédiction. C’est aussi le royaume avec le taux de criminalité, de mortalité et de pauvreté le plus bas du continent. Avec Sophellia. J’y suis déjà allée brièvement. Ils sont… des gens, des humains, normaux. Alors je voulais juste dire… ne vous définissez pas avec les opinions de gens qui ne vous connaissent pas.
Laelie hocha la tête. Ce que Mallory disait n’était pas complètement dénué de sens. La jeune fille commençait à voir une petite lueur d’espoir. Elle n’était pas quelqu’un de terrible, elle n’était pas un monstre parce qu’elle avait de la magie. C’était quelque chose qu’elle pouvait accepter. Parce que c’était la vérité.
Laelie jeta un coup d’oeil à la ceinture d’Arel et remarqua qu’il avait plus de dagues qu’avant. Et elle fut frappée en réalisant qu’elle n’était pas effrayée. Il était plus grand, plus fort et plus expérimenté au combat. Pourtant elle n’avait pas peur. Parce qu’elle était persuadée qu’il n’utiliserait jamais cela à des fins malveillantes. Et elle pouvait faire pareil, si elle apprenait à maîtriser cette force qui lui avait fait briser les vitraux.
- Lucien est vraiment quelqu’un d’étrange, dit-elle sans trop réfléchir.
- Lucien est… sa propre créature, répondit Arel en fronçant les sourcils.
Après plusieurs secondes de silence, il demanda :
- Tu penses que c’est une mauvaise chose, qu’il soit “étrange” ?
Le jeune homme arrêta les chevaux pour la fixer droit dans les yeux et elle savait qu’ils ne parlaient plus vraiment de Lucien quand elle répondit :
- Non, je pense que c’est ce qui le rend unique.
- C’est aussi mon avis.
Il tourna aussitôt la tête mais elle put distinguer l’ombre d’un sourire sur le visage du mercenaire.
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