Chapitre 29 : Jenna et Lynn
Je marchais tranquillement dans les rues, rejoignant l'appartement de Lynn après une journée de cours bien remplie. Le printemps était en train de laisser la place à l'été et l'air était doux. Dans le ciel d'un beau bleu profond s'étiraient quelques nuages. Je puisai un peu de réconfort dans cette atmosphère agréable et songeai que, si j'avais encore habité dans mon premier appartement, je me serais très certainement offert un petit détour par le parc, histoire de prolonger ce moment de détente.
Les rues se succédaient les unes aux autres, puis j'arrivai dans notre quartier. Depuis que je vivais chez Lynn et que mes parents m'avaient coupé les vivres, je tenais des comptes drastiques de mes dépenses et je ne prenais plus guère la voiture, ni même les transports en commun car économiser deux tickets de bus par jour nous permettait en échange d'acheter une boîte de conserve ou un paquet de pâtes. Et ce serait le menu du soir...
Je remontai la longue rue dans laquelle je résidais désormais, croisant quelques groupes d'enfants livrés à eux-mêmes, jouant sur les trottoirs, quelques adolescents désoeuvrés. A cette heure, la rue était encore calme et ne connaissait pas trop de débordements, même si, par les fenêtres ouvertes des immeubles, je pouvais entendre tout un concert de bruits variés, qui n'avaient rien à voir avec ce que les Dark Angels produisaient sur scène, même si certaines de leurs chansons en étaient inspirées : bruits de vaisselle, cris d'une mère sur un enfant, cri d'un mari sur une femme, téléviseur diffusant un talk-show ou une émission de musique sans attrait.
J'arrivai rapidement devant l'immeuble et m'enfilai les escaliers avant d'ouvrir la porte de l'appartement. Il était désert : Lynn était au local avec les trois autres. Chaque samedi ou presque désormais, ils donnaient des concerts et ils répétaient tous les après-midis, préparant aussi la mini-tournée des festivals de l'été pour lesquels ils avaient pu signer quelques contrats. Dès le début juillet, nous prendrions la route pour l'Ecosse. Je n'avais jamais été là-bas et j'étais très curieuse de m'y rendre, mais aussi d'assister à ces festivals. J'espérais que le groupe se ferait remarquer et obtiendrait de nouvelles dates de concerts et sur des scènes un peu plus importantes que les pubs ou les salles associatives des alentours.
Je posai mon cartable sur la chaise du bureau, puis me rendis dans la cuisine. J'ouvris les placards pour constater qu'ils étaient quasiment vides. Le réfrigérateur n'était guère mieux achalandé et je me demandais bien ce que nous allions manger ce soir. Je soupçonnais Lynn de ne pas prendre de repas à midi, ou juste une bricole. De mon côté, le seul repas correct que je faisais était justement celui du midi, à la cantine de l'école. Il m'était arrivé de sortir en douce avec un fruit dans la poche, que je ramenais à la maison et dont je faisais mon repas du soir, quand Lynn rentrait un peu tard d'une répétition. Et de lui mentir innocemment en lui disant que oui, j'avais mangé et qu'il pouvait s'ouvrir une boîte pour lui seul. Mais je n'étais pas certaine de réussir à le tromper, surtout quand mon ventre se mettait à gargouiller en pleine nuit. Connaissant notre situation assez critique sur le plan financier, Ally me filait des barres énergétiques le matin pour tenir le coup, faisant office de petit déjeuner. J'envisageais de plus en plus de faire comme elle et de travailler en plus des études, mais Lynn m'avait dit qu'on verrait à la rentrée, en fonction de ce que le groupe allait gagner au cours de l'été et des perspectives qui s'ouvriraient ou non à eux.
Ce dont nous ne manquions pas, c'était du thé : Lynn récupérait des boîtes abîmées lors du transport, de même que, parfois, il revenait avec des conserves qui ne pouvaient être mises en rayon. Mais ce dont nous manquions le plus, à mon goût, c'étaient les fruits et les légumes, la viande. Le moindre morceau de poulet était hors de prix pour notre budget, aussi faisions-nous "vache maigre".
Je me préparai donc un thé, allumai mon ordinateur et commençai à travailler. Je recopiai d'abord les cours récupérés dans la journée, puis fis plusieurs exercices. Ensuite, je m'astreignis à une longue leçon de mémorisation de molécules et des pathologies liées.
J'étais plongée dans mon travail et fus surprise en entendant la porte s'ouvrir dans mon dos. Je jetai un oeil à l'horloge de mon écran et constatai qu'il était déjà assez tard, près de 20h. Lynn m'enlaça aussitôt et me souffla dans le cou :
- Ca va, baby ? Ta journée s'est bien passée ?
**
Assis aux commandes de sa moto, Lynn était pensif. En cette belle soirée de juin, malgré un soleil resplendissant et une bonne répétition, il se sentait assez mal. Aujourd'hui, c'était l'anniversaire de Jenna et il n'avait rien à lui offrir. Depuis qu'elle s'était installée chez lui, le moindre penny comptait et ils ne pouvaient se permettre aucun écart. Déjà qu'avant, il était souvent sur la corde raide... Il avait rogné sur tout, mais il était certaines choses sur lesquelles il ne pouvait guère faire d'économies, comme le loyer ou la moto. C'était son seul moyen de déplacement, et au petit matin, quand il allait travailler, il ne pouvait faire autrement. Jenna, elle, avait réduit les trajets en voiture au strict nécessaire et se rendait même à pied à l'école d'infirmière. Souvent, le soir, il passait la chercher pour lui éviter un long retour et lui permettre de travailler ses cours. Il admirait son côté combatif, comment elle s'accrochait pour réussir son année. Il se disait souvent qu'à sa place, il n'aurait pu tenir, sans mesurer pour autant que pour le groupe, il était capable de fournir autant d'efforts et de travail.
Il venait de se garer devant chez lui et coupa les gaz. Il retira son casque, puis fit le tour de la moto, ouvrit le coffre à l'arrière. Il en sortit un sac. C'était tout ce qu'il avait à lui offrir, et encore il pouvait dire merci à Stair qui lui avait filé un peu d'argent pour compléter ses achats. Il monta jusqu'à l'appartement d'un pas lourd, puis poussa la porte d'entrée.
Jenna était assise à son bureau, le front légèrement plissé par la concentration. Elle devait être en pleine révision, c'était du moins ce qu'il pensa. Il s'approcha, l'enlaça et lui souffla dans le cou :
- Ca va, baby ? Ta journée s'est bien passée ?
Elle se retourna et lui sourit, passa ses bras autour de son cou et sans même lui répondre, elle l'embrassa. Puis, rompant leur baiser, elle dit :
- Oui, ça va. Et toi ?
- Bah...
Il s'écarta en haussant les épaules, puis s'assit sur le bord du lit. Il avait un air un peu misérable et Jenna s'inquiéta aussitôt, se demandant bien ce qui lui arrivait.
- Un souci, Lynn ?
Il secoua la tête et dit :
- A vrai, dire, j'me sens un peu minable...
- Pourquoi ? fit-elle avec empathie.
Ce n'était pas la première fois que Lynn se sentait dépité face à leur situation matérielle, comme s'il regrettait de ne pouvoir lui offrir plus et mieux. Mais pour elle, ce qu'ils partageaient tous les deux lui était déjà des plus précieux.
- Dis-moi, qu'y a-t-il ? renchérit-elle car il restait silencieux.
- Pfff... C'est ton anniversaire aujourd'hui, baby, et tout c'que j'ai à t'offrir, c'est... Ca.
Il sortit du sac qu'il avait déposé à ses pieds deux paquets cartonnés. Une odeur de friture en émanait et Jenna sentit son ventre gargouiller.
- Chuis passé chez un des meilleurs fish and ships de la ville, expliqua-t-il sans lever les yeux. Puis, comme chais qu' t'aimes le chocolat...
Le deuxième paquet contenait des gâteaux. Jenna sentit son coeur se serrer :
- Ca va être un festin ! Un festin d'anniversaire !
- Ouais, bon... T'as certainement mangé mieux pour ton anniversaire les aut's années...
- Mieux peut-être, mais pas en aussi bonne compagnie, dit-elle avec bon sens et conviction.
La jeune fille quitta sa chaise et vint s'asseoir sur les genoux de Lynn, l'enlaçant avec tendresse et nichant sa tête dans son cou.
- Ca me touche beaucoup, Lynn, ce petit repas. C'est tellement gentil de marquer quand même ce jour... Tu sais, ce qui compte pour moi, c'est qu'on soit ensemble...
- Pour moi aussi, baby, mais... Mais quand même. J'aurais bien voulu t'offrir un p'tit truc... Même une babiole.
- Tu sais quoi ? Et bien ce week-end, tu m'offres un tour en moto, on va sur la côte. On se trouvera une jolie plage, même sans aller bien loin. Et on se baignera.
- Elle s'ra encore un peu froide, tu sais...
- Oui, bien sûr, sans doute... Mais c'est pas gênant. Tu me réchaufferas, comme ça, ajouta-t-elle d'un ton un peu coquin.
Puis elle l'embrassa à nouveau pour l'empêcher de dire d'autres bêtises. Elle prolongea ce baiser, se collant à lui et se faisant un peu sensuelle. Ses mains caressaient la nuque de Lynn, passaient dans ses cheveux, descendaient sur son torse. Et soudain, il la fit basculer sur le lit, se coucha sur elle et passa une jambe entre les siennes.
- J'pensais qu'le câlin, ça aurait été avec le dessert... lui murmura-t-il au creux de l'oreille en glissant ses mains sous son t-shirt pour caresser ses seins tendus.
- Et si je veux entrée, plat, dessert, hum ? lui répondit-elle avec espièglerie.
- Ca marche, baby... T'inquiète, j'peux assurer...
Ils rirent tous les deux et Jenna se sentit fière d'elle : elle n'avait pas du tout envie que Lynn soit triste ou se fasse des reproches pour son propre anniversaire. Au contraire, elle voulait partager un moment joyeux avec lui, et même si elle ne s'attendait pas du tout à un festin, ni même à un repas qui porterait bien son nom, elle voulait au moins un vrai partage.
Lynn la fixa de son beau regard sombre et elle se sentit émue, il l'embrassa à nouveau, exprimant là tout son amour et son désir et elle ne fut nullement surprise qu'il lui retire ses vêtements. Il la parcourut de baisers, faisant courir des frissons sur sa peau nue, avant de l'emporter dans une longue étreinte.
- Je t'aime, baby... Bon anniversaire ! lui rugit-il dans le cou alors qu'elle succombait au plaisir et qu'il la rejoignait dans le même élan.
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