Lorsque le taxi passa devant l'entrée du grand magasin où allait se dérouler la dédicace, il y avait déjà foule sur le trottoir. Cela donnait une idée de ce que ce serait à l'intérieur. Il nous conduisit directement dans un parking souterrain, et nous pûmes rejoindre le reste du groupe, Ally, Gordon et deux représentants de la maison de disques dans un petit salon mis à notre disposition.

- Ca va ? demanda Snoog alors qu'Ally ouvrait la bouche pour poser visiblement la même question.

- Oui, répondis-je en souriant. Personne n'a sorti les armes, personne ne s'est étripé. Papa est toujours vivant et Lynn aussi, comme vous pouvez le constater.

- Charrie pas, baby, grogna-t-il. On s'est froidement ignoré, alors tout s'est bien passé, non ?

- C'est bien ce que je suis en train de dire, répliquai-je toujours un peu amusée. Et vous ?

- Prêts à affronter la foule en délire, répondit Snoog. On n'attendait plus que vous.

- On a vu la foule en délire au-dehors, si vous voulez faire passer tout le monde, je peux vous assurer qu'on n'est pas couché...

- Raison de plus pour ne pas tarder. Je suis certain qu'il y a une ou deux jolies filles prêtes à repartir avec moi, même s'il faut attendre un peu...

Ally et Gordon levèrent les yeux au plafond, dans une belle symétrie. Treddy et Stair échangèrent un petit regard amusé. Puis nous quittâmes le salon pour rejoindre le grand hall où des tables avaient été disposées, avec des sièges confortables pour que les quatre musiciens puissent s'asseoir. Un couloir avait été délimité pour permettre aux fans d'acheter d'abord l'album, puis de passer ensuite devant le groupe s'ils souhaitaient une dédicace. Ally, Gordon et moi prîmes place un peu en retrait, alors que les deux représentants de la maison de disques s'installaient chacun à un bout de l'espace ainsi aménagé, comme pour veiller à ce que tout se déroule bien. Il était possible aussi qu'ils soient attentifs aux réactions du public, voire aux réponses du groupe à certaines questions. Des gardes du corps et des agents de la sécurité se trouvaient non loin de nous, veillant discrètement. Sur les murs, tout autour de nous, avaient été accrochées de grandes affiches annonçant la sortie du disque et la tournée mondiale. Il y avait certes, déjà, de l'excitation dans l'air, mais l'ambiance s'annonçait quand même bon enfant.

Les deux premières personnes à se présenter furent deux jeunes adolescents, une fille et un garçon, auxquels je ne donnais pas plus d'une quinzaine d'années. Ils avaient le sourire aux lèvres et furent ravis des quatre signatures obtenues. Puis le défilé se poursuivit. Il y avait bien quelques filles à minauder - surtout devant Snoog, évidemment -, mais globalement, les gens qui se présentaient étaient de vrais fans. Certains profitaient de l'occasion pour évoquer un concert auquel ils avaient assisté ou une chanson qu'ils avaient aimée. Les garçons comme nous-mêmes étions très à l'écoute : même si les séances de dédicaces étaient souvent aussi fatiguantes qu'un concert, ils appréciaient beaucoup de rencontrer ainsi le public, les discussions qui en résultaient. Tous disaient que c'était ainsi, aussi, qu'ils mesuraient le mieux s'ils avaient su toucher les gens ou pas. Certes, les concerts à guichets fermés en étaient une bonne preuve, de même que les chiffres des ventes, mais pour eux, rien ne pouvait remplacer ces échanges.

A un moment, une jeune femme, visiblement d'origine asiatique et je le compris vite même d'origine chinoise, se présenta et montra un papier à Snoog en demandant, avec un petit accent touchant :

- Est-ce que vous pouvez écrire cela sur le disque, s'il vous plaît ?

Il regarda le papier avec attention et fit :

- Qu'est-ce que ça signifie ? Ce sont des idéogrammes ?

- Oui, répondit-elle. Ca a le même sens que le titre de l'album...

- Oh, ok... Alors, volontiers. Bon, j'espère que je ne vais pas faire de fautes d'orthographe, hein, ajouta-t-il avec ce petit plissement malicieux des yeux qu'il avait dès qu'une fille lui plaisait.

Elle rit légèrement, mais je vis qu'il s'appliqua à bien tracer les quelques signes du mieux possible.

- Voilà, fit-il en glissant l'album vers elle quand il eut terminé. Faudra m'apprendre à signer avec mon nom en chinois, maintenant.

Elle lui rendit son sourire, mais remercia simplement et s'éloigna sans un mot. Parfois, la drague de Snoog était quand même un peu trop... Hum... Juste un peu trop. Néanmoins, ce petit échange allait le marquer au point qu'il allait suggérer que les mots "Children of Freedom" soient aussi tracés en idéogrammes sur l'affiche de la tournée. Une belle façon de souligner et de rappeler le titre de l'album et de mentionner, déjà, la chanson éponyme qui en était un des titres phares.