Chapitre 23 : Jenna
- Bonjour, Jenna.
- Oh, bonjour, Steve. Tu vas bien ?
- Oui, et toi ?
C'était un de mes voisins de palier. Un garçon discret et plutôt gentil. On avait eu l'occasion de se rendre quelques menus services depuis la rentrée. Ses horaires étaient un peu différents des miens et on se croisait rarement.
- Oui, ça va. Mais... Heu... Toi, ça va vraiment ? insista-t-il.
Je le regardai un peu étonnée.
- Oui, oui, je t'assure. Pourquoi me poses-tu la question ?
- Et bien, en fait... Le gars qui était avec toi, l'autre jour, là... Comment dire...
Je souris. Je voyais bien qu'il hésitait à choisir ses mots. Ne voulant pas le laisser dans l'embarras, je le coupai et dis :
- C'est Lynn, mon petit ami.
- Ah ?
Il ouvrit des yeux ronds, me regarda de la tête aux pieds, comme pour s'assurer que c'était bien moi, Jenna, qui lui annonçait la nouvelle.
- Oui, insistai-je. Il viendra de temps en temps dormir ici. Tu auras peut-être l'occasion de le recroiser dans l'escalier.
- Et heu... Enfin, il... Il est sérieux ?
- Très. Et très gentil. Faut pas en avoir peur, Steve ! souris-je d'un air compatissant : j'avais bien compris que la mention du "dormir ici" le choquait.
- D'accord, Jenna. Je... Je m'inquiétais un peu, fit-il en s'efforçant de sourire.
- C'est gentil, mais il n'y a aucune inquiétude à avoir. Lynn est différent, mais il est sérieux. Vraiment.
- Je te crois, me dit-il avant d'ajouter : Bon, je te laisse. Je dois filer...
- Bonne fin de journée, dis-je avant de glisser la clé dans la serrure de la porte.
Puis j'entrai dans l'appartement. Je déposai mon cartable et mes affaires de cours sur la table du salon, avant de passer dans la cuisine pour me préparer un petit repas pour le soir. La conversation avec Steve m'amusait encore : c'était un jeune homme dont les parents avaient une très bonne situation, père avocat et maman médecin. C'était certain que me voir avec Lynn ne pouvait, au mieux, que le surprendre, mais plus vraisemblablement et même s'il était parvenu à le cacher, le choquer.
Cette pensée qui m'avait un instant amusée, me fit pourtant vite froncer les sourcils : si Steve réagissait ainsi, alors qu'il n'était qu'un simple voisin de palier, qu'en serait-il de mes parents ? Du reste de ma famille ? Je doutais vraiment qu'ils accepteraient Lynn sans broncher, sans faire de réflexion. Je m'engageais dans une voie difficile, hasardeuse. Mais j'étais amoureuse... Et Lynn aussi, même s'il ne me l'avait pas avoué. Ou plutôt, devrais-je dire, s'il ne me l'avait pas encore avoué... Car qu'était Redemption si ce n'était une déclaration à mots couverts ?
Je fermai les yeux un instant et un frisson courut le long de tout mon corps. Je ne pouvais, je ne pourrais jamais oublier mon émotion quand j'avais entendu la chanson la première fois, sur la scène de Liverpool, ni la force de son regard quand il m'avait dit qu'il l'avait écrite pour moi, que c'était moi, sa rédemption. Comme s'il avait besoin d'être sauvé de quelque chose et que c'était moi qui en avais cette force, ce pouvoir. Quand j'y pensais, cela me faisait comme vaciller et j'avais l'impression d'être au-dessus d'un précipice. Mais cela me donnait aussi une force incroyable, celle de l'amour.
Oui, je l'aimais... Je l'aimais même très fort. Même s'il était très différent de moi, s'il venait d'un monde différent. Même si j'ignorais encore beaucoup de choses de son passé, qu'il ne m'avait jamais parlé de son enfance - et je devinais qu'il ne le ferait pas facilement. Mais il y avait entre nous, déjà, un lien très puissant. Certes, quand on était ensemble, il y avait comme un courant qui se réveillait, un truc électrique qui se déclenchait. Parfois, j'avais l'impression que le dragon tatoué sur son bras était en moi, grondant pour le rejoindre, pour me lier à lui.
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