Ambre
Voilà trois jours qu'en rentrant de l'école, ouvrant la porte de la maison, Ambre avait découvert son père assis sur les premières marches de l'escalier menant à l'étage, les mains crispées sur son téléphone et le visage plein de larmes.
Elle avait claqué la porte, couru jusqu'à lui, l'avait pris dans ses bras et essayé de le consoler en le couvrant de baisers.
Avant même qu'il n'ouvre la bouche, elle avait compris que l'heure était grave : c'était la première fois qu'elle le voyait pleurer.
Il s'était laissé allé un moment puis avait tenté de lui expliquer, tendrement, calmement, qu'il était triste parce qu'il était arrivé quelque chose de grave à maman.
Elle était partie en voiture en début d'après midi et avait eu un accident. Elle ne rentrerait plus à la maison.
- Mais pourquoi ? s'était elle vue répondre. Elle ne nous aime plus ?
- Bien sûr qu'elle nous aime ma chérie. Mais elle ne peut plus être avec nous. Elle est ailleurs maintenant, elle est partie vers les étoiles.
- Mais, mais pourquoi elle est partie ? Elle n'a pas besoin d'aller voir les étoiles, elle dit toujours que c'est moi sa petite étoile ! Et puis, elle sait très bien où est la maison, elle peut retrouver son chemin.
- Elle ne peut pas revenir Ambre, c'est comme ça.
C'était sur ces mots que son père avait soudainement achevé la conversation.
Aujourd'hui, elle se remémore cet instant et n'en comprend toujours pas le sens. Alors que la sonnette n'arrête pas de retentir, elle s'attend encore à voir sa mère lui sourire lorsque son père ouvre la porte.
Mais, derrière cette porte, ce ne sont que des gens habillés tout en noir, de la tête aux pieds. Des hommes en costumes, des femmes avec des jupes et des collants noirs, et même des chapeaux affreux, qui la regardent avec des yeux attristés et lui caressent les cheveux en disant : pauvre petite...
Elle aussi, son père l'a forcée à mettre une robe et des petits ballerines noires qu'elle ne se souvient même pas avoir déjà portées tellement elle déteste cette couleur.
Mais alors que son père lui avait expliqué un peu plus tôt qu'il fallait toujours s'habiller en noir aux enterrements pour montrer qu'on avait du chagrin, du haut de ses huit ans, Ambre avait pris une décision aussi radicale que définitive : à partir d'aujourd'hui, et jusqu'à ce que sa mère revienne la voir, elle ne s'habillera plus qu'en noir. Le rose, c'est fini. Tant que sa mère ne sera pas auprès d'elle, elle sera triste et il faut que tout le monde le sache.
Se regardant dans la glace de l'entrée, elle se dit que finalement, le noir lui ira peut être bien un jour. Même si pour l'instant, elle trouve que cette couleur est beaucoup trop sombre pour sa peau claire, ses yeux couleur de ciel et ses longs cheveux blonds et bouclés.
Derrière elle, dans le miroir, elle aperçoit les gens qui se sont réunis dans le salon. Seulement des voisins et des connaissances. Ambre n'a pas de famille, elle n'en a jamais eu à part sa mère et son père. Et maintenant il ne lui reste que lui. Elle ne doit pas le décevoir, il ne faut pas qu'il décide d'aller voir les étoiles lui aussi, et de la laisser seule.
Et tout en pensant à sa mère, elle effleure doucement de ses doigts le cadre du miroir. A ce moment précis elle ressent une douleur aussi vive qu'inattendue à l'épaule, au niveau de sa toute nouvelle cicatrice, et soudainement, ce n'est plus elle qu'elle observe dans le miroir, mais sa mère. Elle est en train de se maquiller, comme elle le fait tous les matins avant de partir travailler. Elle a sur les lèvres ce sourire tendre qu'Ambre a toujours aimé.
La petite fille appelle doucement sa mère mais celle-ci ne semble pas la voir. Puis, la douleur devenant trop forte, elle lâche le miroir pour se masser l'épaule de sa main droite et sa mère disparaît aussi vite qu'elle a surgi.
Sous le choc, elle se dirige lentement vers son père, le visage pâle et le corps tremblant. Ce dernier se précipite vers elle et lui demande d'une voix inquiète :
- Qu'est ce que tu as Ambre, ça ne va pas ?
- J'ai... Je... Je viens de voir maman...
- Comment ça tu as vu maman ?
Sentant les regards des invités sur elle, elle répond d'une petite voix, en continuant de se masser l'épaule :
- J'ai touché le miroir, là bas, et j'ai vu maman, elle était là.
Son père, après un coup d’œil rapide aux voisins amassés derrière elle et un long regard suspicieux sur son épaule et sur le miroir, la prend dans ses bras et l'emmène d'un pas rapide dans la cuisine. Il la dépose par terre et la regarde d'un air grave.
- Ambre, lui murmure-il, il ne faut pas dire ce genre de choses. Tu es fatiguée, tu t'es sûrement assoupie et tu as dû rêver.
- Mais non papa je te jure, je l'ai vue....
- N'insiste pas, ne dis pas de bêtises. Tu ne dois pas te faire remarquer comme ça. Tu ne voudrais pas que les gens se moquent de toi et te trouvent bizarre, n'est ce pas ?
Elle secoue lentement la tête de gauche à droite attristée par ces paroles.
- Alors tu veux bien me faire plaisir et ne plus inventer d'histoires ? Tu as rêvé, dans un miroir on ne peut voir que son propre visage, d'accord ?
- D'accord papa....
Après avoir bu le verre de jus d'orange que son père lui a préparé et écouté plusieurs vieilles dames lui répéter à quel point elle est mignonne et ressemble à sa mère, Ambre décide de prendre l'air dans le jardin. Elle s'assied sur sa balançoire, se balance lentement et après quelques minutes, aperçoit au loin une dame beaucoup plus jeune qui se dirige vers elle d'un pas décidé.
Arrivée à sa hauteur, la femme lui demande :
- C'est bien toi Ambre ?
- Oui.
- Je l'avais deviné, tu ressembles tellement à ta maman, répond-elle dans un sourire.
Curieusement, cette phrase qu'elle a entendu trop souvent aujourd'hui lui paraît beaucoup plus agréable à entendre de la bouche de cette jeune femme.
- Vous la connaissez ?
- Oui, petit ange, je la connaissais, c'était mon amie.
Observant discrètement la porte de la maison ouverte, elle tend rapidement à la fillette un étrange objet en forme de cube et le lui dépose dans les mains en lui disant :
- C'est elle qui m'a donné ça pour toi. Elle voulait que cet objet t'appartienne. Garde le, et prends en bien soin, d'accord ?
- Euh d'accord, mais qu'est ce que c'est ?
- Ça, tu le découvriras par toi-même le moment venu. Au revoir petit ange.
Et alors que la jolie dame s'éloigne, Ambre voit son père sortir en trombe de la maison et courir vers elle, avec le regard noir qu'il lui réserve habituellement quand elle a fait une bêtise et qu'il est en colère.
Il l'attrape par le bras et lui demande :
- Qui était cette dame ?
- Je sais pas.
- Tu sais très bien que tu n'as pas le droit de parler aux inconnus !
- Mais papa, elle est gentille. Elle connaît maman.
- Peu importe. Ne fais confiance à personne d'accord ? Évite les gens que tu ne connais pas. Et surtout, n'accepte aucun cadeau de leur part.
Il lui prend brutalement l'objet des mains et la regarde droit dans les yeux, lui maintenant toujours le bras, au point de commencer à lui faire mal.
- Tu m'as bien compris Ambre ?
La petite fille, qui ne comprend pas le brusque changement d'attitude de son père, déjà deux fois dans la même journée, et qui aimerait tellement pouvoir garder l'objet que l'inconnue lui a donné, acquiesce tout de même et répond timidement :
- Oui papa, je ne le ferai plus, c'est promis.
- C'est bien ma chérie, rentrons maintenant.
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