Chapitre 13 - Strix de cristal
Ma tête est lourde. Mes yeux, clos, semblent collés. Je porte difficilement une main à mon front, bandé. Je me rendors.
Réveillé de nouveau par une sensation visqueuse sur la joue, j’ouvre péniblement les yeux, éblouis par la petite lampe de chevet. On vient à mon secours. Une tête poilue, blanche et à la langue pendante et luisante de bave, se place devant la source de lumière dérangeante. Je souris, ce qui me vaux une léchouille gigantesque, une queue qui frétille et une Ooka, maintenant étalée sur mon torse. Manquant de mourir étouffé, je la repousse comme je peux et nous bataillons, plusieurs minutes, avant que je fasse mine d’abandonner. Ma bête vient poser sa grosse tête sur mes jambes et je la caresse doucement. Son poil blanc, presque brillant, est si doux au toucher. Il glisse délicatement sous mes doigts. Ooka est dans la forme que je préfère, la forme deux, la forme chien. Elle mesure près de soixante-dix centimètres de haut, elle n’est pas très massive, mais dégage une aura puissante. Je l’ai trouvée, chiot dans la forêt avoisinant la colline de Wille. Ce n’est que plusieurs semaines ensuite que j’ai découvert qu’elle était une change-forme. Ceux-ci sont rares, car généralement, la mère délaisse son petit dès qu’elle découvre son étrangeté. Chez les humains, pourtant, ce sont des animaux très prisés. Ils sont très sensibles à l’Onde et possèdent, à leur manière, des Aptitudes. Cela fait maintenant deux ans qu’Ooka me suit partout, pour mon plus grand plaisir, toutefois, elle ne m’a pas encore montré son Aptitude, sous cette forme. La première peut voler, mais celle-ci est uniquement un chien blanc, tout ce qu’il y a de plus banal, malgré sa taille imposante.
J’attrape la gueule de ma chienne, lui pose un baiser sur la truffe toute en évitant habilement sa réponse et me lève pour me débarbouiller.
« Comment va ta tête, mon garçon ? Tu m’as fait une bonne frayeur. » m’interpelle Vīian alors que j’entre dans le salon. Le maître est encore en tenue de nuit, affalé dans son fauteuil. Il ferme le livre qu’il feuilletait : « Le Strix des montagnes », pour m’apporter une soupe de légumes, un morceau de pain et une barre de chocolat. « Mange. Ton corps doit être affamé, tu as dormi presque un jour et demi. » Étonné, je questionne du regard le maître.
Il s’assoit en face de moi et se met à raconter. « Avant hier, tu as réussi l’exercice et tu volais comme un oiseau. Lorsque tu as descendu le flan de la falaise, tu as dérangé l’un de ses grands prédateurs. Alors que le courant te ramenait vers le plateau, j’ai vu un immense oiseau passer au-dessus de ta remontée. J’ai cru qu’il t’avait emmené au passage. Heureusement, ce n’était pas le cas.
Tu étais trop loin pour que je t’ouvre un portail et l’oiseau semblait repartir. En réalité, il faisait un tour pour mieux revenir et je t’ai téléporté à l’instant où il ouvrait le bec pour t’attraper. En te frôlant, il t’a violemment poussé à travers le portail et tu t’es fait une belle bosse à l’atterrissage. Quand nous t’avons rejoint, tu étais déjà évanoui. » retraça le maître.
Un frisson me parcourt l’échine. « Voici la bête qui t’as causé cette blessure » révéla-t-il en me posant sous le nez le livre qu’il lisait auparavant. « Un Strix des montagnes. Plus particulièrement, sur le Mont-Blanc, un Strix de cristal. C’est le plus gros prédateur des alentours. Il faut croire que tu as été chanceux. » railla Vīian.
Je me penche sur le livre. Plusieurs photos et dessins illustrent l’oiseau, il ressemble à une chouette ordinaire. En revanche, je lis plus bas que ladite chouette fait près de dix mètres d’envergure. Je reste coi.
« J’ai vu le monstre de mes propres yeux, gamin, et je peux t’assurer que le livre ne ment pas sur sa taille. »
Ma curiosité l’emporte sur ma peur. « Est-ce que nous pourrions ...
— Oui, nous pouvons aller observer le Strix. Nous irons cette après-midi, si ton état le permet. » me coupe Vīian avec un regard entendu. « Et, non, ce n’est pas dangereux. J’ai bien étudié le sujet, si nous restons sur le plateau d’entraînement, nous n’aurons aucun souci. Le Strix est un rapace, chasseur de petits mammifères, enfin, tu te doutes sûrement que la bête n’a pas le même point de vue sur la taille d’un ‘petit mammifère’. » s’amusa le maître.
« Néanmoins, ses cibles préférées sont plus bas sur la montagne et il ne vole que très rarement au-dessus de la grotte où il établit son nid. La bête sort, généralement, une dizaine de fois par jour, il faudra être patient. » indique Vīian.
La perspective de découverte ayant éveillé ma curiosité, je me plonge dans le livre que m'a donné le maître. Le temps passe vite et, déjà, il est 15 heures. Nous nous dirigeons vers le 'meilleur point de vue' selon Vīian.
À plat ventre sur le bord du plateau d’entraînement, nous attendons depuis vingt minutes déjà.
Un cri étrange brise le silence. Je l’identifie comme un mélange d’hululement et de glatissement. La plainte est assourdissante malgré la distance.
En contre-bas, le Strīx apparaît à la lisière de la forêt d’arbres immenses, que nous utilisons pour chasser notre viande. Paru entre deux de ces géants, l’oiseau semble ordinaire à côté de leur taille disproportionnée. Seulement, à mesure qu’il remonte la falaise, s’aidant des courants ascendants, son envergure est soulignée par les arbustes minuscules qui s’accrochent au quartz.
Bien que peu rassuré par ce monstre remontant à une vitesse fulgurante, je ne peux m’empêcher d’admirer son plumage. Aussi difficile à apprécier que les immenses étendues de quartz du sommet du Mont-Blanc, ses plumes sont d’un blanc presque divin. Ses pennes s’agitent dans le vent et je perçois plusieurs reflets bleutés. L’oiseau est parfaitement camouflé sur ce fond de quartz.
Un nouveau cri.
Curieux, je tente une expérience. Je ferme les yeux et concentre ma transe sur le rapace. D’abord, je ne vois que les flux qui m’entourent, puis l’oiseau entre dans mon champ de vision. Alors, j’observe et je suis subjugué. La bête se meut si naturellement, choisi parfaitement ses courants et se fond dans leurs flots. C'est peu dire, je ne vois pratiquement plus le flux, le Strīx est le flux. Les traits blancs de ses contours se mêlent et s'entremêlent à ceux du vent. L'émotion m'envahit, je suis impressionné.
J’examine l’oiseau jusqu’à ce qu’il se pose dans une ouverture invisible à l’œil nu, puis j’ouvre à nouveau les yeux.
Vīian m’interroge.
« J’ai du travail, Maître » j'annonce, enthousiasmé.
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