Chapitre 24 : Kasmir
Le jour de la partie de chasse arriva en un clin d’œil, et Kasmir était déjà en train de descendre les escaliers en précipitation pour ne pas arriver en retard. Lauréa était sur ses talons, et l’arrêtait toutes les quinze secondes pour retoucher les mèches de sa coiffure. La jeune femme aussi avait fait un effort sur son apparence. Rien d’aussi extravagant que ce que Kasmir portait, mais celle-ci remarqua plus de maquillage et de bijoux qu’à l’accoutumée.
- Tu as rendez-vous quelque part ?
Lauréa se figea.
- Pourquoi cette question ?
- Tu t’es habillée pour quelqu’un, non ?
- Non, je me sentais juste d’humeur en te voyant si jolie !
Kasmir portait une longue robe taille haute vert citron qui ne lui couvrait qu’une épaule. La jupe était recouverte de tulle d’un vert plus foncé aux motifs de feuilles et branches dorées. Ses boucles d’oreille étaient aussi en forme de feuilles d’or. Elle portait des bracelets d’or aux bras et avant-bras, camouflant presque son bracelet d’esclave. Une fois arrivées au rez-de-chaussée, elle se précipitèrent à l’entrée principale du Palais, où étaient déjà réunis plusieurs des invités. Certains étaient déjà en selle, accompagnés de leurs esclaves qui portaient des sièges ainsi que de paniers de fruits, sucreries et des boissons pour les femmes qui attendraient le retour de leur frère ou époux.
Kasmir repéra Astar en train de discuter avec un groupe nobles. Quand il l'aperçut, il se détacha des invités avec une dernière plaisanterie avant d’aller la trouver.
- Alors ? Prête pour chasser ?
- Au moins, vous avez la panoplie.
On aurait presque pu croire qu’il allait faire un effort. Hélas, les pièges avaient sûrement déjà rempli leur mission à l’heure qu’il était, et les beaux habits de cuir du prince resteraient un costume de mascarade.
- Je suis toujours préparé, plaisanta-t-il.
Il jeta un coup d’oeil à Lauréa, puis se tourna de nouveau vers Kasmir.
- Le reste des invités nous attends sur place. Tu viens ?
Le prince lui prit la main et l'emmena vers sa monture.
- Monte.
Kasmir s’arrêta.
- C’est Locaze.
- Excellente observation.
La jeune femme leva les yeux au ciel.
- Si je monte Locaze, qui allez-vous monter ?
- Locaze. Arrête de me regarder comme ça. Je vais marcher pour l’aller, ensuite, ça dépend si tu es sage. Maintenant, monte.
Voyant qu’il était inutile de discuter, Kasmir poussa un soupir résigné avant de monter sur la jument. Mais juste au moment où elle allait faire passer l’une de ses jambes de l’autre côté de la selle, Astar l’arrêta.
- Non, pas comme ça… les deux jambes du même côté… voilà… essaye d’avoir l’air fragile et délicate.
Elle lui lança un regard exaspéré. Tu es content maintenant ?
- Parfait, dit-il avec un sourire satisfait.
- Je ne vois toujours pas pourquoi je dois faire ça.
Astar prit un air choqué.
- Mais voyons, Kasmir. C’est pour peindre un tableau ! Créer une esthétique ! Moi, le beau prince, le vaillant chevalier, offre à une belle demoiselle de prendre ma monture, tandis que j’endure le chemin à pieds, avec bravoure et abnégation.
- Il y a vingt minutes de marche.
- Justement ! Tu te rends compte de la torture pour mes petits pieds royaux ?
Il était complètement ridicule. Kasmir ne comprenait pas comment il arrivait à obtenir le respect de qui que ce soit avec ce genre de comportement. Elle ne comprenait pas, mais c’était indéniable qu’il avait, si ce n’est le respect, au moins l’affection des nobles présents. La jeune femme l’avait déjà en parti remarqué en le voyant discuter avec les invités, mais Astar était plutôt populaire à la cour. Ses faux caprices, son humour espiègle, et son esprit vif en faisait probablement un partenaire de conversation facile, mais derrière tout cela, il y avait quelque chose de froid, et d’intelligent. Elle sentait une sorte de… barrière ? Ce qui n’était pas étonnant en soi. Il serait stupide de se dévoiler complètement dans un tel environnement. Cependant, ses défenses étaient très différentes de celles de Kasmir. La jeune femme avait ses propres barrières, mais contrairement au prince, elle ne cherchait pas à les cacher. Elle avait érigé une vrai forteresse autour d’elle, autour de son coeur, et de son passé. Toutes les portes étaient fermées à double tour, et les visiteurs interdits.
Astar était différent dans le sens où son château semblait grand ouvert. Pas de fortifications, pas de gardes. Son jardin et son hall étaient libres d’entrée et grouillant d’attractions. La plupart des visiteurs étaient amplement divertis par ce qu’ils voyaient, et ne cherchaient pas à explorer le reste du château. Et pour les quelques curieux qui demanderaient à voir le reste, hé bien, Kasmir n’avait aucune certitude, mais elle avait l’impression qu’ils se feraient promptement distraire par une nouvelle attraction. Et plus tard, une fois la visite terminée, on entendrait des gens dire “Ah, quel splendide château !” sans jamais se rendre compte qu’ils n’avaient vu que le jardin.
Mais même Kasmir ne savait pas ce qu’il y avait au-delà du jardin, et elle n’était pas sûr de vouloir savoir. Cependant, il lui semblait nécessaire d’en savoir un minimum si elle voulait mener sa mission à bien.
- Alors vous n’êtes vraiment pas doué pour la chasse ? Je dois dire que c’est inhabituel pour un prince.
Elle vit un petit sourire en coin se dessiner sur le visage du prince, et la jeune femme savait qu’il se retenait de faire une scène “Comment ça ? Tu t’intéresses tellement à moi ? Je suis flatté ! Je suppose que je peux daigner te répondre”. Malheureusement pour elle, il répondit quelque chose de similaire :
- Ah ? Et tu sais ce qui est habituel pour un prince ? Tu dois en fréquenter beaucoup en dehors de moi pour faire la comparaison.
Soudainement, il mit sa main sur sa poitrine, comme s’il était pris d’une immense douleur au coeur, levant des yeux humides vers elle, il dit d’une voix brisée :
- Ne me dit pas que… tu me trompes ?
Kasmir le fixa pendant plusieurs secondes sans répondre, complètement impassible. Elle n’allait pas le faire, elle s’interdisait de... Et zut alors ! Elle sentit les coins de ses lèvres s’étirer malgré elle, et détourna aussitôt la tête et mettant une main devant sa bouche pour ne pas se faire attrapper. La jeune femme fit semblant de tousser, puis reporta son attention sur lui une fois qu’elle eut maîtrisé de nouveau son expression.
- Je ne vois pas avec qui je pourrais vous tromper. Tout d’abord nous n’avons pas ce genre de relation. De plus, votre frère ne se trouve même pas sur ce continent.
Elle s'exprima d’une voix neutre et maîtrisée, mais elle pouvait voir du coin de l’oeil la mine on ne peut plus satisfaite du prince. Il croisa son regard, et Kasmir se mit à fixer droit devant elle, comme si de rien n'était. Sentant ses joues chauffer d’embarras, elle ne lui accorda plus le moindre regard jusqu'à la fin du chemin. Astar se contenta de siffloter joyeusement, ce que ne fit que la frustrer davantage.
Une fois arrivés, il la fit descendre et alla rejoindre les nobles qui se trouvaient déjà sur place.
- Tu peux attendre là si tu veux, murmura-t-il avant de partir.
Ils s’étaient arrêtés dans une petite clairière au milieu du jardin-forêt. Des draps et des coussins ainsi que quelques tentes oranges et jaunes étaient disposés un peu partout, donnant à la petite réception l’air d’un pic-nic entre amis. Plusieurs éléments cassaient le tableau toutefois, comme les esclaves aussi bien décorées qu’elle qui se tenaient comme des statues près de leurs maîtres, ou qui défilaient avec des plateaux de mets entre les invités. Kasmir se mit près d’une tente, et se mit à observer les invités discrètement. Comme on pouvait s’y attendre, ils étaient tous bien habillés, conversant en petits îlots sur les coussins. Kasmir essayait de retenir leur visage, de retenir leurs noms, mais elle était trop loin pour entendre quoi que ce soit. Elle hésitait à s’approcher, quand une voix masculine derrière elle la fit sursauter.
- Quelque chose d’intéressant ?
Kasmir se retourna. Un jeune homme d’une vingtaine d’années se trouvait devant elle. Un peu plus grand qu’Astar, il avait les yeux bleu azur, et les cheveux blonds dorés avec une raie de côté, dont une mèche lui tombait sur l’oeil. En poursuivant son observation, la jeune femme remarqua que ses habits de chasse étaient qualité qui rivaliserait avec celle de ceux d’Astar. Il la laissa reprendre ses esprits quelques secondes, et prit une gorgée du thé qu’il avait à la main, avant de demander :
- Vous n’allez pas vous joindre aux autres ?
La jeune femme lui jeta un regard confus. N’avait-il pas remarqué qu’elle était une esclave ? Elle leva son bras avec son bracelets en guise de réponse. Il hocha la tête, l'ayant pas l'air surpris. Mais son regard n’avait pas viré ni au dégoût, ni à la supériorité. Étrange. Les nobles ne discutaient pas avec des esclaves, pas en public du moins. Sauf si ces esclaves étaient des maîtresses ou des concubines.
- Tu ne vas pas me répondre de vive voix ? J’aimerais au moins savoir comment tu t’appelles.
Elle ne savait pas qui il pouvait bien être, mais au vu de son attitude et de son apparence, il était évident qu’il était un noble de haut rang . Kasmir ne voulait pas risquer de l’offenser, alors elle le regarda droit dans le yeux.
- Je m’appelle Kasmir.
Il l’examina un instant avant de sourire.
- Ah, je vois pourquoi il t’a achetée.
Voyant Kasmir qui le dévisageait, il s’empressa d’ajouter :
- Je suis Mikhail, disons que je suis un ami d’Astar. C’est moi qu’il a défié à une partie de chasse, je n’aurais pas dû le faire en public, si j’avais su que son père le forcerai à organiser ça, j’aurais tenu ma langue. Enfin, je vois qu’il ne s’est pas trop mal débrouillé.
Il la jaugea de nouveau, probablement voir si elle était déjà au courant. Voyant que son expression resta inchangée, il sourit de nouveau puis s’approcha encore un peu d’elle pour chuchoter :
- Combien de pièges ?
Kasmir se figea légèrement mais ne laissa rien transparaître.
- Comment ? De quoi parlez-vous ?
- Je le connais par coeur, pas besoin de faire semblant.
- Si c’est le cas, pourquoi est-ce que vous me posez la question ? Si vous êtes son ami, je suis sûr qu’il voudra bien vous dire s’il a installé des pièges ou non.
- Effectivement. Oh, Astar arrive vers nous. Je vais filer.
- Attendez !
Mikhail, qui avait déjà commencé à partir, se retourna.
- Qu’y a-t-il ?
La jeune femme ouvrit la bouche, puis la referma. Est-ce qu’elle pouvait poser ce genre de question ? Mais elle l’avait déjà appelé, alors autant se jeter à l’eau.
- Vous avez dit que vous saviez pourquoi le prince m’avait achetée alors… pourquoi ?
Le jeune noble inclina la tête, apparemment amusé par sa question.
- Je n’en sais rien.
- Mais…
- Oui, je sais ce que j’ai dit. Je ne suis pas dans sa tête.
Il pointa ses propres yeux.
- Le savais-tu ? Le violet est sa couleur préférée.
Puis, avec un sourire mystérieux, il partit. Kasmir resta bouche bée, ne sachant pas comment réagir face à cette révélation.
Enfin, révélation était peut-être un peu exagéré comme mot, mais elle devait admettre qu’elle ne s’était pas attendu à cette raison. Toutefois, maintenant qu’elle y réfléchissait, la chambre du prince était en effet colorée dans les tons violets. C’était juste étonnant, elle ne pensait pas que le prince était le genre de personne à acheter une esclave pour ce type de détail… Ou peut-être que si, finalement. Vu le caractère plutôt gâté du prince, cela ne devrait pas la surprendre.
- Qu’est-ce qu’il t’a demandé ?
Pendant qu’elle était perdue dans ses pensées, Astar l’avait rejoint. Croisant les bras, Kasmir répondit avec nonchalance.
- Rien. Il m’a juste demandé combien de pièges vous aviez installé.
- Et tu lui as dit ?
- Si vous êtes amis, il devrait vous le demander directement.
Le prince grimaça.
- Il a dit qu’on était amis ?
- Ce n’est pas le cas ?
- Je veux dire… Je suppose qu’il a raison.
- Vous détestez tant que ça l’idée ? taquina Kasmir.
Astar secoua la tête.
- Non, ce n’est pas ça.
Il ne poursuivit pas. Kasmir se demanda si c’était le bon moment pour lui demander si ce qu’avait dit Mikhaïl était vrai. L’avait-il vraiment achetée à cause de ses yeux violets ? Non, elle préférait ne rien dire. Si c’était faux, elle n’en entendrait jamais la fin.
- Sinon, je vois qu’après m’avoir cruellement brisé le coeur, tu essayes de mettre le grappin sur quelqu’un d’autre.
La jeune femme sentit qu’il essayait de changer de sujet, mais le laissa faire.
- De quoi est-ce que vous parlez ?
Il montra de la tête Mikhail.
- Mikhail est le fils du Trésorier Impérial.
- Ennor Vareze ?
- C’est ça. Et il va probablement hériter du poste de son père. C’est un bon parti, tu as de la compétition ! Plaisanta-t-il.
Kasmir fit de son mieux pour ne pas lever les yeux au ciel.
- De la compétition avec qui ? Vous ?
Une idée lui traversa soudain l’esprit. Imitant le prince quelques instants plus tôt, elle mis sa main devant sa bouche et prit un air faussement choqué.
- Par les dieux ! C’est pour ça que l’idée d’être ami avec lui vous gêne tant ! Vous ne voulez tout simplement pas révéler au monde votre liaison enflammée. Je compatis. Sincèrement.
Le prince l’observait avec une expression indéchiffrable, et Kasmir sentit tout son corps de refroidir. Est-ce qu’elle était allé trop loin ? Les relations entre personnes du même sexe n’était pas très bien vues. Et c’était la première fois qu’elle attaquait la première, généralement elle se contentait de répondre à ses piques de manière passive-agressive.
Cependant, il éclata de rire.
- C’est vrai qu’il est plutôt beau garçon, mais pas mon genre, désolé.
Kasmir s’autorisa enfin à respirer.
- Vous n’êtes pas offensé ?
- Non. C’était plutôt bien trouvé, la félicita-t-il.
Voyant qu’il n’y avait plus de danger, la jeune femme repris confiance.
- Dans ce cas je peux continuer ? minauda-t-elle.
- Pas en public voyons, répondit-il avec un clin d’oeil.
Ils échangèrent des regards complices, et Kasmir eut l’impression qu’il allait ajouter quelque chose, mais il se fit appeler par un autre noble avant de pouvoir dire quoi que ce soit. Les animaux de chasse étaient arrivés. La jeune femme aperçu Mikhail avec un magnifique aigle perché sur un gros gant en cuir, et d’autres participants accompagnés de chiens. L’un d’eux sautillait joyeusement au pieds d’Astar, remuant sa queue touffue d’un air excité. Le prince se pencha pour caresser affectueusement le chien. Il fit signe à Kasmir de s’approcher.
- Dis bonjour à Kalis.
L’animal avait un pelage noir, avec des taches beiges sur le ventre et le bout des pattes. Kasmir s’abaissa et sourit.
- Bonjour, Kalis.
Le chien émit un petit aboiement en guise de réponse, et la jeune femme se releva.
- La chasse ne va pas tarder à commencer, dit le prince.
Il alla chercher Locaze, qui broutait tranquillement non loin de là, et fit signe à Kasmir de monter. La jeune femme eut un mauvais pressentiment.
- Pourquoi ?
- Parce que tu es mon porte bonheur, ce serait dommage de te laisser bronzer pendant que je suis le seul à faire de l’exercice. Je sais bien que tu portes la bonne couleur, mais ce n’est pas une raison pour faire la plante verte toute l’après-midi !
- Si je dis non ?
- Ton refus est pris en compte, mais cordialement refusé.
- Ha ha. Très drôle.
- Je sais, je suis très drôle, on me le dit souvent.
- Pff, soupira Kasmir, levant les yeux au ciel.
Elle monta sans rechigner davantage, et le prince se mit derrière elle.
- Est-ce que c’est autorisé, au moins ?
- Il n’est écrit nul part que c’est interdit, et je ne vois pas en quoi avoir une esclave à mes côtés pourrait drastiquement améliorer mes capacités en chasse.
Un petit sourire flotta sur son visage, et Kasmir se décomposa.
- Ne me dites pas que vous voulez que je…
- Shhh tu n’es pas jolie quand tu fronces les sourcils.
- C’est une terrible idée !
- Mais comment peut-elle être terrible, puisque c’est mon idée ?
Il éclata de rire, ce qui inquiéta Kasmir encore davantage.
Le clairon retentit, et la jeune femme réalisa que tous les participants étaient à présent à dos de cheval, près à partir.
- Bonne chance, et que le meilleur gagne ! s’exclama le prince avant de tirer subitement sur la bride.
Kasmir sursauta et s’agrippa à la taille d’Astar, et ils partirent au galop dans la forêt.
- Vous vous souvenez de l’emplacement des pièges ?
- Ah, ne t’en fais pas, on peut les oublier. Ils ne sont pas là pour nous.
- Comment ça ?
- Non rien… J’espère juste que Mikhaïl va apprécier sa chasse au trésor !
Elle grinça des dents.
- Est-ce que vous pourriez être précis une fois dans votre vie, s’il vous plaît ?
- Haha, si tu veux tout savoir, j’avais effectivement l’intention d’utiliser les pièges pour moi, mais après avoir vu tes talents, je me suis dit qu’ils pourraient avoir une autre utilité finalement.
Il jeta un coup d’oeil au chien pour s'assurer qu’il était toujours devant eux à guetter la trace d’une proie. Rassuré, il enleva son arc pour le donner à Kasmir.
- Tu sais ce qu’il te reste à faire, je suppose ?
- Oui, soupira-t-elle en testant la corde.
- Ne me déçois pas !
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