La Suite de Caractères

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    La Promotion Pompéi était sage, silencieuse. Disciplinée ? Nous n’irons pas jusque là. La digestion fait des miracles, mais tout de même. Clockweak, le professeur de transport, s’en accomodait.

    Clockweak était un homme aussi grand que gras. Passer le palladium lui était impossible, quand bien même on en beurrerait les montants pour tenter de l’y glisser. Il avait de petits bras potelés avec, de part et d’autre, des bracelets qui lui enserraient les poignets, délimitant ainsi s ses mains et coupant probablement une partie du flux sanguin. Il n’avait pas un poil sur le caillou, ni où que ce soit croyait-on, et des petits yeux couleur bleu océan — cela expliquait en partie son surnom — rendait son expression subtilement mélancolique.

    Sa bonhommie manifeste donnait l’envie de le serrer fort dans ses bras, mais quelque chose de rebutant imposait l'inverse. Clockweak était humide. Il ruisselait, été comme hiver, d’une transpiration singulière et chacun de ses pores semblait apporter sa pierre à l’édifice. Pour cette raison, beaucoup de professeurs et d'étudiants, passés la seconde année, le surnommaient Océan.

    Pour toute la Promotion Pompéi, c’était Clockweak, le Maître des Transports. Ce bon vieux Clockweak qui, à cet instant, discutait avec un petit oiseau noir au bec jaune. Une scène touchante.

    — Elle va arriver, Monsieur Clockweak, promit le volatile.

    — Et vous êtes ?

    — Pazuzu, son Merle-tuteur.

    Tlaloc soupira bruyamment.

    — Tant pis, argua l'aigrette-tutrice, commencez !

    Clockweak allait s’y résoudre lorsque la porte s’ouvrit sur deux élèves, qui n’étaient presque pas en retard. Ezequiel, l’air défait, les yeux rougis, le coeur ostensiblement meurtri, et Zélie, rubiconde, essoufflée, satisfaite. Un ragondin-tuteur, enrubanné dans de la gaze, les accompagnait. Ezequiel déposa sur le bureau un livre dont la couverture comportait un vieillard, un bateau, un gros poisson et un océan. Sans marque page.

    — J’ai fini, annonça l’élève à voix basse avant de rejoindre Flora.

    Clockweak se hâta d’attraper l’ouvrage pour le glisser dans un tiroir.

    — Bien, fit-il sans satisfaction, commençons.

    Il indiqua à Zélie une place où s’asseoir, mais la jeune fille, forcément, en préféra une autre.

    Le Merle-tuteur accompagna la demi-momie de ragondin et s’installa parmi les autres tuteurs stoïques et attentifs, devant le mur du fond. Une vraie vitrine de taxidermiste.

    — Tous les professeurs vous diront cela de leur matière, commença Clockweak, mais le transport est la discipline la plus importante pour un démon.

    Clockweak disait vrai.

    — Maîtriser le transport ne vous fera pas réussir vos examens, poursuivit-il, mais l’ignorer vous conduira forcément à l’échec.

    La Promotion Pompéi accueillit ces mots avec une nonchalance éclatante. Ce n’était pas nouveau.

    — Pour ceux qui ont eu l’occasion d’aller au lycée dans l’autre monde l’année dernière, c’est comme si vous alliez à un examen, sans le moindre stylo.

    Cette remarque piqua l’intérêt de Zélie. Et Clockweak la fixait. Deux bonnes raisons pour elle de se redresser sur sa chaise.

    — Vous redoublez, poursuivit l’enseignant, je vous épargnerai donc les banalités. J’aurai juste une question : quel est l’élément le plus important pour lancer un sort ?

    Dans une classe lambda, une forêt de mains aurait dû se lever et chaque élève aurait gigoté sur sa chaise en souhaitant ardemment être interrogé. Mais la Promotion Pompéi, n’avait rien d’une classe lambda.

    — Allons, vous savez bien… insista Clockweak.

    Personne n’intervint. Tous le savaient, mais tous se turent. Clockweak s’énerva :

    — Diable ! Personne pour me répondre !

    Les tuteurs, dans le fond de la classe, commencèrent à siffler, piailler, coucouanner, belotter, huer, turluter, couiner, chacun selon son espèce, pour inciter son élève à intervenir. Il ne s’agissait pas d’encouragements, mais de menaces. Aussi, quelques doigts se levèrent.

    — L’écriture, répondit Flora quand on l’interreogea.

    — L’écriture, effectivement, merci Flora. La plume et le papier, voilà les deux seuls outils dont un démon a besoin.

    Clockweak, soudain exalté, ne parvint pas à convaincre son auditoire pour qui les dragons, franchement, c’était pas mal non plus.

    — Allez, prenez tous votre crayon et un papelart, et écrivez-y ceci.

    Les papelarts étaient des petits papiers, de disons cinq centimètres sur treize, dont on trouvait des distributeurs partout dans l’Institut. Chaque bureau et chaque table en disposait d’un. Clockweak se tourna pour écrire une suite de caractères au tableau : T 53°50'25.9"N 3°01'02.9"W

    — Il s’agit de l’endroit où nous allons nous transporter.

    Zélie reconnut ces chiffres qui provoquèrent un léger émoi chez certains élèves.

    — Monsieur Clockweak, demanda-t-elle, n’y a-t-il pas un autre lieu que nous pourrions rejoindre ?

    — Non, Zélie. Cet endroit est parfaitement sécurisé, et c’est celui qui vous a été attribué.

    — Parfaitement sécurisé ? Mais monsieur…

    Elle agita son moignon en guise d'argumentation. Plusieurs élèves rejoignirent la fronde, mais Clockweak ne cilla pas.

    — Allons ! Ecrivez ceci sur vos papelarts, et cessez ces jérémiades.

    Sa voix, railleuse et puissante, convainquit tout le monde. Pour s’éviter un travail fastidieux de vérification, Clockweak eut une idée remarquable :

    — Tuteurices, je vous laisse vous assurer que le papelart de vos protégés est correct. Si le transport venait à mal se passer pour l’un d’entre eux, vous en serez tenus pour responsable.

    Immédiatement, ce fut bruissements d’ailes et griffures sur le plancher. Tous se hâtèrent de rejoindre leur élève, Pazuzu compris.

    — Montre-moi ce que tu as… Oh… Zélie ! Ce ne sont pas les bons chiffres !

    — Je ne veux pas y aller.

    — Corrige-moi ça, tu pourrais te retrouver en plein océan avec tes bêtises.

    — Je ne veux pas y aller.

    — J’ai entendu, oui. Mais c’est ton professeur, tu dois lui obéir.

    — Fiente ! Tu es tuteur quand ça t’arrange, toi !

    Dans le brouhaha des corrections, cette phrase avait été prononcée un peu trop fort, et nombreux furent ceux qui se mirent à s’intéresser au débat.

    — Zélie ! Hurla Pazuzu. Comment oses-tu ?! Cinquante Paches !

    Avec une vivacité remarquable, le merle s’installa sur l’épaule de la jeune fille pour lui chuchoter :

    — Calme-toi, Zélie ! Je n’ai pas dit le bon mot. Tu n’auras rien à lire.

    Dans l’émotion et le tumulte, tous crurent l’inverse.

    — Mais, protesta tout bas la jeune fille. Si je la revois ?

    — L’hydre ? Mais elle n’est plus là-bas, voyons !

    — Non, pas l’hydre…

    — Qui donc alors ? Reste près de Clockweak, ça devrait aller.

    Zélie corrigea son papier, sans réelle conviction.

    — Allons, vous êtes prêts ? Serrez vos papelarts et répétez « Depuis ma paume, le poing serré, Calamités ».

    — Courage, fit Pazuzu en descendant de se protégée.

    Et tous les élèves, après avoir resserré le poing sur leur papelart, répétèrent en choeur : Depuis ma paume, le poing serré, Calamités.

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