Chapitre 16 : Jenna
Il faisait très froid depuis quelques jours. Le vent du nord s'était levé et certains parlaient même de chutes de neige. En quittant l'école, je remontai haut le col de mon manteau et enfonçai mon bonnet sur ma tête, protégeant mes oreilles le mieux possible. En face, sur le trottoir, Lynn m'attendait, comme l'avait fait remarquer Nora avec humour. Il était venu en moto, et je me demandai bien quelles conditions météorologiques il faudrait pour qu'il renonce à l'utiliser. Dès que je fus proche de lui, il tendit la main vers moi et m'attrapa, me colla à lui et sans dire un mot, il m'embrassa profondément. Il se fichait totalement qu'on soit en pleine rue et que toute l'école sorte à ce moment-là, y compris quelques professeurs. Je répondis à son baiser, perdant soudain conscience qu'il faisait froid : une onde de chaleur venait de descendre dans tout mon corps.
- Ca va, baby ? me demanda-t-il en plongeant son regard sombre et brûlant dans mes pupilles.
- Oui, répondis-je un peu haletante après ce baiser. Et toi ?
- Ca va. On s'arrache ?
Il me lâcha en disant ces deux mots et se tourna vers la moto pour ouvrir le coffre et en sortir mes affaires. Même si je rebutai un instant à abandonner mon chaud manteau pour le troquer contre le blouson, je ne lui en dis rien. Nous étions vendredi soir et nous allions pouvoir passer la soirée ensemble. Le groupe ne jouait pas ce week-end, j'avais quand même un peu de travail personnel à faire, même si je m'avançais beaucoup en semaine. J'aimais profiter de moments de détente le samedi ou le dimanche et, surtout, être libre pour passer du temps avec Lynn ou pour assister à un concert. C'était un peu une période creuse pour eux, juste après les fêtes, mais les garçons espéraient bien retrouver quelques dates à partir du mois prochain.
Nous partîmes vers le centre-ville, Lynn s'arrêta près d'un pub où il m'avait déjà emmenée à quelques occasions. Le vendredi soir, c'était animé. A peine avions-nous franchi les portes que j'entendis quelques notes de musique traditionnelle. Il n'y avait pas encore trop de monde, il était assez tôt, et nous trouvâmes une table sans problème. Lynn alla passer notre première commande, puis revint s'asseoir près de moi, deux pintes à la main. Il m'entoura aussitôt de son bras, par-dessus mes épaules, et m'attira contre lui.
Et il m'embrassa à nouveau, longuement.
**
- Ca a été, ta journée ? demandai-je alors que la serveuse glissait devant nous une assiette avec de petits sandwichs.
- Mouais, répondit Lynn. Moyen.
- Ah ? fis-je un peu intriguée.
Je le sentais un peu tendu.
- Oui, reprit-il. On a arrêté la répétition en plein milieu. J'arrive à rien, depuis quelques jours. Déjà, hier, c'était pas terrible, mais aujourd'hui, j'étais franchement à chier. Ruggy a fait la seule chose qui était intelligente : il s'est barré avant la fin. Je les plantais à chaque essai, quelle que soit la chanson qu'on tentait de jouer.
- J'imagine... qu'il y a des jours comme ça. Rien ne veut sortir, dis-je compatissante.
- Ouaip. Ca arrive à tout le monde. Des fois, c'est Snoog qu'a pas de voix.
Je ris légèrement.
- Et du coup, il n'a pas de succès.
- Heureusement, c'est encore jamais arrivé sur scène, répondit Lynn en me regardant, amusé, un peu de côté. Sur scène, on se sort les tripes.
- C'est peut-être parce que ça fait un moment que vous n'avez pas fait de concert ? fis-je, tentant de trouver une explication à son manque de réussite passager.
- C'est possible...
Il laissa sa phrase en suspens, but une longue gorgée de bière, avant de dire :
- ... Mais j'pense qu'y a autre chose.
Et son regard se voila, perdu à regarder les petites bulles remonter le long de son verre. Je sentis mon cœur se serrer, il m'apparaissait d'un coup si fragile ! J'abandonnai alors mon dernier petit sandwich dans l'assiette et glissai ma main dans la sienne. Je ne savais pas quoi dire, mais je voulais qu'il ressente ma présence, mon soutien, même si je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais faire pour lui, à cet instant. Il demeura pensif un moment, avant que son visage s'éclaire d'un léger sourire.
- Bah, c'est pas grave. Ca ira mieux la semaine prochaine. Et toi ? Ta fin de semaine ?
- Normale, répondis-je. On reprend le rythme, après les vacances. Mais ça me passionne toujours autant. C'est vraiment ce que j'ai envie de faire comme métier.
- C'est bien d'avoir un objectif solide, me dit-il.
- Tu en as un aussi, fis-je en souriant, d'un ton encourageant. Rock star, c'est un bon objectif, non ?
Il se tourna seulement vers moi à cet instant, souriant parce que j'avais repris ses propres mots.
- Ouais. Sea, sex and rock'n roll.
Son regard, de lointain, était redevenu brûlant et je sentis la vague de chaleur renaître dans mon ventre : j'avais envie de lui. Les vacances, à Londres, ces dix jours passés loin de lui, m'avaient aussi fait prendre conscience de ce qu'il représentait déjà pour moi. J'avais pesé le pour, le contre. J'étais déjà tombée amoureuse, plus jeune, je reconnaissais les symptômes : le cœur battant, le manque de l'autre, les pensées toujours tournées vers lui. Mais je ressentais aussi quelque chose d'autre, avec Lynn, pour Lynn. Et il était peut-être temps que je saute le pas.
Et une chose était sûre, désormais. Je voulais que ce soit avec lui. Je voulais connaître cela avec lui et pas me contenter de quelques sorties et soirées que nous pouvions partager. Il était un homme, je n'étais plus une gamine. Et quitte à choisir vraiment le moment où je voulais devenir femme, je voulais que ce soit avec lui.
Lentement, tout en lui rendant son regard, je fis glisser mes doigts sur son bras, le long du corps du dragon, avant de remonter sous sa manche de t-shirt, pour dessiner chacune des flammes de la pointe de mes ongles.
- Rock and roll, ça n'a pas l'air d'être trop ça... fis-je. Sea, c'est un peu loin et il fait froid. Il reste la troisième voie.
Il porta la main à ma joue, attira mon visage plus près du sien. C'était certain : son regard était plus brûlant que les flammes du dragon. Et le brasier en moi était du même niveau. Ses lèvres se posèrent doucement sur les miennes, il m'embrassa très tendrement, alors que je mourais d'envie d'un baiser plus profond, plus charnel. Il allait me rendre folle.
- Vraiment, baby ? me souffla-t-il alors que nos lèvres s'étaient à peine décollées les unes des autres.
Je répondis d'un simple battement de cils, incapable de prononcer le moindre mot.
- Finis ta bière, baby. On décolle.
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