Les nageurs étaient installés sur les plots de départ. Thomas essaya de faire le vide dans sa tête, il n'était pas question de faire un aussi mauvais départ que ce matin. C'était, pour lui, le moment le plus délicat de la course. Il ne bénéficiait de l'appui et de la poussée que de sa jambe droite, qu'il était obligé de placer sur l'avant du plot.

Le départ était enfin donné. Le temps de réaction de Thomas était excellent, mais comme à chaque course il était malgré tout ressorti dernier de l'eau, à la fin de la coulée. Il était malgré tout parti sur un rythme élevé, et arrivé au virage il avait remonté assez aisément une partie de son retard, pour finalement passer en cinquième position à la mi-course. Il n'avait pas commis les mêmes erreurs qu'en série, et il était persuadé d'être sur des bases chronométriques plus rapides. Thomas était focalisé sur ses sensations. Ne pas se crisper. Garder cette impression de flotter au-dessus de l'eau. Oublier les douleurs musculaires qui commençaient à apparaitre. Maintenir sa vitesse jusqu'au bout.

Ce furent les hurlements du public, qui lui firent réaliser que la course était bien terminée. Le speaker annonça le temps de 51.48. C'était raté ! Si le premier avait fait ce temps, il devait être au moins une demi-seconde moins rapide que le nageur de la ligne trois, qu'il savait avoir terminé devant lui. Il passa sous les deux lignes d'eau qui le séparaient de la sortie du bassin, et s'assit un moment sur le bord pour reprendre son souffle.

Au bout de quelques secondes, il releva la tête et aperçu Jérémie tout sourire au-dessus de lui, et au second plan le caméraman qui le suivait depuis une heure.

– C'est incroyable Thomas ! Tu l'as fait !

– Non, je ne crois pas. Le premier a fait 51.48, je dois être au mieux juste en-dessous des 52 secondes. Ça sera pour une prochaine fois, ajouta Thomas en essayant de rester positif devant le jeune nageur.

– Non, c'est pas ça. T'a pas compris ?! C'est ton temps que le speaker a annoncé. Le premier a nagé en moins de 51 secondes.

Thomas mit quelques secondes à assimiler la nouvelle, et il s'aperçut seulement à ce moment-là que tous les autres nageurs de la course l'attendaient à quelques mètres de là. Il se leva lentement et Jérémie se jeta dans ses bras. Il l'avait fait, il n'en revenait pas. Des larmes de bonheur et de soulagement coulaient le long de ses joues. Le jeune nageur se détacha de lui, et lui tendit la béquille qui lui permettait de se déplacer plus facilement lorsqu'il enlevait sa prothèse. Il avança sous les applaudissements du public et des autres nageurs, qui vinrent l'un après l'autre lui taper dans la main et le congratuler. Il félicita à son tour Justin du club de Lyon Natation, qui avait gagné la course.

– Bravo, tu as fait une super course. Je suis désolé, c'est toi le premier et c'est moi qu'on applaudit. Ce n'est pas très juste !

– Non, c'est normal. T'as réalisé un exploit, pas moi.

– Tu sais, c'est pas comme ça que je vois les choses. On est juste deux nageurs et c'est toi qui as gagné. En plus, tu as dû battre ton record personnel, non ?

– Oui, tout comme toi. Mais je comprends ce que tu veux dire. On se donne rendez-vous au championnat de France ou si ça te dit à la piscine pour faire quelques séances de préparation ensemble ?

– Pourquoi pas ! J'en parlerai à Stéphane.

– OK. Je crois que t'es attendu pour l'interview. Et franchement, ça je te le laisse sans aucun regret, ajouta Justin en rigolant.

Le journaliste fit signe à Thomas de le suivre pour se mettre un peu à l'écart. Il lui expliqua rapidement qu'il allait lui poser quelques questions sur sa course, mais que de toute façon il ferait plusieurs prises si c'était nécessaire.

– Nous sommes en compagnie de Thomas, le jeune nageur du club de Caluire Natation, qui vient de réaliser un exploit historique. Tout d'abord, félicitations pour votre course.

– Merci.

– Pouvez-vous nous dire quelle impression ça fait, d'être le premier nageur handisport à se qualifier pour la course reine des championnats de France ?

– Je voudrais d'abord préciser que je ne suis pas un nageur handisport, je suis juste un nageur. Je ne fais d'ailleurs aucune compétition handi, et je ne souhaite pas en faire. J'ai le plus grand respect pour les compétiteurs qui y participent, mais ce n'est juste pas mon projet.

– Mais vous êtes tout de même un exemple de réussite pour tous les jeunes qui souffrent d'un handicap. Avez-vous un message à leur adresser ?

– Aux jeunes ? Oui, qu'ils soient porteurs de handicap, ou non. Ne laissez personne définir qui vous êtes, ce que vous êtes, et faites tout pour devenir celui que vous voulez être !