Paradis noir
J’avais évoqué le fait de ne pas penser pour ne pas souffrir. Vous êtes-vous déjà penchés sur cette méthode ? Classique de la dépression, il s’agit simplement de s’obstruer l’esprit de futilités afin de s’éviter toute remise en question. Exemple du monde moderne qui n’a pas manqué de me prendre au piège, le jeu en ligne… Il y a toujours à faire, il y a d’autres joueurs avec lesquels on se sent en communauté… Qui sont-ils ? On ne le sait même pas. Peut-être d’autres dépressifs qui s’évitent de penser ? On n’ose pas en parler, c’est pire que les alcooliques anonymes ici. On se sourit, force smileys et autres expressions pseudo-heureuses à tout va. Personne ne s’inquiète de voir rester son « ami » en ligne jusqu’à 5h du matin. Tout est normal. On est là pour s’amuser, et tout le monde saura vous rappeler que c’est un jeu… qui a pris la place de la réalité, mais ça on oubliera d’en tenir compte.
Pensées obstruées, bonheur simulé, on n’a vraiment plus rien de mauvais à penser. Sauf que pendant ce temps, le mal tourne. Il ne faut surtout pas s’arrêter, il ne faut surtout pas prendre un moment pour penser à soi. Il faut se pousser jusqu’à l’épuisement le plus total devant son écran, s’endormir avant même que le cerveau ait eu un instant de réflexion. Et ce cerveau d’ailleurs, épuisons-le avec tout ça, ça lui donne de la matière. Les complications du monde réel sont trop difficiles, on s’en invente d’autres en ligne et on prend plaisir à se voir les gérer. On se sent puissant, maître de soi. On se dit qu’on a de l’emprise sur les choses. Oui, de l’emprise sur du vent… On ne contrôle que des banalités, pas même soi-même.
Et un jour, la chute arrive malgré tout, sans qu’on ait le temps de l’anticiper. On n’y pensait pas.
Bonheur illusoire, paradis noir.
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